5 ans tout juste après leur sortie de l'UE, les Britanniques sont à l'heure du bilan : 55% d'entre eux disent aujourd'hui regretter le Brexit, loin des bénéfices promis. Le retour au pouvoir des travaillistes, en juillet, s'accompagne d'une volonté de "réinitialiser" les relations avec le Continent. Les 27 y sont prêts, mais pas à n'importe quelles conditions. Jusqu'où ce rapprochement pourrait-il aller ? Débat et décryptage dans "Ici l'Europe", avec les eurodéputés Sandro Gozi (Renew), Victor Negrescu (S&D) et l'ancien député britannique Dominic Grieve (Conservateur).
"Regretxit" : tel est, non sans humour, le nom inventé par les Britanniques pour traduire leur humeur, 5 ans après leur sortie de l'UE. Contraction de "regret" et de "Brexit", le terme traduit une forme de désillusion. Rien d'étonnant, selon l'ancien député conservateur Dominic Grieve qui dresse un bilan négatif : "Le pays n’est pas en bon état et c’est le résultat du Brexit. Nous souffrons plus que nos partenaires européens sur le plan économique et la remise en marche de notre économie n’a pour l’instant pas lieu". Même perception de l'autre côté de la Manche, pour l'eurodéputé franco-italien Sandro Gozi : "Le Brexit a été un échec flagrant" abonde-t-il. "Les exportations britanniques vers l'UE ont chuté de 25%", sans être compensées, comme cela avait été promis par les promoteurs du Brexit, par de nouveau accords bilatéraux négociés par le Royaume-Uni avec le reste du monde.
Dans ces conditions, la question d'un rapprochement avec le Continent se pose de nouveau. Le retour des travaillistes au pouvoir à Londres, en juillet, s'accompagne d'une volonté de "réinitialiser" ("reset") les relations avec l'UE. Le premier ministre Keir Starmer a rencontré la présidente de la commission européenne Ursula Von Der Leyen dès l'automne, et il doit assister le 3 février à un conseil informel des chefs d'États de l'UE.
"Le retour des travaillistes a réchauffé les relations avec l’UE", explique l'eurodéputé roumain et vice-président du Parlement européen Victor Negrescu. "On va dans une bonne direction, dans le sens où on réfléchit à une façon de mieux coopérer, sur les questions économiques mais également de sécurité". Mieux coopérer, mais en pensant avant tout à l'intérêt de l'UE, prévient Victor Negrescu : "Il faut trouver les modalités afin qu’on ait un rapprochement mais en même temps qu’on ne permette pas au Royaume-Uni de choisir seulement ce qu’il veut en terme de coopération", souligne-t-il.
Première étape, le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, a proposé le 23 janvier aux Britanniques de rejoindre l'espace douanier paneuropéen méditerranéen. Cette union douanière, qui facilite les échanges entre ses membres, est cependant loin du marche unique quitté par le Royaume-Uni. "Les travaillistes sont allés un peu loin pendant les élections en disant "on ne veut pas rejoindre le marché unique ni l’union douanière" : ils ont restreint leurs marges de manœuvre, décrypte Sandro Gozi. "Maintenant qu’ils veulent rétablir une nouvelle relation commerciale avec nous, nous sommes en train de regarder quelles sont les domaines, les conventions que l’on peut utiliser", justifie-il. Cet espace douanier paneuropéen est donc "un pas en avant, mais ce n’est pas la réponse dont les Britanniques auraient besoin".
"Pour l’instant le marché unique est un tabou pour les travaillistes", confirme Dominic Grieve, en particulier, en raison de la pression mise sur le sujet par l'extrême droite de Nigel Farage. "C’est une peur d’admettre que le Brexit a échoué. La vérité c’est que si nous rejoignons le marché unique il n’y a aucun raison pour ne pas réintégrer l’UE entièrement". Une perspective que l'ancien député conservateur croit néanmoins possible "d'ici une dizaine d'années", à condition d'y aller "pas à pas". Alors une réintégration est-elle envisageable ? "Pourquoi pas ?" répond Victor Negrescu. "Il faut avoir du courage".
Mais dans l'immédiat, l'option privilégiée des deux côtés de la Manche reste celle de coopérations renforcées. "On peut avancer dans la sécurité militaire, la coopération policière, la lutte contre la criminalité organisée, contre l’immigration irrégulière (...) ; la défense", liste Sandro Gozi. "Nous voulons avancer aussi dans les opportunités pour la jeunesse. On dit rétablissons des échanges !", plaide celui qui est aussi président de la délégation UE-Royaume Uni au Parlement européen.
Le contexte pourrait aider à ces rapprochements, entre Poutine et la guerre en Ukraine à l'Est, et l'imprévisibilité de Trump à l'Ouest. "Pour la défense, particulièrement, il y aura une nécessité de coopération à l’échelle européenne" juge Dominic Grieve. Et de conclure ; "L'opinion publique au Royaume-Uni va continuer de se pencher de plus en plus vers la fin du Brexit".