Mariage pour tous : la loi "ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe" a dix ans

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La ministre de la Justice et Garde des Sceaux Christiane Taubira dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale lors du vote solennel en deuxième lecture du projet de loi "ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe", le 23 avril 2013 à l'Assemblée nationale.
La ministre de la Justice et Garde des Sceaux Christiane Taubira dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale lors du vote solennel en deuxième lecture du projet de loi "ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe", le 23 avril 2013 à l'Assemblée nationale.
Crédits photo : Eric Walter. Licence Creative commons.
par Léonard DERMARKARIAN, le Dimanche 23 avril 2023 à 00:05, mis à jour le Mardi 2 mai 2023 à 10:12

Le 23 avril 2013, le projet de loi "ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe" était définitivement adopté par le Parlement à l'issue d'un vote de l'Assemblée nationale. Dix ans plus tard, 70.000 mariages ont été célébrés et l'union des couples homosexuels ne fait plus débat. Archives LCP à l'appui, retour sur l'adoption d'un texte qui a vu s'affronter des visions différentes de la famille, ainsi que de l'égalité des droits, et marqué une évolution de la société. 

C'était il y a dix ans. A l'issue d'un vote à l'Assemblée nationale, la France devient le quatorzième pays dans le monde, et le neuvième en Europe, à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe. Promesse de campagne de François Hollande, candidat du Parti socialiste élu à la présidence de la République le 6 mai 2012, le projet de loi "ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe", présenté en Conseil des ministres le 7 novembre 2012, est définitivement adopté par le Parlement le 23 avril 2023, suite à un vote en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, et promulgué le 17 mai 2013.

L'engagement du gouvernement Ayrault et de la ministre de la Justice d'alors, Christiane Taubira, s'inscrit dans une temporalité politique de lutte pour l'égalité des droits entre couples hétérosexuels et homosexuels dans laquelle la gauche française était engagée depuis les années 1990. Considéré comme un - si ce n'est le - marqueur sociétal du quinquennat Hollande, le "mariage pour tous" constitue un moment paroxystique avec des débats politiques au cours desquels des visions différentes de la famille s'opposent de façon exacerbée au Parlement, mais aussi dans la rue, avant, pendant et après le processus législatif. Dix ans plus tard, en revanche, rares sont les acteurs politiques qui se sont opposés au texte à l'époque à ne pas avoir évolué sur le sujet. 

"Je me suis trompé" a ainsi déclaré vendredi 21 avril, Gérald Darmanin dans une interview accordée à La Voix du Nord. "Dix ans après, j'ai pu constater que le mariage homosexuel, comme l'adoption par les couples homosexuels, ne changent rien et que les craintes qui avaient été exposées par la droite, et notamment dans ma famille politique, étaient infondées" indique le ministre de l'Intérieur dans cette interview, ajoutant : "Si c'était à refaire, je voterais le texte". 

Après le PACS, l'horizon du "mariage pour tous"

L'élection de François Hollande, ramenant la gauche au pouvoir pour la première fois depuis le gouvernement de Lionel Jospin entre 1997 et 2002, s'accompagne de fortes attentes sociétales. Le candidat socialiste souhaite, avec le mariage pour tous, poursuivre la politique d'égalité des droits en faveur des couples de même sexe menée par les précédents gouvernements socialistes qui ont notamment instauré le contrat d'union civile (CUC) en 1991, le pacte civil de solidarité (PACS) en 1999. 

Alors que les mouvements de libération des minorités sexuelles et de genre se sont souvent construits dans les années 1970 contre les institutions sociales existantes, jugeant tantôt le mariage comme un "piège à con", tantôt appelant au "bouleversement des mœurs", la question de l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe se fait de plus en plus vive dans les années 2000.

Certaines actions symboliques, comme l'organisation illégale et médiatisée du premier mariage gay par le maire écologiste de Bègles Noël Mamère, en 2004, rencontrent un certain écho dans la société (voir une archive de l'INA ici). Ces actions nourrissent, concomitamment, désir et réticences d'égalité des droits, et incitent progressivement les partis politiques à s'en emparer, notamment le Parti socialiste lors de l'élection présidentielle de 2012.

Débats exacerbés à l'Assemblée nationale et manifestations dans la rue 

A l'époque, au fil des mois, le projet de loi, puis la loi, se heurtent à l'opposition acharnée et persistante de "La Manif pour tous", notamment emmenée par Frigide Barjot, l'une de ses figures médiatiques. Les manifestations contre le mariage pour tous sont parmi celles qui rassemblent le plus de monde dans la rue depuis le projet de loi sur l'école libre en 1984, l'équivalent d'un "Mai 68 conservateur" selon le politologue Gaël Brustier. 

