Glyphosate : "On ne peut pas l'interdire totalement parce qu'il y a des impasses", déclare Marc Fesneau

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par Maxence Kagni, le Jeudi 16 novembre 2023 à 15:23, mis à jour le Mercredi 22 novembre 2023 à 16:01

Le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire était auditionné, ce jeudi matin, 16 novembre, par la commission d’enquête "sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires". Marc Fesneau a affirmé ne pas croire à une interdiction totale du glyphosate, tout en défendant une trajectoire de réduction de son utilisation.

Marc Fesneau estime que l'"on ne peut pas interdire totalement [le glyphosate] parce qu'il y a des impasses." Jeudi 16 novembre, le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire était auditionné par la commission d’enquête de l'Assemblée nationale "sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires". 

Au cours de cette même matinée, la Commission européenne a annoncé qu'elle allait renouveler l'autorisation du glyphosate dans l'Union européenne pour dix ans. Comme lors d'un premier vote le 13 octobre, les 27 Etats membres n'ont pas réussi à trouver de majorité qualifiée sur ce sujet, laissant à la Commission la possibilité de trancher. La France, comme six autres pays de l'Union, s'est abstenue.

"Il y a vraiment des impasses"

"Entre 2018 et 2023, la France est passée de l'opposition à l'abstention sur le renouvellement du glyphosate", a regretté Mélanie Thomin (Socialistes), lors de l'audition du ministre. La députée a fait référence à l'objectif affiché par Emmanuel Macron, au début de son premier mandat, en novembre 2017. A l'époque, le Président avait écrit sur Twitter : "J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans". Une décision finalement jugée "impossible" par le chef de l'Etat, qui a reconnu, dans une interview donnée au Parisien, en janvier 2022, avoir commis une "erreur", précisant : "Il faut agir sur ces sujets au niveau européen". En parallèle, le gouvernement a cependant mis en œuvre une stratégie de réduction de l'usage de l'herbicide au niveau national. Le glyphosate est aujourd'hui interdit pour les particuliers, ainsi que pour l'entretien des espaces verts par les collectivités, mais reste possible pour certains usages agricoles

Devant les députés, Marc Fesneau a défendu la position du gouvernement : "On ne peut pas interdire totalement le glyphosate parce qu'il y a des impasses, il y a vraiment des impasses." Le ministre a cependant estimé qu'il existe dans certains secteurs "des tas de solutions de réduction qui ne passent pas par une baisse de la compétitivité". Le ministre de l'Agriculture a expliqué que la décision de la Commission européenne ne changerait pas la stratégie française : "Nous, nous continuerons à trouver nos trajectoires à travers des efforts qui ont été faits, on ne va pas revenir en arrière", a expliqué Marc Fesneau.

A la mi-journée, le ministère de l'Agriculture a fait savoir que "la France n'est pas contre le principe du renouvellement de la molécule", mais souhaite "réduire rapidement son usage et encadrer [son] utilisation, pour en limiter les impacts, et la remplacer par d'autres solutions chaque fois que c'est possible". Le ministère précise que la France a fait "de nombreuses propositions" à la Commission pour encadrer plus strictement les usages du glyphosate et indique regretter "que cette dernière ne les ait pas retenues". Enfin, le ministère évoque l'absence de consensus sur la dangerosité éventuelle du glyphosate : "Les agences, y compris (l'Agence de sécurité sanitaire) Anses, reconnaissent (...) que le produit n'a pas d'effet prouvé/avéré sur la santé humaine dans le respect strict des doses et conditions d'utilisation."

"La France est pleinement engagée dans une dynamique de réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques", a aussi déclaré jeudi matin Marc Fesneau, évoquant notamment le plan Ecophyto II+, qui prévoit une réduction de 50% d'ici 2025. "Notre action commence à se traduire par une baisse de 20% des volumes de produits vendus, une baisse particulièrement marquée sur les produits considérés comme les plus dangereux", a affirmé le ministre de l'Agriculture, qui a aussi évoqué une baisse de 27% de l'utilisation du glyphosate entre 2015-2017 et 2022.

Ces chiffres ont été contestés par le rapporteur de la commission d'enquête, Dominique Potier (Socialistes) : "Nous, on notera [dans notre rapport] qu'il n'y a pas lieu de sauter de joie et de dire que tout va bien (...) globalement on n'a pas atteint les objectifs, on ne cesse de reporter les échéances." Le député, dont le groupe a demandé la création de cette commission, a défendu la possibilité d'atteindre la suppression totale de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques "à l'horizon 2050".

Une hypothèse rejetée par Marc Fesneau : "L'agriculture serait le seul secteur d'activité qui ne pourrait pas utiliser de produits chimiques ? (...) Le zéro absolu me paraît un horizon compliqué", a déclaré le ministre. Au-delà d'éventuels "accidents climatiques" qui pourraient nécessiter l'usage de "produits phyto" pour éviter de "perdre toutes les récoltes", Marc Fesneau a ciblé d'autres limites : "Nous n'avons pas aujourd'hui d'alternatives qui ne soient pas impactantes de rendement sur la betterave et nous n'avons pas d'alternative aujourd'hui crédible sur la cerise." Le ministre de l'Agriculture ne veut pas "laisser les agriculteurs sans solution". "C'est une invitation à trouver des solutions avant les interdictions, mais pas une remise en cause des interdictions ?", lui a demandé Dominique Potier. "Ca veut dire qu'il faut chercher les solutions et anticiper les solutions", a répondu Marc Fesneau.

"Si [la proposition de loi sénatoriale pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France] arrivait [à l'Assemblée nationale], le gouvernement donnerait un avis défavorable au contenu qu'elle propose" a salué en conclusion Dominique Potier, voyant là "un élément politique majeur" et "un élément de réassurance très important". Cette loi "ferme France", adoptée en mai 2023 par les sénateurs, à l'initiative d'élus des groupes Les Républicains, Union centriste, et Socialiste, prévoit notamment de permettre au ministre de l'Agriculture de suspendre une décision de retrait de mise sur le marché de produits phytosanitaires prise par l'Anses "dans le cas où il n’existerait pas de solutions alternatives efficientes et où cette décision engendrerait une distorsion de concurrence au sein du marché intérieur".

 LFI dénonce un "permis de tuer"

Après l'annonce de la Commission européenne, La France insoumise a tenu "en urgence", jeudi après-midi, une conférence de presse à l'Assemblée : "Notre groupe parlementaire est scandalisé par [cette] décision", a déclaré la présidente des députés LFI Mathilde Panot. "La France s'est abstenue sur ce vote et [en le faisant] elle a en quelque sorte donné son accord pour que le glyphosate puisse continuer de nous empoisonner pendant encore dix années", a-t-elle déclaré. L'élue a dénoncé un "scandale démocratique", ainsi qu'un "scandale écologiste (...) sanitaire et social". Mathilde Panot estime qu'Emmanuel Macron a "non seulement trahi sa promesse mais, en quelque sorte, il continue de donner des permis de tuer aux entreprises".

Sa collègue Aurélie Trouvé a dénoncé une position "hypocrite et complètement cynique de la France". Selon la députée LFI, "la France aurait pu voter contre, mais surtout travailler depuis des semaines à ce qu'il y ait un vote contre d'autres pays". Par ailleurs, elle a estimé que sur 15 ans, "il n'y a pas [eu] de baisse du glyphosate", regrettant également un manque de moyens investis dans la recherche d'alternatives.