Lutte contre le narcotrafic : coup d'envoi de l'examen du texte dans l'hémicycle de l'Assemblée

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Gérald Darmanin Bruno Retailleau LCP 04/03/2025
Gérald Darmanin et Bruno Retailleau auditionnés à l'Assemblée, le 4 mars 2025 (© LCP)
par Maxence Kagni, le Dimanche 16 mars 2025 à 20:23, mis à jour le Dimanche 16 mars 2025 à 20:30

Les députés examinent, à partir de ce lundi 17 mars, la proposition de loi visant à "sortir la France du piège du narcotrafic". Au stade de la commission, plusieurs mesures votées au Sénat ont été supprimées, tandis qu'un amendement du gouvernement créant un nouveau régime carcéral d'isolement pour les narcotrafiquants les plus dangereux a été adopté. Cette semaine, le débat aura lieu dans l'hémicycle. 

Création d'un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), lutte contre le blanchiment, procédure pénale simplifiée, nouveaux outils pour les enquêteurs… La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale à partir de ce lundi. L'Assemblée nationale entame, ce lundi 17 mars, l'examen en séance publique de la proposition de loi visant à "sortir la France du piège du narcotrafic".

Le texte, initié par les sénateurs Etienne Blanc (Les Républicains) et Jérôme Durain (Parti socialiste), est soutenu par les ministres de la Justice, Gérald Darmanin, et de l'Intérieur, Bruno Retailleau"Le narcotrafic est la cause racine de l'hyperviolence qu'on voit partout en France et il est devenu une menace existentielle sur nos institutions", a notamment expliqué le ministre de l'Intérieur, auditionné le 4 mars par la commission des lois, en compagnie de son collègue de la Justice.

Parmi les mesures phares du texte figurent la création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) en juillet 2026, ou encore l'instauration d'un nouveau régime de détention pour les détenus les plus dangereux voulu par Gérald Darmanin. D'autres dispositions, plus controversées, ont été supprimées en commission.

Parquet spécialisé : un "changement d'approche"

Basé à Paris, le Pnaco sera le fer de lance d'un "changement d'approche" en matière de lutte contre le criminalité organisée, a indiqué Bruno Retailleau lors de l'audition du 4 mars. Ce parquet spécialisé pourra se saisir des "affaires du haut du spectre", c'est-à-dire des personnes qui présentent les signes de dangerosité les plus élevés.

Ce Pnaco ne prendra pas toutes les affaires de criminalité organisée. Gérald Darmanin (ministre de la Justice)

Le texte crée, en outre, un nouveau régime de détention pour les détenus les plus dangereux, avec une capacité de téléphoner réduite, un régime d'isolement strict et un recours par défaut à la visioconférence pour limiter au maximum les extractions judiciaires afin de réduire les risques d'évasion. 

Saisi pour avis par Gérald Darmanin sur ce régime carcéral d'isolement, le Conseil d'Etat a rendu ses conclusions en fin de semaine dernière, faisant plusieurs suggestions. Il a notamment considéré que la durée d'affectation à ce régime carcéral fixée à quatre ans par le ministre n'était "pas proportionnée", estimant "préférable" de la ramener à "deux ans renouvelable sous conditions". A la suite de cet avis, le ministère de la Justice a fait savoir samedi qu'il serait "favorable" à un amendement fixant cette durée "à deux ans renouvelable".

A propos de la visioconférence, le Conseil d'Etat a suggéré de limiter ce dispositif aux seules personnes détenues ayant fait l'objet d'une affectation au sein d'un quartier de haute sécurité. Le ministère, qui est également favorable à ce point, a précisé que la généralisation de la visioconférence ne s'appliquerait "pas à la phase de jugement au tribunal".

Des mesures phares supprimées en commission, réintroduites dans l'hémicycle ? 

En commission, les députés ont supprimé certaines mesures controversées. C'est le cas de la procédure d'injonction pour "richesse inexpliquée", qui portait une atteinte "trop disproportionnée à la présomption d'innocence", selon Eric Pauget (Droite républicaine), l'un des rapporteurs du texte.

La commission des lois a aussi supprimé la possibilité pour les enquêteurs d'accéder, sous conditions, à des conversations issues de messageries chiffrées. La disposition, soutenue par Bruno Retailleau, a été jugée "dangereuse" et "intrusive" : "C'est assez hallucinant qu'un tel article ait été introduit par le biais d'un amendement en séance au Sénat, alors que la question (...) mériterait un projet de loi à lui seul", a pointé Roger Vicot (Socialistes), un autre rapporteur de la proposition de loi. 

Egalement supprimé par les députés en commission : le dossier-coffre, un procès-verbal distinct destiné à ce que les avocats de la défense n'aient pas accès aux techniques d'enquête utilisées. L'objectif était de limiter les informations potentiellement livrées aux criminels : "Le but du dossier-coffre, c'est d'empêcher les narcotrafiquants et leurs réseaux de lire certaines informations qu'ils tirent des compte rendus aux procès-verbaux, et qui peuvent mettre en danger les enquêteurs", a expliqué le troisième rapporteur, Vincent Caure (Ensemble pour la République).

Dans une interview au ParisienBruno Retailleau a affirmé que ce "dossier-coffre" était "essentiel pour protéger [les] enquêteurs ou [les] informateurs de ces mafieux". Le ministre de l'Intérieur a donc l'intention d'essayer de réintrioduire cette mesure par voie d'amendement, précisant que "du début à la fin, il sera placé sous le contrôle des magistrats". Et le ministre de souligner que le Conseil d'Etat a "ratifié ce dispositif et estime qu'il respecte le droit". Dans son avis, la plus haute juridiction administrative française a considèré que ce dispositif ne "se heurte à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel". Le Conseil d'Etat a cependant préconisé de restreindre l'usage du "dossier coffre" à certains cas, par exemple pour éviter la mise en danger de la vie d'autrui.

Bruno Retailleau souhaite aussi que le dispositif permettant de pénétrer dans les messageries cryptées soit réintroduit dans le texte en séance, argumentant : "Il ne s'agit pas de mettre en place une surveillance généralisée mais de définir avec tous les opérateurs les moyens qui permettront aux services de renseignement d'empêcher les règlements de compte, des trafics d'êtres humains et des attentats".