Généralisation du port de caméras individuelles, recrutement de contracuels, ouverture de la réserve aux personnels retraités... L'Assemblée nationale a adopté, lundi 10 juillet, les mesures du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice dédiées à l'administration pénitentiaire, au terme d'un débat accroché.
Quelques jours après avoir écarté l'idée d'introduire un mécanisme de régulation carcérale, les députés ont abordé, lundi 10 juillet, les mesures relatives à l'administration pénitentiaire du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice pour les années 2023 à 2027. L'article 14, qui comporte ces mesures, a été adopté par 42 voix contre 12. Non sans débat.
Une mesure a particulièrement été critiquée par les élus de la Nupes, particulièrement ceux de La France insoumise : l'élargissement de l'accès à la réserve civile pénitentiaire à l'ensemble des personnels retraités de l'administration pénitentiaire, filières administratives et sociales comprises, jusqu'à 67 ans. Actuellement, cette réserve compte 200 réservistes ; un nombre insuffisant au vu de leur utilité, et compte tenu des difficultés de recrutement.
Les députés de La France insoumise ont jugé que la mesure s'inscrivait dans la droite lignée de la réforme des retraites, avec l'objectif de pousser les gens à travailler de plus en plus tard, en l'occurence, pour faire face à une "pénurie" d'agents. "C'est une provocation alors que notre pays a connu des mois et des mobilisation", a estimé Andrée Taurinya (LFI). "Vous usez les gens à la tâche. Vous êtes en train de repousser sans arrêt l'âge de départ en retraite par des petites mesures comme ça qui passent inaperçues dans un texte de loi", a ajouté Antoine Léaument (LFI), appelant à augmenter les retraites et les salaires.
"En vertu de quoi se priverait-on de compétences d'hommes, de femmes qui ont consacré leur vie à l'administration pénitentiaire, qui ne souhaitent pas décrocher et qui sont très utiles ?", a rétorqué le ministre de la Justice. "À écouter La France insoumise, il faudrait forcément rester chez soi ou pêcher le gardon", a poursuivi Eric Dupond-Moretti, avant de rappeler que 67 ans ne rimait pas forcément avec l'envie de tout arrêter. "Votre lider maximo en a 71", a-t-il surenchéri, en référence à Jean-Luc Mélenchon.
Favorable à la mesure, Annie Genevard (Les Républicains) a rappelé que la participation à la réserve reposait sur la base du volontariat. "On ne va pas enrôler à la force des baïonnettes ceux qui voudraient prolonger une carrière professionnelle. Je ne comprends pas cette position idéologique qui voudrait qu'à 67 ans on soit usé, dégoûté du travail qu'on a exercé et qu'on ne veuille pas le prolonger", a souligné l'élue.
Autre mesure destinée à faire face à l'épineuse question du recrutement : la possibilité ouverte à l'administration de recruter des contractuels, pour une durée de trois ans renouvelable une fois. Ces "surveillants adjoints" devront être âgés de moins de 30 ans. Dans l'hémicycle, les députés ont adopté un amendement de la majorité présidentielle, afin de préciser clairement que ces personnels rempliront leurs missions en binôme avec des surveillants titulaires.
"Il faut sortir de cette idéologie néo-libérale qui consiste à employer des contractuels au lieu des fonctionnaires", a critiqué Andrée Taurinya (LFI), très opposée à la mesure. "Avec ces contractuels, on détruit petit à petit la fonction publique", a appuyé Antoine Léaument (LFI). "Vous faites n'importe quoi avec la fonction publique d'État."
Les députés du Rassemblement national ont également fait part de leurs doutes sur la mesure. "Quel sera le niveau requis ? Quelle sera la formation ?", a questionné Philippe Ballard (RN). Romain Baubry (RN) a pour sa part indiqué qu'à l'heure actuelle, les surveillants pénitentiaires étaient recrutés sur concours jusqu'à la moyenne de 3 sur 20. "On va peut-être recruter des gens qui auraient loupé le concours à 3 sur 20", s'est-il inquiété.
Caroline Abadie (Renaissance) a défendu la mesure, rappelant qu'il manquait toujours des personnels, malgré l'ouverture de concours. Et que le problème ne ferait que s'élargir, alors que l'exécutif porte l'objectif de construire 15 000 places de prison d'ici à 2027. "Les surveillants souffrent du manque de personnel", a expliqué l'élue, indiquant que les recrutements se feraient uniquement dans les zones touchées par un déficit.
Le texte généralise également le port de caméras par certains surveillants pénitentaires. Une mesure qui est expérimentée depuis 2018, et qui est attendue par les surveillants pénitentiaire, a plaidé le garde des Sceaux. "C'est au service de la sécurité, mais aussi de la vérité", a souligné Eric Dupond-Moretti. L'utilisation de ces "caméras-piétons" est encadrée : l'enregistrement n'est pas permanent, leur déclenchement doit être clairement énoncé aux personnes filmées, et les données sont détruites au bout de trois mois, sauf si elles sont utilisées dans le cadre d'une procédure administrative, judiciaire ou disciplinaire.
En se basant sur les résultats de l'expérimentation, Emeline K/Bidi (Gauche démocrate et républicaine) a critiqué un dispositif à l'efficacité "proche du néant", qui coûtera entre 6 et 11 millions d'euros. "Le seul avantage des caméras est de faire croire aux surveillants pénitentiaires qu'ils seront mieux protégés", s'est-elle agacée. Andy Kerbrat (LFI) a lui aussi critiqué cette généralisation, alors même que l'expérimentation, qui devait durer 3 ans, n'est "pas allée au bout". Selon lui, "seuls 30 enregistrements ont été analysés", ce qui démontrer l'inutilité de ces caméras.
Le président de la commission des lois, Sacha Houlié (Renaissance), ainsi qu'Eric Dupond-Moretti, ont fait valoir l'effet d'apaisement que pouvaient avoir ces caméras dans une situation tendue avec un détenu. "Vous n'en voulez pas pour des raisons de pure idéologie", a critiqué le ministre de la Justice. "Tous les syndicats représentatifs de l'administration pénitentiaire y sont favorables", a souligné le président de la commission des lois.
Les députés poursuivent, ce lundi soir, l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice. Le vote solennel sur l'ensemble du texte est prévu mardi 18 juillet.