Les six mois d'examen du texte donnent également lieu à une "libération de la parole anti-LGBTI" selon un récent rapport de la Délégation Interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). De nombreuses intimidations et violences sont commises à l'encontre des personnes LGBT (voir par exemple ici ou ). Des violences et intimidations qui concernent également des élus engagés en faveur du mariage pour tous, comme le député du Parti socialiste et rapporteur du projet de loi, Erwann Binet, racontant dans le Grand format de LCP "Jusqu'à ce que la loi les sépare" les multiples intimidations et menaces de mort reçues.

A l'Assemblée nationale, l'examen du texte donne lieu à des débats particulièrement âpres, souvent exacerbés, au cours desquels s'expriment des visions de la famille et de l'égalité des droits qui paraissent, à l'époque, irréconciliables. Dans l'hémicycle du Palais-Bourbon et dans les médias, quelques élus incarnent cet affrontement. Parmi eux, d'un côté Erwann Binet (PS) et Patrick Bloche (PS) qui défendent le texte, de l'autre côté des députés comme Hervé Mariton (UMP) et Philippe Gosselin (UMP), qui s'y opposent farouchement. Outre les arguments de fond, de fréquentes passes d'armes ont aussi lieu entre la gauche qui accuse la droite d'obstruction, tandis que la droite à l'instar de Patrick Ollier (UMP) accuse la majorité et le gouvernement de "bâillonner l'opposition"

Le 23 avril 2013, passées les explications de vote et un incident en tribune qui perturbe la séance, le vote solennel a lieu dans un hémicycle plein. Au terme du scrutin, le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, annonce l'adoption, par 331 voix "pour", 225 voix "contre" et 10 abstentions, du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, "après 136 heures et 56 minutes" de débats parlementaires (résultat du scrutin public ici). Après le vote solennel, la Ministre de la Justice, Christiane Taubira, salue un "texte généreux" qui "[lutte] contre les discriminations".

La "PMA pour toutes" : un long processus législatif, mais des débats plus apaisés

La décennie passée offre les premiers retours statistiques et sociologiques sur la loi, promulguée le 17 mai 2013. Depuis cette date, hormis un pic de 11.000 mariages en 2014, environ 7.000 mariages de couples de personnes de même sexe par an sons célébrés, soit un total d'environ 70.000 en dix ans, selon l'Insee. Un chiffre restant nettement inférieur au nombre de couples de personnes de même sexe qui se pacsent chaque année, comme l'indique le graphique ci-dessous (également disponible ici).

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Mariages et PACS en France depuis 2000. Source : Insee

Si la promulgation de la loi était, à l'époque et pour beaucoup à droite, le début d'une nouvelle étape dans la lutte contre le mariage pour tous force est de constater que, dix ans plus tard, à de rares exceptions près, le sujet ne fait plus débat et qu'aucun responsable politique de premier plan n'affiche plus la volonté de revenir en arrière. En 2016 déjà, Buzzfeed faisait le point sur l'évolution d'un certain d'élus ou d'anciens élus, parmi lesquels l'ancien Président Nicolas Sarkozy. Une évolution affichée par Gérald Darmanin, dans La Voix du Nord et sur Twitter, trois jours avant la date anniversaire du mariage pour tous. 

Dix ans plus tard, il apparaît que l'adoption du mariage pour tous a consacré une évolution de la société avec, au fil des années, plusieurs avancées législatives qui ont contribué à une plus grande visibilité et à une plus grande acceptation des minorités sexuelles et de genre. Après avoir fait l'objet de débats lors de l'examen du projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels, puis s'être transformée en arlésienne lors de la suite du quinquennat de François Hollande et avoir été une promesse de campagne d'Emmanuel Macron en 2017, la procréation médicalement assistée (PMA) a été ouverte à toutes les femmes par la loi bioéthique de 2021. Le texte a été adopté au terme d'un long processus législatif qui s'est cependant déroulé dans un climat plus apaisé que le mariage pour tous. 

Face aux LGBTphobies, de nouvelles actions gouvernementales à venir

En dépit d'avancées législatives importante et d'une évolution globale de la société, un récent rapport de la Dilcrah constate notamment que le niveau de violence contre les personnes LGBT+ reste "toujours élevé" et appelle à des "États généraux de la haine anti-LGBTI+" , afin de faire reculer les crimes de haine contre les minorités sexuelles et de genre en France (voir ici et ), alors que les victimes portent rarement plainte. 

Au-delà des rapports et de l'expertise institutionnelle, Gérald Darmanin annonce dans son interview à La Voix du Nord plusieurs mesures destinées à mieux lutter contre l'homophobie, notamment un renforcement de la formation des forces de sécurité intérieure. Le ministre de l'Intérieur indique également sur Twitter qu'il recevra les associations LGBT "à Beauvau dans les prochains jours".