Présidence de l'Assemblée nationale, Bureau du Palais-Bourbon, présidences des commissions permanentes... Entre désaccords entre blocs et accords entre certains groupes, l'installation de la nouvelle Assemblée, du jeudi 18 juillet au samedi 20 juillet, a donné lieu à des votes serrés et à plusieurs coups de théâtre. Récit.
Ce samedi 20 juillet, les huit commissions permanentes de l'Assemblée nationale ont élu leurs présidents respectifs. Alors que les législatives anticipées ont abouti à la formation de trois blocs sans majorité claire au Palais-Bourbon, ces élections à la tête des commissions ont mis un terme à trois jours de tractations et de polémiques, de votes serrés et de coups de coups de théâtre, au fil du processus d'installation de la nouvelle Assemblée. Sans forcément vraiment clarifier la situation politique.
Les grandes manœuvres commencent le jeudi 18 juillet, avec l'élection à la présidence de l'Assemblée nationale. Deux candidats font figure de favoris : le candidat unique du Nouveau Front Populaire, le communiste André Chassaigne, et la présidente sortante de l'institution, Yaël Braun-Pivet, candidate d'Ensemble pour la République et soutenue par le MoDem. Pour être élu au premier tour ou au second tour, un candidat doit obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés.
Ce n'est pas le cas lors du premier tour : André Chassaigne arrive en tête avec 200 voix, devant Sébastien Chenu (Rassemblement national, 142 voix) et Yaël Braun-Pivet (124 voix). Philippe Juvin (La Droite républicaine, 48 voix), Naïma Moutchou (Horizons, 38 voix) et Charles de Courson (LIOT, 18 voix) sont loin derrière. Ce résultat fait dire à la coalition de gauche qu'elle est la première force à l'Assemblée nationale : "Cela confirme que le principal groupe homogène de cette Assemblée est le Nouveau Front Populaire", estime Eric Coquerel (LFI).
Arrivée troisième au premier tour, Yaël Braun-Pivet bénéficie néanmoins aux tours suivants du report des voix de Naïma Moutchou (Horizons) et de Philippe Juvin (La Droite républicaine). Elle arrive ainsi en tête du deuxième tour avec 210 voix devant André Chassaigne (202 voix). La coalition présidentielle et le groupe présidé par Laurent Wauquiez, sont tombés d'accord pour faire barrage au candidat du Nouveau Front Populaire André Chassaigne. "La question était de tenir une promesse faite à nos électeurs, à savoir prendre nos responsabilités et faire barrage à ceux qui ont bordélisé l'Assemblée nationale depuis deux ans", explique alors Vincent Jeanbrun (La Droite républicaine). Outre cet objectif, La Droite républicaine compte en retour sur le soutien de la coalition présidentielle pour obtenir des postes clés au sein de l'Assemblée nationale.
Yaël Braun-Pivet l'emporte au troisième tour avec 220 voix bénéficiant vraisemblablement, en plus des reports précédents, de quelques voix LIOT après le retrait de Charles de Courson. André Chassaigne arrive en deuxième position (207 voix) devant Sébastien Chenu (141 voix). Dans la foulée de son élection, faisant le constat d'une Assemblée nationale "peut-être plus représentative des Français que jamais" mais aussi "plus divisée que jamais", Yaël Braun-Pivet appelle les députés à "chercher des compromis".
La gauche dénonce, quant à elle, des "magouilles" et un "cadenassage du pouvoir par les perdants", tandis que la coalition présidentielle lui répond en fustigeant des "paroles de mauvais perdants". Le candidat du groupe LIOT, Charles de Courson, prend la parole pour mettre en cause "des 'combinaziones' de partis qui aboutissent à maintenir à la présidence une personne qui représente un courant politique qui a eu deux graves échecs aux européennes et aux législatives".
Dès le lendemain, les députés doivent élire le Bureau de l'Assemblée nationale. La plus haute autorité collégiale de l'institution, qui a "tous pouvoirs pour régler les délibérations de l'Assemblée et pour organiser et diriger tous [s]es services", dit le règlement de l'institution.
