Fonctionnement de l'Assemblée en cas de crise : le conseil constitutionnel censure la réforme

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Hugo Passarello Luna / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
par Maxence Kagni, le Vendredi 2 avril 2021 à 09:22, mis à jour le Vendredi 2 avril 2021 à 15:51

Dans sa décision du 1er avril, le conseil constitutionnel estime que la réforme votée par l'Assemblée nationale le 1er mars dernier est trop imprécise. Celle-ci prévoyait des modalités nouvelles pour adapter le travail des députés en cas de crise rendant le fait de siéger au Palais Bourbon partiellement ou totalement impossible. Parmi ces mesures figurait le recours au vote à distance.

Le conseil constitutionnel a censuré la "résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale en ce qui concerne l’organisation des travaux parlementaires en période de crise". Cette réforme, menée par le député MoDem Sylvain Waserman, avait été adoptée le 1er mars 2021 : elle visait à mieux "outiller" l'Assemblée face à des événements graves comme la survenue de l'épidémie de Covid-19.

La résolution introduisait notamment le recours pour les députés au vote à distance mais aussi à la vidéoconférence pour participer aux séances publiques. Les Sages ont jugé, dans une décision publiée le 1er avril, le texte imprécis et donc contraire à la Constitution.

Cette réforme reprenait les conclusions d'un groupe de travail transpartisan formé en mai 2020. Elle avait été cosignée par le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, et par les présidents de groupe Christophe Castaner (La République en marche), Damien Abad (Les Républicains), Patrick Mignola (MoDem), Olivier Becht (Agir ensemble) et Bertrand Pancher (Libertés et Territoires). Son adoption dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale avait été plutôt consensuelle : sur les 61 suffrages exprimés le 1er mars, seuls 5 députés avaient voté contre.

"Nous outillons notre institution un peu plus encore pour que, quelle que soit la situation à laquelle elle aura à faire face, nous soyons là, dans le respect de l'intérêt démocratique commun", s'était d'ailleurs félicité Sylvain Waserman.

"Contraire à la Constitution"

Le texte permettait de modifier l'organisation des travaux parlementaires "en cas de circonstances exceptionnelles de nature à affecter de façon significative" le fonctionnement du Parlement.

En premier lieu, le président de l'Assemblée nationale aurait dû en "informer" les présidents de groupes politiques. Une fois cette exigence remplie, la conférence des présidents de l'Assemblée nationale aurait pu :

  • "adapter temporairement les modalités de participation des députés aux réunions de commission et aux séances publiques" en recourant, notamment, à des outils de vidéoconférence,
  • "adapter les modalités de délibération et de vote, le cas échéant par le recours à des outils de travail à distance".  

"Ces adaptations ne sont ni limitées ni précisées par la résolution", a regretté le conseil constitutionnel dans sa décision de jeudi. "Le Conseil ne peut dès lors mesurer la portée des adaptations permises par cette résolution pour exercer le contrôle de constitutionnalité", ajoutent les Sages, selon qui le texte "est donc contraire à la Constitution".

Ces critiques avaient été formulées lors des débats par le député La France insoumise Michel Larive : "Votre texte est tellement imprécis que nous craignons que par la subjectivité qu'il engendre, il devienne un support légal de la mise sous tutelle de l'Assemblée nationale."

Interrogé vendredi par LCP, Michel Larive juge "logique" la décision du conseil constitutionnel : "Cette réforme installait un régime d'exception, mais c'est quoi une crise ?", demande l'élu, qui redoute qu'un gouvernement puisse l'utiliser pour faire face, par exemple, à une simple grève. "On est dans une dérive autoritaire qui ne dit pas son nom", estime Michel Larive, qui se félicite : "Heureusement, il reste encore le conseil constitutionnel, cela fonctionne encore un peu la démocratie chez nous."

Sincérité du débat

En séance, l'opposition avait également émis des doutes vis-à-vis du rôle prééminent donné à la conférence des présidents. "La majorité seule pourra décider de bouleverser totalement [le] mode de fonctionnement de l'Assemblée", avait notamment regretté le président du groupe GDR André Chassaigne. Sa position était partagée par Philippe Gosselin (Les Républicains), Sylvia Pinel (Libertés et Territoires) ou encore Michel Zumkeller (UDI et indépendants).

"Le fait majoritaire est le fait fondamental et fondateur qui régit le principe de l'Assemblée nationale", leur avait répondu Sylvain Waserman. Pour rassurer l'opposition, le député MoDem avait mis en avant "la clause de rendez-vous" inscrite dans le texte : celle-ci prévoyait que les dispositions adoptées devaient être réévaluées tous les quinze jours.

Le texte prévoyait un autre garde-fous vis-à-vis du vote à distance : celui-ci n'aurait pu avoir lieu que "dans le respect du principe du vote personnel et des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire". Une précision qui n'a pas convaincu le conseil constitutionnel, qui a précisé jeudi que ces dispositions "s'imposent en tout état de cause".

"Méthode archaïque"

"Je ne m'attendais pas à ce que l'avis du conseil constitutionnel soit si tranché", a réagi vendredi Sylvain Waserman. Le député MoDem regrette la "méthode archaïque" utilisée par les Sages : "On ne peut pas discuter avec eux avant, on ne peut pas leur présenter l'avant-projet", a déploré l'élu, qui aurait aimé nouer un "dialogue préalable".

Sylvain Waserman juge la demande du conseil, qui souhaite que la réforme soit plus "précise", totalement "impossible" à réaliser : "Qui, en février 2020, aurait pu modéliser a priori les réponses à apporter lors de la crise du coronavirus ?" Le député ne proposera donc pas de nouvelle version du texte : "Le conseil a décidé de laisser une marge de manœuvre et choisi de contrôler les décisions prises après, au cas par cas."

Cette méthode ne convainc pas non plus Philippe Gosselin (Les Républicains), qui estime qu'elle n'est "pas satisfaisante" car elle empêche toute "anticipation". Le député avait voté en mars dernier en faveur du texte, issu selon lui "d'un travail de qualité, largement consensuel entre la majorité et les oppositions". 

Le fruit de ces concertations n'est néanmoins pas totalement perdu. Cette réforme du règlement n'était pas la seule proposition du groupe de travail transpartisan mené par Sylvain Waserman : la "boîte a outils" (contributions écrites en amont des lois, sécurisation des vidéoconférences...) construite à l'issue des travaux est prête à être utilisée, a précisé vendredi le député MoDem.