Les députés votent un nouveau délit pour tirer les leçons du meurtre de Samuel Paty

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Haine en ligne et réseaux sociaux (AFP)
par Jason Wiels, le Jeudi 21 janvier 2021 à 23:22, mis à jour le Mardi 26 janvier 2021 à 11:30

La commission spéciale sur le projet de loi confortant les principes de la République a voté jeudi la création d'un délit de mise en danger de la vie d'autrui par divulgation d'informations personnelles. Un dispositif "pensé et créé" après l'assassinat de l'enseignant. Explications.

Quelques nouvelles lignes dans le Code pénal auraient-elles suffi à prévenir l'attentat terroriste islamiste de Conflans-Sainte-Honorine ? Sans pleinement le prétendre, le gouvernement et sa majorité estiment qu'il existe aujourd'hui dans notre droit "des trous dans la raquette" en cas d'incitation à la haine ou à la violence.

"Quand nous avons regardé le déroulé de l'affaire Samuel Paty, on s'est demandé (...) quand on aurait pu judiciariser plus tôt. [Or], nous n'avions pas les outils", a expliqué jeudi soir Éric Dupond-Moretti à la commission spéciale qui planche sur le projet de loi confortant les principes de la République.

Une "arme efficace"

D'où l'idée, dans son article 18, de prévoir la création d'un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations personnelles, notamment via les réseaux sociaux. Gérald Darmanin veut y voir une "arme absolument efficace" pour protéger les cibles de telles pratiques, à condition que le signalement des contenus, comme le travail de police, soient correctement faits en parallèle. 

Le ministre de l'Intérieur est ainsi revenu sur l'engrenage funeste qui a conduit à l'assassinat du professeur de collège par le biais de la mise en ligne de plusieurs vidéos :

Cet article, adopté à la quasi-unanimité de la commission spéciale, punit de trois ans et de 45.000 euros d'amendes les auteurs d'une diffusion malveillante d'informations relatives à "la vie privée, familiale ou professionnelle". Les peines sont portées à cinq ans et 75.000 euros si un fonctionnaire ou assimilé est visé (policier, magistrat, chauffeur de bus...).

Une réécriture votée

Avant son vote, l'article a toutefois subi un profond remaniement par un amendement de Laetitia Avia (LaREM). La rapporteure a supprimé la notion controversée d'atteinte à "l'intégrité psychique ou physique" et a essayé de mieux caractériser l'intentionnalité de l'auteur des faits. Celui-ci doit agir "aux fins d’exposer [la victime] ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens qu'[il] ne pouvait ignorer".

Une mise au point saluée sur les bancs de la droite : "Cette réécriture est beaucoup plus solide et (...) très bienvenue", a salué Constance Le Grip (LR).

Un article 24 bis ?

L'article 18 a cependant subi le feu des critiques d'une partie des autres groupes d'opposition. Ils veulent y voir une version XXL de l'article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale, qui avait fait couler beaucoup d'encre. Cette autre disposition, aujourd'hui entre les mains du Sénat, pénalise la diffusion d'image permettant l'identification des forces de l'ordre, quand cette diffusion là aussi vise à leur nuire.

Selon Charles de Courson (Libertés et Territoires), l'objet de l'article 18 "est encore plus vaste" et il estime qu'"il y a ce qu'il faut dans le Code pénal quand on veut nuire à autrui".

Inquiétude partagée par la communiste Elsa Faucillon :

Les libertés fondamentales sont en jeu avec l'article 18, comme elles l'étaient avec l'article 24 de la proposition de loi sécurité globale. Elsa Faucillon, le 21 janvier 2021

"Le droit actuel comporte déjà de nombreuses dispositions pour punir l'incitation au crime et au délit", a renchéri de son côté Emmanuelle Ménard (RN), qui a déposé comme ses collègues un amendement de suppression, rejeté par la commission.

"Mettre en danger la vie des gens n'est pas une liberté fondamentale !", a rétorqué Laetitia Avia, qui dit "assumer" la création d'un délit "pensé" et "créé" après le meurtre de l'enseignant en histoire.

Les députés ont par ailleurs alourdi la peine de ceux qui s'en prendraient ainsi à des mineurs. "On pourrait l'appeler l'amendement Mila", a suggéré Annie Genevard (LR) en référence à la jeune adolescente harcelée en continu sur Internet pour avoir critiqué l'Islam. Une autre affaire emblématique de mise en pâture sur les réseaux sociaux.