Le groupe Socialistes de l'Assemblée nationale a déposé, ce lundi 17 février au soir, sa motion de censure sur les valeurs de la République, annoncée après les propos de François Bayrou sur le "sentiment de submersion" migratoire fin janvier. Le texte sera débattu dans l'hémicycle, mercredi 19 février, sans véritable risque pour le gouvernement, le Rassemblement national ayant fait savoir qu'il ne votera pas cette motion de censure.
La motion de censure court sur trois pages et est signée par les 66 députés du groupe Socialistes et apparentés. Déposé ce lundi 17 février au soir, en vue d'un examen mercredi, le texte revient sur la séquence budgétaire depuis le gouvernement de Michel Barnier, qui avait engagé un "dialogue exclusif" avec le Rassemblement national, jusqu'à celui de François Bayrou, "qui n’a que trop partiellement accepté de faire des concessions". Le budget voté par le Parlement "ne répond pas aux attentes des Français" et "n’est pas celui des députés signataires de la présente motion", écrivent-ils.
On ne saurait accepter que l’extrême droite inspire les lois ou pire encore les dicte.
Surtout, déplorant que "le Premier ministre a[it] repris les mots funestes de Jean-Marie Le Pen" en évoquant un sentiment de "submersion" migratoire, les socialistes insistent : "On ne saurait accepter que l’extrême droite inspire les lois ou pire encore les dicte." Or, estiment-ils, le gouvernement, dont "on attend qu'il résiste à la pente fatale" et non qu'il "s’y précipite", "a cédé aux passions tristes de l’extrême droite (...) par la voix de plusieurs de ses ministres".
Listant plusieurs textes législatifs, comme la proposition de loi relative à la justice des mineurs, la "remise en cause" du pacte vert, ou encore le débat sur le droit du sol, le groupe Socialistes considère que le gouvernement "doit s’ériger comme un rempart" pour faire face "aux attaques contre notre modèle démocratique" notamment. "Celui de François Bayrou n’en est pas un. Pire, (...) il est l’accélérateur de nombreux affaissements politiques et moraux", concluent les auteurs de la motion, appelant à la censure du Premier ministre et de son équipe.
"Le moins que l'on puisse demander à François Bayrou, c'est de ne rien céder à tout ce qui peut ressembler à une trumpisation de la vie politique. Raconter n'importe quoi, c'est du pétrole pour l'extrême droite !", explique à LCP un cadre du groupe Socialistes, pour qui "traiter la question de l'immigration de manière désinvolte, avec des coups de menton, est dangereux".
Mais cette motion de censure dite spontanée (à la différence d'une motion provoquée par un 49.3) ne sera pas adoptée, sauf volte-face du Rassemblement national. La raison ? L'angle d'attaque des socialistes, qui ont déposé ce texte pour s'opposer au "sentiment du submersion" migratoire évoqué par François Bayrou.
"Non, nous ne la voterons pas parce que le Parti socialiste l'a déposée pour une seule et unique raison : revenir et contester les propos de bon sens, même s'ils sont insuffisants, du Premier ministre", a déclaré dimanche le député RN Thomas Ménagé sur France Inter. "L'heure n'est pas venue de censurer" le gouvernement, a-t-il ajouté. Ce qu'avait déjà affirmé le président du parti, Jordan Bardella, le 13 février sur France 5. Même tonalité par la voix de Sébastien Chenu, ce lundi matin, sur FranceInfo.
Malgré la rupture entre socialistes et insoumis, le groupe de LFI votera la motion de censure, tout comme les députés écologistes et communistes. Non sans critiquer l'attitude du parti à la rose. "C'est lamentable. Le PS a refusé cinq motions de censure et sauvé Bayrou", a fustigé Jean-Luc Mélenchon dans La Tribune Dimanche. Mais les voix de gauche ne suffiront pas à faire adopter le texte, et donc à faire tomber le gouvernement Bayrou.
Alors, un coup pour rien cette motion de censure ? "Donc la motion de LFI sur le 49-3 était aussi un coup pour rien ?", car elle n'avait pas de chances d'aboutir, interroge, en réaction, Laurent Baumel (Socialistes), rejoint par son collègue Arthur Delaporte, l'un des porte-parole du groupe PS, qui rappelle que seules deux motions de censure "ont marché" depuis le début de la Ve République. Et de compléter : "Nous ne déposons pas nos motions de censure en fonction de ce que dit ou pense le RN, mais en fonction de ce que nous croyons."
L'objectif sera avant tout "d'exprimer l'idée que d’avoir consenti à l'existence d'un budget ne vaut pas approbation de la politique de ce gouvernement, et encore moins de ses clins d’œil au RN", développe Laurent Baumel.
Il est important de refaire bloc autour du sujet des valeurs qui nous unit et unit toute la gauche. Pierrick cOURBON, député ps
La décision du dépôt d'un tel texte sur les valeurs avait été prise, début février par le bureau national du Parti socialiste, en même temps que celle de ne pas censurer le gouvernement lors de la séquence budgétaire. Une position qui avait également été décidée à l'époque pour tenter de tenir, en interne, les partisans des deux camps (censure et non-censure), autour d'une stratégie résumée d'un : "Non au gouvernement, oui à la nécessité d'un budget pour la France."
"Il est important de refaire bloc autour du sujet des valeurs qui nous unit et unit toute la gauche", indique à LCP Pierrick Courbon, qui a voté la motion de censure de La France insoumise sur le budget 2025, contre la ligne définie par le PS, comme cinq autres de ses camarades de groupe. Face au gouvernement Bayrou, "il faut, dans la période actuelle, remettre un certain nombre de boussoles sur le terrain des valeurs", poursuit-il.
Cette motion, "ça sert à réaffirmer qui on est et à rester unis", résume encore un socialiste. Aussi, renchérit l'un de ses collègues, à "dire qu'on n'a pas de sujet [au PS] avec le fait qu'un gouvernement doive changer". Ce ne sera, en tout cas, pas pour cette fois.