Lutte contre le tabac : les nouvelles stratégies des industriels passées au crible des députés

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par Soizic BONVARLET, le Mercredi 24 septembre 2025 à 16:47, mis à jour le Jeudi 25 septembre 2025 à 10:13

Lors d'une table ronde organisée à l'initiative de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, les industriels du tabac ont fait face aux députés, ces derniers appelant à poursuivre et amplifier la lutte contre la cigarette. Un peu plus tôt, lors d'une autre table ronde, des responsables d'associations et des professionnels de santé ont rappelé que le tabac représente la première cause de décès prématurés évitables et qualifié l'Etat d'"allié objectif" de cette industrie.

75 000 décès chaque année en France. C'est le chiffre sans appel martelé, ce mercredi 24 septembre, au sein de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, s'agissant des ravages de l'industrie du tabac. Soit 13% de la totalité des décès. Et un manque à gagner estimé à 16 milliards d'euros pour la Sécurité sociale.

Les jeunes, cible de prédilection de l'industrie du tabac ?

"Le tabac appauvrit l’Etat français tous les ans. L’Etat français perd de l’argent à vendre du tabac et à se faire l’allié objectif de l’industrie du tabac", a dénoncé devant les députés Loïc Josseran, de l'Alliance contre le tabac (ACT), qui prône la "dénormalisation" de la consommation et à terme l'interdiction de la vente libre de tabac. Et de vivement dénoncer la responsabilité des buralistes, notamment auprès de la jeunesse, énonçant le chiffre de 60% d'entre eux qui "vendent sans aucun contrôle auprès des mineurs", alors que la loi interdit la vente de tabac et de produits de vapotage aux moins de 18 ans. Loïc Josseran s'est toutefois réjoui d'une "baisse historique" de la consommation chez les moins de 16 ans.

Le président du Conseil national contre le tabagisme (CNCT), Yves Martinet, a également dénoncé les buralistes qui "recrutent" les jeunes, notamment via les nouveaux produits alternatifs à la cigarette traditionnelle, afin de s'assurer des consommateurs pour les décennies à venir. Le pneumologue prône aussi "des mesures dissuasives", pénalités financières ou fermetures administratives, afin que les buralistes respectent mieux l'interdiction de vente aux mineurs.

Le psychiatre et addictologue Amine Benyamina a, pour sa part, pointé la "désuétude" de la loi Evin depuis l'avènement des réseaux sociaux, avant de rappeler que le tabagisme constituait un "révélateur des inégalités de santé". "30% des personnes aux revenus les plus faibles fument quotidiennement", a-t-il souligné, évoquant un rapport de "un au double" par rapport aux populations plus aisées.

"La question n’est pas de savoir si le tabac est un produit dangereux ou non, il l’est. La question est de savoir si l’on souhaite que ce produit soit distribué par des opérateurs légaux et contrôlés, ou par des réseaux mafieux", a tenté de défendre la responsable des affaires réglementaires de Japan Tobacco International, Marine Sauce, auditionnée avec d'autres acteurs du tabac un peu plus tard. "Nous présenter comme la source du problème est une erreur de diagnostic", a-t-elle aussi considéré. Quelques minutes plus tôt, le député Hadrien Clouet (La France insoumise) s'était étonné "que l'Assemblée nationale [reçoive] une industrie qui tue délibérement 75 000 personnes par an".

Les industriels chargent le "commerce illicite"

Qualifiant le commerce parallèle de "fléau national", Marine Sauce a pointé la responsabilité de la "politique fiscale agressive ininterrompue depuis de nombreuses années" contribuant à la demande de produits moins chers hors du circuit légal, et à un risque accru en terme de traçabilité. Au cours de la première table ronde, Loïc Josseran (ACT) avait pourtant mis en évidence, contrairement aux dires de l’industrie du tabac, la part "très faible" du commerce illicite, citant les chiffres de 80% des cigarettes vendues au sein du réseau des buralistes, 15 à 20% en dehors de ce circuit mais de façon légale notamment dans les duty free, et 5% des ventes opérées de manière illégale, dont seulement 1% à la sauvette.

Les politiques de lutte contre le tabac sont efficaces. C'est d'ailleurs bien pour cela que vous avez essayé d'anticiper en ayant une dérive vers les produits nicotiniques. Michel Lauzzana (député EPR) s'adressant aux industriels du tabac

Alors que Stéphanie Martel (Philipp Morris) n'a pas hésité à fustiger le "retard de la France dans la lutte contre le tabagisme" par l'"application outrancière du principe de précaution" et l'"hypertaxation" selon elle inefficaces, le député Michel Lauzzana (Ensemble pour la République) a dénoncé une "argumentation fausse". "Les politiques de lutte contre le tabac sont efficaces. C'est d'ailleurs bien pour cela que vous avez essayé d'anticiper en ayant une dérive vers les produits nicotiniques", a fait valoir l'élu, dénonçant "une stratégie très agressive de communication vis-à-vis des jeunes". "Nous pensons fermement que la cigarette électronique est un produit pertinent de réduction des risques liés au tabagisme, puisqu’elle ne contient pas de tabac et n’implique pas de combustion", avait déclaré un peu plus tôt Caroline Brabant (Imperial Brands). "La nicotine, c'est bien le produit qui crée une addiction", a rétorqué Michel Lauzzana.