Ce projet de loi ouvre notamment la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. La majorité a restauré dans les grandes lignes les "équilibres" du texte issu de la première lecture.
Pour : 60. Contre : 37. A l'issue d'une semaine de débats, l'Assemblée nationale a adopté, en deuxième lecture, le projet de loi relatif à la bioéthique. Le vote a eu lieu tard dans la nuit de vendredi à samedi, alimentant les critiques de l'opposition de droite qui a accusé la majorité de faire passer ce texte en "catimini".
Cette adoption n'est pas définitive puisque le Sénat devra à nouveau se prononcer sur le texte.
Le projet de loi ouvre la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules. Ces PMA seront prises en charges à 100% par l'assurance maladie.
Lors des débats, le ministre de la Santé Olivier Véran a ardemment défendu la mesure, défendant également sa vision de la famille : "L'amour est la base du foyer familial."
"On va créer des orphelins de père", lui a répondu le député Les Républicains Patrick Hetzel. Les élus de droite se sont opposés au texte, craignant que celui-ci n'ouvre la voie à une prochaine légalisation de la gestation pour autrui (GPA).
Malgré les tentatives répétées de députés de gauche, mais aussi de membres de la majorité, l'Assemblée nationale n'a en revanche pas souhaité ouvrir la PMA aux personnes transgenres, et n'a pas voté en faveur de la PMA post mortem.
Les députés n'ont pas non plus souhaité légaliser la technique dite de la ROPA, malgré la double tentative de députés issus notamment de la majorité. Cette technique consiste en un don d'ovocytes dans un couple de femmes, si l'une des deux femmes est infertile. La ROPA permet à la première femme de donner un ovocyte pour réaliser une fécondation in vitro avec tiers donneur, tandis que la seconde porte l'enfant.
Mais le gouvernement s'y est opposé, ainsi que la droite, qui a dénoncé par la voix d'Annie Genevard un "glissement vers la GPA".
Le texte autorise par ailleurs l'autoconservation des ovocytes. Les députés ont adopté un amendement du rapporteur Jean-Louis Touraine (La République en marche) permettant à un directeur d'Agence régionale de santé d'autoriser, par dérogation, un établissement privé à but lucratif de procéder à cette conservation de gamètes.
Une décision soutenue notamment par Coralie Dubost (La République en marche) : "Tous les médecins de France ont la même éthique, qu'ils soient dans le privé ou dans le public."
Le projet de loi ouvre aux enfants nés de PMA avec tiers donneurs l'accès à leur origine. A leur majorité, ces enfants pourront désormais avoir accès aux informations non identifiantes de leur géniteur, mais aussi, s'ils le souhaitent, à l'identité de celui-ci.
Ce dispositif s'appliquera pour les enfants issus d'un don ayant eu lieu après l'entrée en vigueur du projet de loi.
Contre l'avis du gouvernement, les députés ont confirmé leur vote de la commission : les donneurs de sperme qui ont donné leurs gamètes avant l'entrée en application de la loi seront contactés afin qu'ils puissent dire s'ils désirent, ou non, dévoiler leur identité aux enfants nés de leur don, si ces derniers souhaitent la connaître.
Une solution qui ne convainc pas le gouvernement, la jugeant "instrusive" puisque ces donneurs avaient donné avec la certitude, à l'époque, de rester anonymes.
Vendredi, lors de la dernière journée de débats, l'Assemblée nationale est revenue sur une des dispositions votées en commission. A l'initiative du socialiste Hervé Saulignac, les députés avaient supprimé en juin dernier la condition d'abstinence sexuelle de quatre mois pour les hommes homosexuels souhaitant donner leur sang.
L'Assemblée nationale a annulé cette disposition en adoptant un amendement du gouvernement.
Donner son sang n'est pas un droit. Olivier Véran
"Statistiquement, il y a un sur-risque dans une population donnée", a justifié le ministre de la Santé Olivier Véran, évoquant des risques de transmission du VIH. Mais le ministre s'est dit prêt à faire "évoluer ce qui peut évoluer" et a affirmé attendre les conclusions de l'établissement français du sang (EFS) à ce sujet.
Le cas échéant, les changements interviendront par "voie réglementaire".
Les députés ont également adopté un amendement revenant sur une jurisprudence de la cour de cassation : dans un arrêt du 18 décembre, cette dernière avait accepté que les deux membres d'un couple d'hommes, et non pas le seul père biologique, soient reconnus en France comme étant les deux parents d'un enfant né de GPA à l'étranger.
La cour avait ainsi accepté la transcription intégrale d'un acte de naissance établi à l'étranger, dès lors que cet acte était conforme au droit local.
Mais les députés ont décidé vendredi que la transcription de l'acte d'état civil sera acceptée pour le seul père biologique. L'autre homme, le "père d'intention", devra adopter l'enfant.
La ligne rouge du gouvernement, c'est non à la GPA. Eric Dupond-Moretti
Les députés ont rejeté l'extension du champ du diagnostic préimplantatoire à la recherche d'anomalies chromosomiques (DPI-A).
Le diagnostic préimplantatoire (DPI) permet, lors d'une fécondation in vitro, de vérifier si l'embryon à implanter est viable : le DPI est aujourd'hui admis pour les couples risquant de transmettre à leur enfant une maladie génétique particulièrement grave.
Le DPI-A, lui, doit permettre de vérifier si l'embryon a le bon nombre de chromosomes afin d'accroître les chances qu'il soit viable et ainsi éviter les fausses couches, a expliqué le député MoDem Philippe Berta.
"On ouvre une tentation, il y a une forme de dérive potentielle de recours à la PMA pour être certain, même sans problème de fertilité, d'avoir un enfant génétiquement correct", a commenté Thibault Bazin (Les Républicains).
"L'argument de l'eugénisme, je ne le crois pas", a répondu Olivier Véran, qui s'oppose toutefois lui aussi à l'expérimentation du DPI-A. Mais pour éviter le "statu quo", le ministre de la Santé a proposé de lancer un projet de recherche multicentrique sur ce sujet, réalisé dans plusieurs hôpitaux.
En commission, les députés avaient autorisé l'expérimentation du DPI-A pour une période de trois ans : ils l'ont supprimée dans l'hémicycle (78 voix contre 24).
Avec ce vote, qui s'ajoute aux rejets de la PMA post mortem et de la ROPA, la majorité a répondu à la demande du Premier ministre Jean Castex : ils ont restauré les "équilibres" du texte issu de la première lecture à l'Assemblée, en octobre 2019.
Fanny Saliou, Rahabi Ka, Maxence Kagni