Harcèlement scolaire : les députés votent la création d'un nouveau délit

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Erwan Balanant
par Ariel Guez, le Mercredi 1 décembre 2021 à 15:04, mis à jour le Mercredi 1 décembre 2021 à 20:10

La proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire a été adoptée, en première lecture, mercredi 1er décembre, par l'Assemblée nationale. Le texte prévoit la création d'un nouveau délit dans le Code pénal, qui pourra sanctionner jusqu'à dix ans de prison et 150.000 euros d'amende les auteurs d'harcèlement scolaire. 

L'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, mercredi 1er décembre, la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire (69 voix pour, 0 contre). Défendue par Erwan Balanant (Modem), le texte prévoit notamment la création d'un nouveau délit dans le Code pénal, punissant jusqu'à dix ans de prison et 150.000 euros d'amende les actes considérés comme du harcèlement scolaire. "Ce texte n'est pas une loi d'émotion. Il s'agit d'un long travail d'analyse juridique et d'un choix politique assumé", a souligné à la tribune du Palais Bourbon le député du Finistère, rapporteur du texte. "Il doit nous permettre d'avancer encore d'un pas important", s'est félicité le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.

Près d'un élève sur dix serait concerné chaque année par un harcèlement scolaire qui peut pousser la victime à mettre fin à ses jours, comme en témoignent plusieurs drames récents qui ont ému l'opinion comme le suicide de la jeune Dinah dans le Haut-Rhin en octobre. Ce phénomène est ancien, mais a été nettement aggravé par le développement des réseaux sociaux et des téléphones portables, qui prolongent le harcèlement en dehors de l'espace scolaire, passant souvent sous le radar des parents et des adultes.

Deux semaines après une série d'annonces faites par le président de la République Emmanuel Macron, l'Assemblée nationale apporte sa pierre à l'édifice avec un texte de loi spécifique. Concrètement, s'il est adopté conforme au Sénat, le harcèlement scolaire sera punissable de trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende lorsqu’il causera une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours, voire s'il n'a pas entraîné d'ITT. La mesure est durcie si l'ITT excède 8 jours, et pourra même atteindre dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende lorsque les faits auront conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire.

Les insoumis dénoncent une "surenchère pénale"

Sans minimiser l'importance de la lutte contre le harcèlement scolaire, l'insoumise Sabine Rubin (La France insoumise) a regretté un texte "qui participe à un plan de communication, d'autant qu'il existe déjà des outils efficaces qu'il faudrait évaluer." La députée a déploré à la tribune une "surenchère pénale", estimant que la création d'un nouveau délit est une mesure "illusoire et démagogique (...) car l'excuse de minorité rendra veine toute sanction pénale." L'élue avance également qu'il "n'a jamais été prouvé que le durcissement des peines puisse avoir un pouvoir dissuasif."

"Le Code pénal a aussi une fonction expressive. Il donne la valeur de la gravité des faits (...)  "Il s'agit de poser un interdit clair", lui a répondu Erwan Balanant. "Aujourd'hui, les outils [législatifs] n'existent pas : en cas de harcèlement, un jeune de 17 ans est mieux protégé qu'un jeune dans son lycée. Pour moi, ce n'est pas possible", explique le député du Finistère. Le rapporteur du texte rappelle également que concernant la justice pénale des mineurs, "la priorité est toujours la mesure éducative sur la répression et la punition." Plus tôt lors de la discussion générale, Erwan Balanant a répété les propos qu'il avait déjà tenu la semaine dernière en commission, martelant que "l'absence d'une qualification autonome [dans le Code pénal] prive d'une partie de son efficacité toute communication autour du harcèlement scolaire."