Composée de 22 membres, dont la présidente de l'Assemblée nationale, cette instance doit être composée, toujours selon le règlement, en "s'efforçant de reproduire la configuration politique de l'Assemblée". Pour cela, les présidents des différents groupes politiques se réunissent vendredi 19 juillet à 10 heures, pour tenter de trouver un compromis en vue de se partager les six vice-présidences, les trois postes de questeurs et les douze postes de secrétaires (voir notre article détaillé). Sans surprise, aucun accord n'est trouvé entre les différents groupes politiques. Faute d'accord, trois séries de scrutins doivent donc être organisés dans l'après-midi.
Le coalition présidentielle se partage entre deux positions : certains, comme Yaël Braun-Pivet, considèrent qu'il est "sain que chaque groupe politique soit représenté au Bureau" de l'Assemblée nationale, tandis que d'autres décident de ne voter pour aucun candidat du Rassemblement national ou de La France insoumise. De son côté, le Nouveau Front populaire appelle à "faire barrage au Rassemblement national".
Avant le premier tour de scrutin sur les vice-présidences, le groupe présidé par Marine Le Pen prend le contre-pied de ceux qui veulent lui faire barrage : il annonce qu'il votera non seulement en faveur de ses propres candidats, mais aussi pour ceux des autres groupes, y compris les candidates de La France insoumise, Clémence Guetté et Nadège Abomangoli. "Nous considérons que tous les courants de pensée doivent être représentés en fonction de leur poids politique", commente le député RN Julien Odoul. "C'est encore une fois un coup tactique de l'extrême droite mais nous ne lui renverront pas l'ascenseur", réagit aussitôt Benjamin Lucas (Ecologiste et social).
Après un premier vote annulé en raison de soupçons d'irrégularités, Clémence Guetté (LFI), Nadège Abomangoli (LFI), Xavier Breton (La Droite républicaine) et Naïma Moutchou (Horizons) sont élus dès le premier tour du scrutin. Clémence Guetté, députée qui a recueilli le plus de voix parmi les candidats d'opposition, est nommée première vice-présidente de l'Assemblée nationale.
Un résultat vivement critiqué par la droite qui, par la voix de Ian Boucard (LDR), accuse le RN d'avoir "fait élire deux vice-présidentes de LFI" et d'avoir "fait le choix du chaos". Marine Le Pen, quant à elle, assume : "Il y a des poids politiques dans cette Assemblée qui doivent se retrouver au sein du bureau." Au deuxième tour, Roland Lescure (Ensemble pour la République) et Annie Genevard (LDR) sont eux aussi élus vice-présidents.
Plus tard dans la soirée, Christine Pirès Beaune (Socialiste), Brigitte Klinkert (EPR) et Michèle Tabarot (LDR) sont élues questeures. Comprenant que le Rassemblement national ne sera pas représenté au Bureau de l'Assemblée nationale, ou très en deçà de son nombre de députés, Marine Le Pen annonce à minuit que son groupe ne participera pas au reste du scrutin. "On va les laisser se partager entre eux les postes de secrétaires", déclare la présidente du groupe RN.
La nuit s'achève avec l'élection des douze secrétaires de l'Assemblée nationale, dont 9 sont issus du Nouveau Front Populaire, 2 sont issus du groupe LIOT et 1 de la coalition présidentielle. "Nous obtenons la majorité des postes au Bureau, ce qui est la démonstration que le Nouveau Front Populaire est le pôle le plus grand de l'Assemblée", se félicite alors la présidente du groupe La France insoumise, Mathilde Panot. Un résultat qui - selon les décomptes qui peuvent être faits alors que les scrutins permettant de composer les instances de l'Assemblée ont lieu à bulletin secret, confortés par nos informations - serait au moins en partie dû à une démobilisation de certains députés de la coalition présidentielle au fil des heures.
