Principes républicains : les députés limitent l'instruction à domicile

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AFP
par Maxence KagniRaphaël Marchal, le Vendredi 22 janvier 2021 à 11:09, mis à jour le Vendredi 29 janvier 2021 à 10:30

Les députés de la commission spéciale ont validé la transformation du régime de déclaration de l'instruction en famille en un régime dérogatoire, plus strict. Prévue dans le cadre du projet de loi confortant les principes de la République, cette réforme devait initialement entrer en vigueur dès la prochaine rentrée scolaire. Les élus ont finalement repoussé l'échéance à 2022.

Les députés ont adopté ce vendredi en commission le controversé article 21 du projet de loi "confortant le respect des principes de la République". Celui-ci prévoit un encadrement plus strict de l'instruction en famille (ou instruction à domicile), un phénomène en pleine expansion. Aujourd'hui, selon la rapporteure, Anne Brugnera (La République en marche), ce phénomène touche 45.600 enfants, contre 3.000 il y a "une quinzaine d'années".

Le texte crée une "obligation de fréquenter un établissement d’enseignement public ou privé" et instaure des dérogations : en clair, l'instruction à domicile passe d'un régime de déclaration préalable à un régime d'autorisations, strictement définies.

Trois premiers motifs permettront, une fois le projet de loi définitivement adopté, le recours à l'instruction en famille : 

  • L'état de santé de l'enfant ou son handicap,
  • la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives,
  • l'itinérance de la famille ou l'éloignement géographique.

Un autre motif, plus large, le justifiera également : l'existence d'une "situation propre à l'enfant", motivant un "projet éducatif". Dans ce cas précis, les familles devront joindre à leur demande d'autorisation la présentation écrite de leur "projet éducatif" ainsi que les pièces "justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille". La notion de projet éducatif a été introduite via un amendement de Géraldine Bannier (Mouvement démocrate).

Hormis certains cas particuliers comme les maladies longue durée ou le handicap, l'autorisation sera donnée pour une durée d'un an. À noter que si l'administration ne répond pas à une demande d'autorisation dans un délai de deux mois, celle-ci sera considérée comme acceptée d'office.

"Aller à l'école"

"L'école de la République, c'est le facteur d'unité par excellence", a justifié Jean-Michel Blanquer.  Par ces mesures, le ministre de l'Education Nationale entend "mieux préciser la liberté de l'enseignement et donc la renforcer". Son but : "La défense des droits de l'enfant".

"Dans la très grande majorité des cas, l'intérêt supérieur de l'enfant est d'aller à l'école", a ajouté la rapporteure Anne Brugnera (La République en marche). La députée ajoute que "parmi les enfants identifiés dans des écoles clandestines démantelées, 50% étaient officiellement déclarés comme étant instruits en famille".

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L'article 21 a été défendu par Pierre-Yves Bournazel (Agir ensemble). Le soutien du MoDem a été plus nuancé : Géraldine Bannier a tenté de "rassurer les familles [qui font le choix] de l'instruction en famille" en proposant des "aménagements" au texte. Plusieurs de ses propositions, comme celle de renforcer le recensement des élèves ou de revenir à un système de déclaration préalable ont été rejetées.

Une réforme décalée d'un an

Alors que le nouveau régime devait initialement entrer en vigueur dès la rentrée scolaire prochaine, les députés ont, de manière quasi-unanime, décidé de la repousser d'un an. Ils ont fait valoir le calendrier très serré qui se présenterait aux familles après la promulgation de la loi, qui devrait intervenir au cours du printemps.

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Parmi les autres modifications apportées par les élus, figure la lutte contre les enfants "hors radar" ou la déscolarisation. La généralisation de "cellules de prévention de l’évitement scolaire", notamment mises en place dans le nord de la France, a été validée sur proposition de la rapporteure. Ces structures regrouperont les services départementaux de l’éducation nationale, les services du Conseil départemental, ainsi que les caisses d’allocations familiales.

Par ailleurs, un numéro d'identification sera attribué à chaque élève, y compris à ceux qui étudient dans des écoles privées hors contrat ou à domicile. Cet identifiant national élève (INE), déjà utilisé pour l'enseignement public et privé sous contrat, suit les enfants durant toute leur scolarité. Sa généralisation doit permettre de mieux connaître le parcours des enfants et d'éviter toute déscolarisation.

"Sacrifier les familles"

Cet article 21 avait fait l'objet de près de quarante amendements de suppression, dont quinze déposés par les seuls députés Les Républicains. "Vous vous trompez de cible", a ainsi expliqué Anne-Laure Blin (LR). L'élue estime que le projet de loi "sacrifie les familles qui respectent l'ensemble des conditions au détriment de celles qui ne les respectent pas".

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Quelle image vous avez des familles ? Les familles font vivre leurs enfants dans la société. Xavier Breton (Les Républicains)

"Jusqu'à quand on va continuer à rogner nos grandes libertés constitutionnelles au motif qu'il y a une minorité qui refuse de se soumettre ?", a demandé Marine Le Pen. "En Allemagne, c'est le régime nazi, en 1938, qui a supprimé l'instruction en famille", a pour sa part affirmé Charles de Courson (Libertés et Territoires). L'élu estime que "le cadre de la loi [déjà] existante" permet de lutter contre les dérives. Il juge par ailleurs le texte inconstitutionnel car il porte une "atteinte fondamentale à la liberté d'enseignement".

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La gauche "attachée à l'école"

À gauche, l'examen de l'article 21 du texte a été l'occasion pour Boris Vallaud (Socialistes) de réaffirmer son "attachement à l'école et particulièrement à l'école publique" tout en critiquant "l'étude d'impact du texte, parfaitement indigente". 

"Nous n'avons pas les connaissances pour appréhender la réalité", a lui aussi regretté Eric Coquerel (La France insoumise). Le député LFI, pourtant favorable sur le principe à une suppression de l'instruction en famille, a jugé "déloyale" la décision du gouvernement d'intégrer cette problématique dans le texte. Les deux élus, à l'instar du communiste Stéphane Peu , ont par ailleurs regretté que le projet de loi ne traite pas des questions de "mixité sociale à l'école". 

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