Le Conseil constitutionnel a rendu, ce vendredi 28 mars, sa décision concernant l'inéligibilité avec exécution provisoire d'un élu de Mayotte. Les Sages ont estimé que les dispositions du code électoral contestées étaient bien conformes à la Constitution. Une "réserve" d'interprétation figurant dans la décision attire cependant l'attention de certains constitutionnalistes, alors que la justice rendra sa décision lundi concernant Marine Le Pen.
A trois jours de la décision du tribunal correctionnel concernant Marine Le Pen dans l'affaire des assistants parlementaires d'eurodéputés, la décision du Conseil constitutionnel, rendue ce vendredi 28 mars, sur l'inéligibilité avec exécution provisoire d'un élu de Mayotte était forcément scrutée. Alors même que, comme vous l'expliquait LCP précédemment, les deux affaires étaient loin d'être identiques. Verdict : les Sages ont considéré que les dispositions contestées par Rachadi Saindou (les articles L.230 et L.236 du code électoral), démis de son mandat local après une condamnation, étaient conformes à la Constitution, écartant les griefs de "la méconnaissance du droit d’éligibilité", "de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif" et de "la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi".
Sur ce dernier point, le Conseil constitutionnel confirme notamment la différence de traitement entre les élus locaux et les parlementaires (eux ne sont pas démis d'office de leurs fonctions en cas de peine d'inéligibilité avec exécution provisoire), "au regard de la situation particulière" de ces derniers et "des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution".
Comme prévue, la décision n'a donc aucun impact direct sur le cas de Marine Le Pen qui saura lundi si les juges suivent le parquet qui a requis une peine de cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire, qui s'applique donc même en cas d'appel s'agissant d'une élection à venir. Ce qui pourrait priver la cheffe de file du Rassemblement national d'une quatrième candidature à l'Elysée en 2027.
Pour autant, le Conseil constitutionnel a émis une "réserve" d'interprétation. "Sauf à méconnaître le droit d'éligibilité garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d'apprécier le caractère proportionné de l'atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l'exercice d'un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l'électeur", peut-on ainsi lire au paragraphe 17.
Une formule qui suscite des interrogations chez certains constitutionnalistes. "Cela pourrait avoir un effet concernant Marine Le Pen", obligeant le juge pénal "à apprécier la portée du prononcé d’une peine d’inéligibilité et d’une exécution provisoire sur la liberté de l’électeur, et donc sur l’élection présidentielle", estime Romain Rambaud, pour qui les Sages "sont allés assez loin". "C'est comme si le Conseil rappelait qu'il faut bien examiner l'impact que ça peut avoir", estime le professeur de droit public auprès de LCP.
"Le Conseil constitutionnel n'était pas obligé [de l'écrire] et donc ce n'est pas tout à fait neutre", analyse également Benjamin Morel, évoquant une décision qui n'est "pas d'une clarté cristalline". Au yeux du constitutionnaliste, la décision rendue "rappelle, sur le fond, quelque chose qui est la base" en droit, mais donne l'impression "d'un signal envoyé" aux juges : "Le problème n'est pas dans la loi, mais dans son interprétation, donc ne faites pas n'importe quoi."
"Il y a en effet une forme de message aux juges correctionnels. Mais le Conseil constitutionnel indique clairement que l'exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité est tout à fait possible" considère, quant à lui, le professeur de droit public Jean-Philippe Derosier. Avant d'ajouter à propos de la décision des Sages : "On peut comprendre qu'elle ne doit pas avoir pour effet de priver totalement les électeurs de leur droit de choisir leurs élus."
Cela peut donner l'impression d'une nouveauté, mais il n'en est rien. Dominique Rousseau, juriste et professeur de droit constitutionnel
Pour le constitutionnaliste Dominique Rousseau, également sollicité par LCP, la décision de l'institution de la rue de Montpensier "n'est pas une surprise" et "répond au requérant". Selon lui, les Sages "renvoient aux juges le soin d'apprécier la proportionnalité de la durée de la peine d'inéligibilité et du prononcé de l'exécution provisoire", ce qui "n'est pas extraordinaire" car "le Conseil constitutionnel le fait régulièrement". "C'est la jurisprudence habituelle. Cela peut donner l'impression d'une nouveauté, mais il n'en est rien", conclut-il. Auprès de l'AFP, Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public à l'université de Rouen, note également que le Conseil constitutionnel fait "un rappel assez classique des règles de l'équilibre que le juge connaissait déjà".
La lecture du jugement de Marine le Pen (ainsi que ses 25 co-prévenus, dont son parti, dans le procès des assistants parlementaires européens du Front national de 2004 à 2016) aura lieu ce lundi 31 mars.
"Demain, potentiellement, ce sont des millions et des millions de Français qui de fait se verraient privés de leur candidate à la présidentielle" en 2027, avait lancé Marine Le Pen aux magistrats lors de son dernier interrogatoire à l'automne dernier. En début de semaine, elle déclarait au Figaro ne pas "voir l'intérêt de supputer à l'avance" : "J’attendrai de voir quel est le verdict et puis je prendrai ma décision en fonction de ce verdict. Je me considère totalement innocente des faits qui me sont reprochés. Par conséquent, si ma culpabilité est prononcée, j’utiliserai l’Etat de droit pour pouvoir défendre à nouveau mon innocence."