Samedi 20 juillet, les huit commissions permanentes de l'Assemblée nationale se réunissent pour la première fois avec, au menu, l'élection de leurs présidents respectifs. La présidence de la stratégique commission des finances, qui doit revenir à un membre de l'opposition, est particulièrement scrutée. Le président sortant, Eric Coquerel (LFI), est candidat à sa réélection. Il fait notamment face à Véronique Louwagie (LDR). Après l'accord noué lors de la réélection de Yaël Braun-Pivet au Perchoir, Véronique Louwagie bénéficie du soutien des députés de la coalition présidentielle.
Les deux premiers tours sont très serrés : Véronique Louwagie obtient 27 voix, Eric Coquerel en obtient 25. Le candidat du RN, Jean-Philippe Tanguy (18 puis 17 voix) et celui de LIOT, Charles de Courson (3 voix) arrivent loin derrière. Au troisième tour, Charles de Courson retire sa candidature : Eric Coquerel bénéficie du report de ses voix et est réélu président de la commission des finances. "Quand Emmanuel Macron se sera rendu à l'évidence, c'est-à-dire que nous sommes la majorité, je démissionnerai pour laisser ce poste à la nouvelle opposition", commente le député insoumis. Selon nos informations, le retrait de Charles de Courson fait suite à un accord avec le Nouveau Front populaire. En assurant la réélection d'Eric Coquerel, le député LIOT bénéficierait des voix de gauche pour être élu rapporteur général du budget de l'Etat à l'Assemblée.
Par ailleurs, l'élection de Florent Boudié (EPR) à la présidence de la puissante commission des lois est critiquée par la candidate malheureuse du NFP Colette Capdevielle (Socialistes). Aux deux premiers tours de scrutin, la députée PS (25 voix puis 26 voix) était au coude-à-coude avec l'élu d'Ensemble pour la République (26 voix et à nouveau 26 voix).
Le candidat du Rassemblement national, Philippe Schreck, comptabilisait pour sa part 17 puis 16 voix. Mais celui-ci n'a recueilli que 7 voix au troisième tour. Faisant barrage à la candidate de gauche, des députés RN permettent à l'évidence à Florent Boudié (36 voix) de l'emporter largement devant Colette Capdevielle (28 voix). "Florent Boudié a ouvertement passé un accord avec le RN pour être élu président", dénonce alors Inaki Echaniz (Socialistes).
Après le désistement de Charles de Courson, qui a permis à Eric Coquerel d'être réélu président de la commission des finances, les députés du Nouveau Front Populaire soutiennent donc en retour le député LIOT, candidat au poste de rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale.
Au premier tour et au deuxième tour du scrutin, Charles de Courson (28 voix) arrive devant le rapporteur général sortant, le député Ensemble pour la République Jean-René Cazeneuve (27 voix). Le candidat du Rassemblement national Matthias Renault, est loin derrière (18 voix). Au troisième tour, c'est Charles de Courson qui l'emporte : arrivé à égalité avec Jean-René Cazeneuve (27 voix), il est élu rapporteur général au bénéfice de l'âge.
"Une fois de plus, nous avons assisté à une volonté de nuire à nos institutions", fustige Jean-René Cazeneuve, qui estime que ce poste doit revenir à un membre de la "majorité" : "Le président de la commission des finances appartient à l'opposition justement pour qu'il y ait un équilibre entre le président et le rapporteur général", explique-t-il.
Alors que l'Elysée attendait une éventuelle clarification de la situation politique à l'occasion de la mise en place des instances de l'Assemblée, la représentation nationale reste à ce stade partagée en trois blocs et sans majorité claire.
Sans parler de coalition, l'entente qui a eu lieu ces derniers jours pour la répartition des postes à responsabilité au Palais-Bourbon entre la coalition présidentielle et La Droite républicaine pourrait cependant franchir une nouvelle étape lundi 22 juillet. Ce jour-là, le président des députés LDR, Laurent Wauquiez, et le président des sénateurs LR, Bruno Retailleau, présenteront le "pacte législatif" qu'ils proposent lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale.