Présidentielle : des philosophies très différentes en matière de sécurité et de justice

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Un policier à Paris en mars 2022
Un policier à Paris en mars 2022 (Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)
par Raphaël Marchal, le Mardi 22 mars 2022 à 13:20, mis à jour le Samedi 26 mars 2022 à 15:04

Du rétablissement des peines planchers pour les uns, au démantèlement des brigades anticriminalité pour les autres, les candidats à l'élection présidentielle déploient un large éventail de propositions en matière de sécurité et de justice. 

Grand écart en matière de sécurité 

De manière unanime, les principaux candidats à l'élection présidentielle se prononcent pour le déploiement de davantage d'effectifs sur le terrain ou pour réformer en profondeur l'institution policière. Le Président sortant, Emmanuel Macron, promet ainsi de doubler la présence des policiers et gendarmes sur le territoire, avec la multiplication de brigades mobiles de la gendarmerie nationale. Dans le projet de loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure présenté en Conseil des ministres, mercredi 16 mars, est également évoqué le recrutement de 1 500 cyberpatrouilleurs. Le candidat de La République en marche prévoit en outre une "révolution" pour l'ordre public en France, avec la refondation de onze unités de forces mobiles.

Marine Le Pen et Éric Zemmour, partagent l'ambition de davantage protéger la police nationale au quotidien. La candidate Rassemblement national propose ainsi d'instaurer une "présomption de légitime défense" pour les forces de l'ordre, tandis que le candidat de Reconquête évoque le concept de "défense excusable", qu'il souhaiterait pouvoir également appliquer aux citoyens agressés qui tentent de se défendre. Le polémiste d'extrême droite se démarque, par ailleurs, par sa volonté de créer une "force nationale anti-drogues".

La candidate Les Républicains, Valérie Pécresse, souhaite pour sa part instaurer des "brigades 'coup de poing'" associant police, justice et fisc pour agir au sein des quartiers "gangrenés par la délinquance". Si elle est élue, toutes les villes de plus de 5 000 habitants devront se doter d'une police municipale armée. Plus symboliquement, elle souhaite inscrire dans la Constitution le "droit à la sécurité pour tous".

Sans surprise, à gauche, une toute autre vision de la sécurité est défendue. Jean-Luc Mélenchon plaide pour le rétablissement de la police de proximité, supprimée lorsque Nicolas Sarkozy occupait la place Beauvau en 2003. Avec l'objectif "d'abattre le mur de la méfiance réciproque entre police et population", précise le candidat de La France insoumise. Dans la même veine, l'IGPN, décriée par LFI pour son manque d'indépendance, serait supprimée et remplacée par une mission indépendante rattachée au Défenseur des droits. Une commission spéciale, chargée d'enquêter sur les morts et mutilations causées par la police, serait également mise en place.

La surenchère sécuritaire est toujours le signe que la société a échoué à régler un problème humain, social, éducatif et sanitaire. Programme de Jean-Luc Mélenchon (LFI)

En parallèle, Jean-Luc Mélenchon appelle à supprimer les fameuses brigades anticriminalité (BAC), à la "doctrine brutale". Il propose d'intégrer ces effectifs à la police de proximité. Même sort réservé aux BRAV-M, ces unités à moto déployées lorsque les manifestations dégénèrent. Le député des Bouches-du-Rhône prône également la disparition des polices municipales sous leur forme actuelle, appelées à intégrer la police de proximité après une formation des unités. Enfin, il promet d'abroger bon nombre de "lois sécuritaires inefficaces", d'interdire l'utilisation du taser et du lanceur de balles de défense (LBD) comme celle de la reconnaissance faciale.

Yannick Jadot, le candidat d'Europe Ecologie - Les Verts, convoque logiquement la création d'une "police de l'environnement", spécialement formée, qui aura vocation à traiter l'ensemble des dossiers concernés. En parallèle, un pôle environnement sera instauré dans chaque parquet, avec trois magistrats minimum. Dans son programme, Yannick Jadot fait la part belle à la lutte contre les violences policières et les discriminations dans la police. Il propose ainsi de ressusciter une vieille promesse de François Hollande, jamais appliquée au cours de son quinquennat : le récépissé remis lors des contrôles d'identité.

Pour sa part, Anne Hidalgo veut être la candidate de la "tranquillité des Français" en proposant notamment un renforcement de la présence des policiers et gendarmes sur le terrain, mais aussi leur meilleure "répartition" sur le territoire. La candidate socialiste veut, par ailleurs, des formations spécifiques sur la lutte contre l'antisémitisme, le racisme ou l'homophobie, et met l'accent sur la lutte contre les violences faites aux femmes.

Plusieurs candidats précisent leurs ambitions en matière d'investissements : Emmanuel Macron s'engage à augmenter le budget du ministère de l'Intérieur de 15 milliards d'euros sur 5 ans, dont plus de la moitié exclusivement consacrée à la modernisation numérique et à la lutte contre les cybermenaces. Valérie Pécresse évoque pour sa part 5 milliards d'euros d'investissements pour "reconquérir les territoires abandonnés de la République". Cet abondement servirait notamment à moderniser les équipements des forces de l'ordre (drones, intelligence artificielle, etc.).

Lutte contre le terrorisme

Bien que moins présente dans les esprits qu'en 2017, la lutte contre le terrorisme figure toujours parmi les priorités de certains candidats. Plusieurs lois ont été votées en la matière au cours du quinquennat qui s'achève : intégration de certaines mesures de l'état d'urgence dans le droit commun, création du parquet national antiterroriste, renforcement des moyens dévolus au renseignement. En outre, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a été érigée en chef de file de la lutte contre le terrorisme. Un bilan auquel s'ajoute la loi confortant le respect des principes de la République, notamment destinée selon les mots du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à lutter contre le "terreau du terrorisme".

Pour l'avenir, Jean-Luc Mélenchon insiste sur le renforcement des moyens de Pharos, la plateforme policière chargée des signalements sur Internet. Il préconise également de revenir sur la fusion entre les renseignements généraux et la direction de la surveillance du territoire (DST), vilipendée par le milieu du renseignement, et souhaite privilégier "l'infiltration humaine" plutôt que les nouvelles technologies.

Je ferai de votre sécurité la première priorité de mon quinquennat. Programme de Marine Le Pen (RN)

Marine Le Pen évoque ni plus ni moins que "l'éradication de l'islamisme" en interdisant la manifestation de toutes ses formes. Elle préconise en parallèle de renforcer les moyens dévolus au renseignement, la création d'un poste de procureur adjoint au procureur national antiterroriste, placé dans chacune des huit juridictions interrégionales spécialisées (Jirs).  Éric Zemmour va plus loin en promettant d'expulser tous les fichés S étrangers. Valérie Pécresse promet des mesures de sûreté contre les terroristes après leur sortie de prison et un accès des maires aux fichiers des personnes radicalisées, une demande portée de longue date par certains élus locaux.

Yannick Jadot préconise, lui, d'augmenter les moyens dévolus aux services de renseignement et de renforcer la coopération internationale, en mettant en place un "Erasmus pour la police".

Redorer le blason de la justice

Concernant le versant judiciaire, là encore les différents candidats déploient un arsenal de propositions variées, tous promettant le renforcement de cette institution malmenée et qui traverse une période de crise. Le recrutement massif de personnel judiciaire est mis en avant par plusieurs d'entre eux : 3 000 magistrats et autant de greffiers supplémentaires pour Éric Zemmour, 8 500 personnels de justice pour Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Valérie Pécresse, se targue de vouloir mettre en place un "plan Orsec" pour la justice à hauteur de 9 milliards d'euros si elle est élue à la tête de l’État, aboutissant au recrutement de 6 000 magistrats et 3 000 greffiers. La palme revient à Jean-Luc Mélenchon, qui propose de recruter 13 000 magistrats, 20 000 greffiers et 10 000 personnels administratifs.

Au-delà des effectifs, Emmanuel Macron souhaite réduire les délais de jugement et composer une "vraie équipe" autour des juges, tandis que Valérie Pécresse promet de limiter le jugement des délits du quotidien à six mois, et met l'accent sur la lutte contre la délinquance. Si elle est élue, la présidente du conseil régional d'Île-de-France mettra en place une comparution immédiate systématique pour les flagrants délits ou une circonstance aggravante pour les auteurs de crimes commis dans un quartier sensible.

La candidate LR partage, par ailleurs, quelques propositions avec Marine Le Pen et Eric Zemmour : c'est le cas sur le rétablissement des peines planchers (supprimées en 2014), sur l'abaissement de la majorité pénale à 16 ans ou sur l'exclusion des délinquants et de leurs familles des logements sociaux qu'ils occupent. Marine Le Pen et Éric Zemmour vont toutefois plus loin en défendant notamment l'instauration d'une "perpétuité réelle". Ils plaident également pour la suppression des remises de peines. Les deux candidats d'extrême droite se retrouvent aussi sur l'idée de d'expulser tous les délinquants et criminels étrangers.

Faisant le constat de la déshérence d'une institution "abandonnée", Jean-Luc Mélenchon promet d'établir la "justice de la VIème République". Transformation numérique, rénovation des juridictions, mise en lumière d'une justice civile trop souvent oubliée... Autant de propositions avancées par le candidat LFI. En matière pénale, il s'engage pour une réforme en profondeur, avec un accent mis sur la réparation et la réinsertion. Et prône un durcissement des peines en matière de corruption, de délinquance en col blanc et d'infractions environnementales. Un dernier point partagé par Yannick Jadot, qui, parmi ses propositions, met en avant la légalisation du cannabis. 

Du tout carcéral aux peines alternatives

Classiquement, la prison n'échappe pas au grand écart des candidats, et l'on retrouve aussi bien le tout carcéral que les peines alternatives. Emmanuel Macron a d'ores-et-déjà promis la construction de 15 000 places de prison supplémentaires d'ici à 2027, un chantier engagé durant son quinquennat. Marine Le Pen table, pour sa part, sur 85 000 places en 2027, contre environ 60 500 fin 2021. Éric Zemmour promet la construction de 10 000 places supplémentaires, et se pique de créer une "police pénitentiaire" destinée à "rétablir l'ordre" dans les prisons. 

A contrario, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo s'opposent au tout carcéral et ne tablent pas sur l'extension du nombre de places de prison. Le chef de file des insoumis souhaite renforcer les droits des gardés à vue comme des prisonniers et assurer la "dignité" des détenus en garantissant l'encellulement individuel. Le candidat écologiste promet pour sa part de donner davantage de moyens aux services de réinsertion et de procéder à une révision générale des peines. Il souhaite notamment développer les alternatives à l'emprisonnement. Une voie similaire à celle de la maire de Paris, qui vante l'efficacité des alternatives à l'incarcération : travaux d'intérêt général, amendes, ou encore bracelet électronique.