"Clarifier notre règle commune"

La mesure, inscrite à l'article 4, a reçu le soutien du groupe La République en marche, en la personne de Laetitia Avia. Créer un délit de harcèlement pénal, "c'est clarifier notre règle commune", a défendu la députée. Plusieurs députés sont allés dans son sens... mais Delphine Bagarry (non inscrit), Sabine Rubin (LFI) et Elsa Faucillon (GDR) ont tout de même plaidé pour la suppression de l'article. La députée communiste, Elsa Faucillon, a estimé que l'Assemblée "ne prend pas la bonne voie", expliquant que "ce délit passe à côté de l'effet de groupe qui entoure souvent la question du harcèlement scolaire et qu'il extériorise davantage le traitement de cette question en le renvoyant à la justice."

"Je crois que le réflexe répressif, lorsque nous parlons d'enfants, est à mon avis la mauvaise voie. (...) Il y a besoin de plus d'éducatif !" a-t-elle plaidé. Reprenant une partie des arguments de Sabine Rubin, Elsa Faucillon a souligné que les articles L 222-33-2 et suivants du Code pénal sur le harcèlement moral peuvent déjà concerner le harcèlement scolaire.

"Dans une société, nous devons définir des interdits. (...) Et pour avoir une prise de conscience de la société, il faut le faire", a répété Erwan Balanant. "Oui, on peut sanctionner aujourd'hui via le harcèlement moral. (...) Mais je vous rappelle que nous avons une justice pénale des mineurs qui prend en compte la minorité et le discernement ou pas de l'auteur. Évidemment, nous n'allons pas envoyer des enfants en prison pour des questions de harcèlement scolaire !" a expliqué le rapporteur du texte, estimant que derrière chaque judiciarisation, il y avait "un échec."

Les amendements de suppression ont été rejetés et l'article 4, introduisant le délit de harcèlement scolaire dans le Code pénal, a été voté par l'Assemblée nationale (63 voix pour, 7 voix contre).

Formation des professeurs et des personnels de l'Éducation nationale

En plus de la création de ce nouveau délit, les députés ont adopté plusieurs modifications au Code de l'éducation. Ces dernières prévoient notamment à l'article premier de la proposition de loi (adopté à l'unanimité) que "les établissements d’enseignement scolaire et supérieur publics et privés et le réseau des œuvres universitaires (les CROUS, ndlr) prennent les mesures appropriées visant à lutter contre le harcèlement dans le cadre scolaire et universitaire." Aussi, une "information sur les risques liés au harcèlement scolaire et au cyberharcèlement [doit être délivrée] chaque année scolaire, aux parents d’élèves." L'article 2 crée quant à lui le "droit à la scolarité sans harcèlement."

Enfin, l'article 3 de la proposition de loi insère dans le Code de l'éducation "une formation à la prévention des faits de harcèlement", dispensée à l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale (professeurs, AED, CPE, infirmières, médecins scolaires, etc). Une ambition saluée par l'intégralité des députés, même si certains, à l'image de Sabine Rubin ou d'Hubert Wulfranc (PCF), y voient des "mesures de bonnes intentions, mais incantatoires." "Il y a un médecin scolaire pour 12.500 élèves. Ce n'est pas de votre fait, mais ça fait dix ans que ça dure, voire plus. (...) Qui voulez-vous [former] quand il n'y a personne à [former] ?" interroge la députée insoumise.

Jean-Michel Blanquer a réagi aux différentes interpellations sur ce manque de moyens humains. Le ministre a rappellé que le PLF 2022, voté par l'Assemblée nationale en novembre, prévoit la création de nouveaux postes de CPE (300) pour la rentrée 2022. "Nous savons à quel point les CPE ont un rôle décisif pour le climat scolaire", a-t-il souligné. "Ne nous vivons pas comme étant en pénurie sur ce sujet", a ainsi déclaré Jean-Michel Blanquer, même s'il reconnaît un "réel problème" sur le nombre de médecins scolaires. "Je suis tout à fait disposé à dire que les moyens doivent être renforcés sur cette question. Et ils le sont dans le cadre du budget 2022", a-t-il conclu.