Les députés ont voté en première lecture la proposition de loi "visant à renforcer le droit à l’avortement". Portée par Albane Gaillot (Écologie démocratie solidarité), la mesure phare de ce texte étend de deux semaines supplémentaires le délai de recours à l'interruption volontaire de grossesse. Elle a été votée avec le soutien du groupe La République en marche, en dépit des réserves du gouvernement.
Après neuf heures de débat, un temps inhabituel pour une proposition de loi, les députés ont adopté jeudi par 86 voix contre 59 le texte défendu par le groupe Écologie démocratie solidarité qui prévoit l’allongement de 12 à 14 semaines du délai de recours à l’IVG. Un sujet aussi sensible au sein de la communauté médicale qu'à travers les rangs de l'hémicycle.
La disposition, qui fait l’objet du premier article du texte, a été l’occasion d’un débat particulièrement vif, avant d’être votée sous les yeux du ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, qui sans s’y opposer frontalement, n’a pas non plus apporté son soutien au texte. En effet, le gouvernement a fait valoir une position de "sagesse", s'en remettant au vote des députés, en attendant l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qu’il vient tout juste de saisir, et dont les conclusions sont attendues pour le mois de novembre.
"Non seulement je parle avec des femmes qui ont avorté, mais j’ai moi-même avorté. Et le moment de détresse je l’ai ressenti le jour où je suis allée chez le gynécologue et que l’on m’a expliqué qu’il n’y aurait pas de place à temps pour que je puisse avorter dans les délais", a confié la députée de La France insoumise, Clémentine Autain, lors de sa première intervention. Elle a, par ailleurs, rappelé que les délais de plusieurs pays européens excédaient déjà 12 semaines, et même 14 semaines, à l’instar de "l’Angleterre, les Pays-Bas et la Suède". De fait, si la France adoptait l’extension à 14 semaines, elle rejoindrait l’Espagne, qui permet depuis 2010 l’accès à l’IVG en toute légalité jusqu’à ce stade, tout comme l’Allemagne et la Belgique, et resterait bien loin du Royaume-Uni et des Pays-Bas, actuellement à 24 semaines.
Comme sa collègue, le président du groupe LFI a soutenu la mesure, assumant de placer le débat sur un plan philosophique. "Si vous dites que la vie est un droit sacré dès l'instant qu'apparaît un fœtus, il faut interdire tout délai", a déclaré Jean-Luc Mélenchon. "Si vous dites que vous n'en savez rien, alors vous vous reposez sur l'être humain créateur de lui-même, là la femme qui apprécie elle-même sa liberté". Les bancs de la gauche de l'hémicycle ont massivement voté pour l'extension des délais.
Opposée à cette mesure, la députée non inscrite, mais élue avec le soutien du Front national en 2017, Emmanuelle Ménard, a affirmé que "le passage de 12 à 14 semaines marque une réalité physiologique, et oui, que cela vous plaise ou non, et je sais que ça en dérange certains, un bébé, à 14 semaines, suce son pouce". Tandis que la députée de La République en marche Catherine Fabre a rappelé que "d’après l’OMS, la viabilité du fœtus est établie à 19 semaines, il n’y a donc pas de changement dans la nature de l’embryon entre 12 et 14 semaines".
Aurore Bergé (LaREM) a quant à elle plaidé pour "un accès à l'avortement sans entrave", avant d'ajouter : "dans notre pays, nous avons vécu, nous-mêmes parfois, des entraves à l'IVG, nous avons vécu des délais qui étaient trop longs, des médecins qui nous ont obligées à écouter des battements de coeur, nous l'avons vécu !"
L’article premier allongeant le délai de l’IVG a finalement été voté à 102 voix pour, 65 contre.
La proposition de loi comporte également la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG, la possibilité pour les sages-femmes de réaliser des IVG chirurgicales jusqu’à la 10e semaine de grossesse, ou encore la suppression du délai de réflexion de deux jours, imposé afin de confirmer une demande d’avortement suite à un entretien psychosocial. Contrairement à celle de l’allongement du délai légal de l'IVG, cette dernière disposition a recueilli l’assentiment du gouvernement.
Pour sa rapporteure Albane Gaillot, l’ensemble des mesures proposées par le texte visent à éroder les obstacles à une prise en charge rapide en cas de recours à l'IVG, alors que le nombre de praticiens la pratiquant tendrait à décroître, et que de nombreux centres d’orthogénie ont fermé au cours de ces dernières années, laissant parfois des territoires privés de tout accès à ce droit, en particulier dans les zones rurales. Lors de l’examen du texte en commission, plusieurs députées avaient ainsi parlé de véritable "parcours de la combattante", pouvant avoir pour conséquence le dépassement du délai légal. Si les députés ont donc, d’ores-et-déjà, voté pour l’extension de ce dernier, le débat politique se poursuivra lorsque l'avis du Comité consultatif national d'éthique sera rendu, puis lors du passage de la proposition de loi au Sénat.