Auditionnés jeudi par la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi organique "portant réforme du financement de l'audiovisuel public", Delphine Ernotte Cunci, la PDG de France Télévisions, ainsi que Sibyle Veil, son homologue de Radio France, ont plaidé pour l'adoption du texte. Selon elles, celui-ci permettra de préserver "l'indépendance" des médias publics.
Deux ans après la suppression de la redevance télé, comment financer l'audiovisuel public ? C'est à cette question que s'apprête à répondre l'Assemblée nationale qui doit examiner, dans un temps contraint, la proposition de loi organique portant "réforme du financement de l'audiovisuel public".
Adopté par le Sénat le 23 octobre, le texte sera examiné le 13 novembre par une commission spécialement constituée, avant d'être débattu dans l'hémicycle du Palais-Bourbon, le 19 novembre. Installée cette semaine, la commission spéciale a décidé d'organiser en urgence une session d'auditions, afin de préparer le travail législatif à venir.
C'est dans ce cadre que, ce jeudi 7 novembre, les députés ont entendu les dirigeants de l'audiovisuel public : la PDG de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, son homologue de Radio France, Sibyle Veil, le président du directoire d'Arte France, Bruno Patino, le PDG de l'Ina, Laurent Vallet, ainsi que la PDG de France Médias Monde, Marie-Christine Saragosse, et la PDG de TV5 Monde, Kim Younes. Toutes et tous ont soutenu le texte, qui permet de maintenir le financement actuel de l'audiovisuel public, basé sur une fraction du produit de la TVA. Selon eux, c'est "l'indépendance" des médias publics qui est en jeu.
Depuis la suppression de la redevance télévision en 2022, l'audiovisuel public (France télévisions, Radio France, France Médias Monde, TV5 Monde, Arte et l'INA) est financé par une fraction du produit de la TVA. Ce mécanisme de financement, provisoire, est en l'état actuel de la législation prévu pour s'éteindre à la fin de l'année 2024.
Sans adoption d'une loi sur ce sujet par le Parlement, le financement de l'audiovisuel public serait ensuite assuré par le budget général de l’Etat, c'est-à-dire par une ligne budgétaire votée dans le projet de loi de finances. Une hypothèse rejetée par les dirigeants de l'audiovisuel public, qui souhaitent à tout prix éviter cette "budgétisation".
"Cela serait un échec pour notre démocratie", a expliqué jeudi la présidente-directrice générale de Radio France, Sibyle Veil. Une budgétisation des ressources de l'audiovisuel public poserait, selon elle, la question de son "indépendance" vis-à-vis du pouvoir politique et risquerait de mettre la France en "infraction avec le droit communautaire". Sibyle Veil a rappelé que le règlement européen sur la liberté des médias entrera pleinement en vigueur en août 2025 : celui-ci prévoit dans son article 5 que "les fournisseurs de médias de service public" disposent de ressources "de nature à permettre que l’indépendance éditoriale soit préservée".
La présidente-directrice générale de France Médias Monde (France 24, RFI), Marie-Christine Saragosse, a quant à elle pointé le risque d'amoindrir le rayonnement de l'audiovisuel public : "Sur Youtube, les chaînes sont qualifiées de chaînes gouvernementales ou de chaînes de service public en fonction de cette modalité objective, la modalité de financement." Or, selon elle, le fait d'être qualifié de "chaîne gouvernementale" sonne "très vite" comme "chaîne de propagande"... "Le budgétisation, pour Arte, serait une remise en question fondamentale du traité international qui nous lie avec l'Allemagne", a quant à lui mis en garde Bruno Patino, le président du directoire d'Arte France.
La proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public doit éviter cet écueil. Le texte prévoit qu'"un montant déterminé d'une imposition de toute nature peut (...) être directement affecté" aux entreprises de l'audiovisuel public. Cette rédaction permettrait donc de maintenir au-delà de 2024 le mécanisme actuel de financement de l'audiovisuel public par une fraction du produit de la TVA. Il permettrait aussi l'éventuel rétablissement d'une redevance télé.
La présidente-directrice générale de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, s'est dite "très favorable" au texte. Un avis partagé par ses homologues. "Il appartiendra ensuite au débat en projet de loi de finances de déterminer quelle est la nature de cette imposition", a déclaré la dirigeante. Compte tenu du calendrier, les dirigeants de l'audiovisuel public ont plaidé pour une adoption rapide du texte : "Seul un vote conforme nous permet de respecter les délais et d'éviter l'année prochaine la budgétisation", a expliqué Delphine Ernotte Cunci, invitant ainsi les députés a valider la même version de la proposition de loi que les sénateurs, ce qui vaudrait adoption déinitive par le Parlement.
Une méthode qui n'a pas totalement convaincu Aurélien Saintoul (La France insoumise), qui n'écarte pas l'idée de voter en faveur de la proposition de loi, mais qui préférerait écrire une "nouvelle version" du texte pour instaurer une "redevance progressive". "A charge [ensuite] pour le gouvernement de faire le nécessaire rapidement, avant le 31 décembre, et de mettre en œuvre un projet de loi de finances rectificative, afin d'implémenter au plus vite cette ressource", a-t-il estimé.
"Jamais nous n'arriverons à la mettre en œuvre avant la fin de l'année", a répondu Emmanuel Grégoire (Socialistes), qui s'est donc dit favorable à vote conforme du texte même si celui-ci constitue, selon lui, une "méthode palliative que le gouvernement par son inconséquence nous impose dans l'urgence". "Il nous reste, par rapport à mardi, deux semaines pour voter la proposition de loi à l’identique [ainsi que pour assurer son] passage au Conseil constitutionnel pour qu'elle soit validée", a souligné Denis Masséglia (Ensemble pour la République).
De son côté, la présidente de la commission spéciale, Sophie Taillé-Polian (Ecologiste et social), espère encore pouvoir faire voter le principe d'une redevance progressive lors de l'examen du projet de loi de finances 2025. "On peut prévoir que le débat [sur le budget] n'ira pas à son terme", a-t-elle toutefois reconnu, se disant donc prête, elle aussi, à voter la proposition de loi organique qui constitue, selon elle, une "garantie très intéressante".
Le groupe Rassemblement national a, quant à lui, indiqué qu'il "s'opposera totalement" à une éventuelle restauration de la redevance, qui serait une "taxation des Français qui sont déjà étranglés par une fiscalité toujours plus forte". Jeudi après-midi, profitant de l'audition de représentants syndicaux des entités de l'audiovisuel public, Bruno Clavet (RN) a, par ailleurs, dénoncé la "couverture totalement biaisée" des élections américaines et fustigé une volonté "d'imposer une vision du monde fantasmée qui sert la soupe à l'extrême gauche". Avant de conclure : "Vivement la privatisation !"
Des propos "insultants" qu'il ne faut pas "banaliser", a réagi Emmanuel Grégoire (Socialistes). Et Sophie Taillé-Polian (Ecologiste et social) de mettre en garde : "Nul dispositif ne pourra prémunir les entités de l'audiovisuel public d'une volonté politique, clairement exprimée par le représentant du RN, de détruire l'audiovisuel public [en le privatisant]", a-t-elle estimé.