François Bayrou, qui s'était dit "troublé", selon son entourage, par la condamnation de Marine Le Pen à une inéligibilité immédiate pour cinq ans, a affirmé mardi 1er avril que le gouvernement n'avait "pas le droit" de "critiquer" une décision de justice, considérant cependant que l'exécution provisoire de l'inéligibilité suscite des "interrogations". Le Premier ministre a ouvert la porte à une "réflexion" au Parlement sur le sujet.
Sa prise de parole était attendue. Après plusieurs propos rapportés, c'est dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale que François Bayrou a dit officiellement ce qu'il pensait de la condamnation de Marine Le Pen. "ll n'y a pas de possibilité de critiquer une décision de justice, j'estime même que nous n'en avons pas le droit", a déclaré le Premier ministre, interpellé par le président du groupe "Socialistes", Boris Vallaud. "Le soutien que nous devons apporter aux magistrats doit être en effet inconditionnel, non mesuré, puissant", a-t-il ajouté, alors que pas moins de sept questions au gouvernement (sur 17) ont été consacrées au sujet.
Quelques minutes plus tard, en réponse à la présidente du groupe "Ecologiste et social", Cyrielle Chatelain, le locataire de Matignon réaffirmait sa ligne : "Il est indiscutable et il doit être indiscuté sur ces bancs que les décisions de justice doivent être soutenues et les magistrats protégés dans l'expression de leur mission."
Sauf que François Bayrou ne s'est pas arrêté là. "Comme citoyen", a-t-il répété à plusieurs reprises, il s'est interrogé sur l'exécution provisoire assortie à la peine d'inéligibilité. Cette disposition "fait que des décisions lourdes et graves, potentiellement porteuses de conséquences irréversibles [à savoir la non-présence de Marine Le Pen à la présidentielle de 2027, Ndlr], ne sont pas susceptibles d'appel". Et à ses yeux, cela soulève des "interrogations". "C'est au Parlement [...] de prendre ses responsabilités", a complété le Premier ministre.
Une balle saisie au bond par leprésident du groupe "Union des droites pour la République", Eric Ciotti, qui a réitéré son soutien à Marine Le Pen dénonçant "un gouvernement des juges". Il a annoncé qu'une proposition de loi visant à supprimer l'exécution provisoire pour les peines d'inéligibilité sera au programme de la journée d'initiative parlementaire de son groupe, qui aura lieu le 26 juin. "C'est le Parlement qui décidera ou non s'il convient à toucher à l'écriture de la loi à partir de laquelle les magistrats jugent", a réagi François Bayrou.
La décision est conforme aux textes en vigueur, ce qui ouvre peut-être [...] le besoin de modifier la loi le cas échéant. Paul Christophe, président du groupe "Horizons"
Une éventualité qui questionne sur les différents bancs, "S'il y a une question sur l'exécution provisoire, il faut qu'elle revienne dans l'hémicycle", avait noté dans la matinée, lors du point presse hebdomadaire du groupe MoDem, la députée Perrine Goulet (Les Démocrates). Mais "la loi est la loi, nous n'avons rien à dire sur cette décision de justice". Un avis partagé par le président du groupe "Horizons, Paul Christophe : "La décision [sur Marine Le Pen] est conforme aux textes en vigueur, ce qui ouvre peut-être [...] le besoin de modifier la loi le cas échéant."
Sur le plateau de LCP, Céline Hervieu (Socialistes) s'est, elle, opposée à une réécriture de la loi, refusant de le faire "pour sauver le soldat Le Pen". "Qu'est-ce que c'est que ces responsables politiques qui demandent de changer la loi quand les décisions ne leur conviennent pas ?", s'est également insurgé Pieyre-Alexandre Anglade (Ensemble pour la République) dans la matinée, salle des Quatre-Colonnes.
Et le président du groupe "Ensemble pour la République", Gabriel Attal de mettre en garde : "Prenons garde à ne pas donner le sentiment aux Français d'un monde politique qui se regarde le nombril et qui ne s'occupe que de ses affaires", a-t-il déclaré, indiquant par la même occasion que "les débats prennent une tournure qui [l]'inquiète".
Retour dans l'hémicycle ce mardi après-midi. Premier à prendre la parole lors de la séance des questions au gouvernement, le député Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national) a critiqué "un quarteron de procureurs et de juges" qui "prétend sortir du droit pour exercer la vendetta du système contre sa principale incarnation". "Il y a des tyrannies qui enferment leurs opposants, il y a désormais des juges tyrans qui exécutent l'état de droit en place publique", a-t-il fustigé, suivi par ses collègues Laure Lavalette et Sébastien Chenu, qui ont eux aussi interpellé le gouvernement sur le sujet.
Des mots déjà employés un peu plus tôt par Marine Le Pen qui, lors de la réunion hebdomadaire de son groupe parlementaire, exceptionnellement ouverte aux caméras, s'en était prise à un "système qui a sorti la bombe nucléaire".
"Vous avez sans doute oublié d'apporter votre soutien aux magistrats menacés", a alors répliqué Gérald Darmanin à Jean-Philippe Tanguy. Evoquant une "décision importante", le ministre de la Justice a dit "souhaiter personnellement" qu'après l'appel de Marine Le Pen, le "jugement nouveau à la cour d'appel puisse être organisé dans un délai le plus raisonnable possible". "Il appartiendra à la cour d'appel de Paris, parfaitement indépendante de fixer la date de cet appel", a complété le garde des Sceaux.
Dans un communiqué publié quelques heures plus tard, la cour d'appel de Paris a indiqué qu'elle examinera l'affaire des assistants du FN au Parlement européen "dans des délais qui devraient permettre de rendre une décision à l'été 2026", c'est-à-dire avant l'élection présidentielle de 2027. Le Rassemblement national a, quant à lui, annoncé qu'il organisera dimanche à Paris "un meeting de soutien" à Marine Le Pen, dans le cadre de la "mobilisation populaire et pacifique" lancée lundi par le mouvement. L'événement doit se tenir à proximité des Invalides, à Paris, non loin de l'Assemblée nationale.