Egalim 2 : un rapport d'évaluation plaide pour "rendre inopérantes les stratégies de contournement" de certains distributeurs

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Un caddie de supermarché Wikimedia 10/02/2025
Un caddie de supermarché (image d'illustration / © Wikimedia)
par Raphaël Marchal, le Mardi 11 février 2025 à 17:30, mis à jour le Mardi 11 février 2025 à 18:14

Trois ans après l'entrée en vigueur de la loi "Egalim 2" visant à protéger la rémunération des agriculteurs, quatre députés ont mené une mission d'évaluation au cours de laquelle ils ont identifié un certain nombre limites concernant le texte et son application. Ils plaident notamment pour la mise en place de mesures qui rendraient "inopérantes les stratégies de contournement déployées par certains distributeurs par le biais des centrales d’achat". 

Inquiétudes persistantes liées au Mercosur malgré le refus de la France d'accepter l'accord en l'état, mécontentement en raison du retard pris par le projet de loi d'orientation agricole... Alors que la colère des agriculteurs reste forte, la mission d'évaluation de la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite "Egalim 2", créée par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, a rendu ses conclusions ce mardi 11 février.

Dans leur rapport, Julien Dive (apparenté Droite Républicaine), Mathilde Hignet (La France insoumise), Harold Huwart (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires) et Richard Ramos (Les Démocrates) ont tenté d'identifier les apports et limites du texte, qui visait à rééquilibrer les relations commerciales entre les agriculteurs, les industriels et la grande distribution, dans la foulée de la loi Egalim de 2018.

Les quatre députés en conviennent : le contexte national et international a rendu "difficile à évaluer" l'impact économique de la loi Egalim 2. Sortie du Covid-19, guerre en Ukraine, multiplication d'événements liés au dérèglement climatique... Le texte est entré en vigueur au cours d'une période de forte augmentation des coûts et des prix à tous les échelons de la chaîne, ce qui a pu troubler les effets observés.

Des négociations commerciales "inabouties"

Sans surprise, les corapporteurs se sont penchés sur un point de cristallisation des tensions : le calendrier de négociations commerciales entre industriels et enseignes de la grande distribution. C'est surtout la question du maintien de la date-butoir des négociations, actuellement fixée au 1er mars, qui agite le secteur, les distributeurs souhaitant sa suppression. "Une telle mesure constituerait un réel facteur de déstabilisation pour un secteur économique qui exprime, au contraire, un besoin de stabilité", écrivent-ils.

La date-butoir est indispensable pour éviter des négociations permanentes qui seraient défavorables aux plus petits acteurs. (Rapport de la mission d'évaluation)

Ils proposent toutefois de réduire la durée de cette négociation commerciale, afin d'éviter les "comportements dilatoires préjudiciables aux plus petits acteurs". Tout en apportant une certaine souplesse aux acteurs, avec la mise en place de deux bornes : "l’envoi des conditions générales de vente avant le 15 décembre – les plus petites entreprises étant libres d’anticiper cette date pour négocier avant les plus grandes – puis la signature de la convention unique dans les deux mois qui suivent l’envoi de ces conditions, soit le 15 février au plus tard".

Autre proposition forte des députés de la mission d'évaluation : étendre le principe de sanctuarisation des coûts de la matière première agricole aux coûts de l'énergie, du transport et des matériaux d'emballage. La négociation commerciale ne pourrait plus porter sur ces frais, ce qui permettrait pour de sanctuariser réellement le prix des matières premières agricoles. "Même pour un produit très peu transformé tel que le lait UHT, si la matière première agricole représente 100 % du produit en volume, elle représente moins de 50 % du tarif", souligne le rapport.

Les centrales d'achat dans le viseur

Les rapporteurs pointent également le "recours accru" des distributeurs aux centrales d'achats situées à l'étranger. Les enseignes justifieraient cette pratique par un objectif de mutualisation des achats à l'échelle européenne ; cependant la plupart d'entre elles ne disposent pas ou peu de magasins à l'étranger. "La croissance de cette pratique et son extension à des acteurs qui ne sont que très faiblement implantés sur des marchés hors de France rendent difficile de ne pas y voir une stratégie organisée de contournement du cadre législatif français", estiment les députés. 

En négociant directement avec les industriels de grandes marques, comme Nestlé ou Coca-Cola, ces centrales d'achat se fournissent aux prix les plus bas, sans que la sanctuarisation de la matière première agricole ne soit garantie. "Ces négociations pourraient également servir à contourner le régime de sanctions et les mesures de lutte contre les pratiques commerciales déloyale", déplorent les élus, qui appellent à modifier le régime de responsabilité des enseignes établies en France. "L’objectif serait de pouvoir tenir solidairement responsable des manquements commis par une centrale d’achat européenne l’enseigne de distribution installée en France, qui commercialise les produits et qui adhère à cette centrale." L'incitation à délocaliser les négociations hors de France se retrouvait ainsi "amoindrie".

Une contractualisation limitée

En amont de la chaîne, la loi Egalim 2 a également rendu obligatoire la conclusion de contrats écrits et pluriannuels - sur au moins trois ans - lors de la vente de produits agricoles entre un producteur et son premier acheteur. Or, les députés constatent que cette contractualisation, mesure phare de la loi Egalim 2, a "insuffisamment progressé malgré l'ambition de la loi".

Par voie réglementaire, de larges secteurs ont dérogé à cette obligation, notamment ceux des fruits et légumes et des produits transformés à base de fruits et légumes, qui jugent "leurs chaînes d’approvisionnement peu compatibles avec les règles qui s’appliquent à ces contrats écrits". "Pourtant, les arguments avancés ne semblent pas toujours insurmontables", oppose la mission, qui plaide pour limiter la liste des exclusions à l’obligation de conclure un contrat écrit "aux seules productions pour lesquelles il existe un consensus pour conclure que cette obligation n’est pas adaptée".

Par ailleurs, les auteurs du rapport déplorent que, même lorsque le contrat écrit est obligatoire, il est "trop rarement présent". C'est le cas dans le secteur de la viande, "où les relations commerciales reposent fréquemment sur des accords informels ou des habitudes non écrites", indiquent-ils, notant en outre la "défiance" de certains agriculteurs envers la contractualisation écrite. Or ce contrat écrit est le socle de la meilleure prise en compte des coûts de production agricoles dans la formation des prix d’achats aux agriculteurs, rappellent les députés, proposant de simplifier le contenu obligatoire dans les propositions de contrat, ou encore d'établir une trame, afin de faciliter la tâche des producteurs.

Au-delà de conclusions et de propositions largement partagées, les quatre rapporteurs ne s'accordent pas sur l'ensemble de leurs recommandations. Dans la lignée de ce que le groupe LFI avait défendu en octobre 2023, Mathilde Hignet plaide pour la mise en place de prix planchers, un mécanisme qui aurait pour effet de "déconnecter les prix des produits agricoles français des prix de marché, dégradant ainsi la compétitivité de notre agriculture", selon les trois autres députés. Mais tous s'entendent pour faire obstacle à des formules de prix, dans les contrats, qui empêcheraient structurellement la couverture des coûts de revient d'un producteur.