Surpopulation dans les prisons : la régulation carcérale débattue, mais écartée, à l'Assemblée

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La prison de la Santé, à Paris
La prison de la Santé, à Paris (© Wikimedia)
par Raphaël Marchal, le Jeudi 6 juillet 2023 à 16:56, mis à jour le Vendredi 7 juillet 2023 à 11:52

Les députés des groupes de la Nupes ont plaidé, jeudi 6 juillet, pour l'introduction d'un mécanisme de régulation carcérale, dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice. La mesure a été écartée par l'Assemblée nationale au terme d'un débat accroché entre la gauche de l'hémicycle et la majorité présidentielle. 

Ce jeudi, la France a - de nouveau - été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui avait été saisie en 2018 sur "les conditions de détention subies" par trois détenus de la prison de Fresnes où "le taux de surpopulation était de 197%". Hasard du calendrier, c'est également ce jeudi 6 juillet que les députés ont abordé une série d'amendements visant à lutter contre la surpopulation carcérale, dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice pour la période 2023-2027.

Ce sont les élus des groupes la Nupes qui ont tenté, sans succès, d'introduire un mécanisme progressif de régulation carcérale contraignant, alors qu'un nouveau pic a été atteint en France au 1er juin, avec près de 73 500 personnes incarcérées. Le taux d'occupation des maisons d'arrêt, où sont notamment regroupés les détenus en attente de jugement, atteint près de 145 % en moyenne, avec des fortes disparités - à Tulle, Nîmes ou encore Foix, ce taux dépasse les 200 %.

Un mécanisme progressif de régulation

Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine) a défendu un mécanisme qui serait limité aux maisons d'arrêt et aux quartiers maison d’arrêt des centres pénitentiaires, afin de les forcer à respecter un taux d'incarcération de 100 % maximum d'ici au 1er juillet 2027. Le dispositif proposé retenait des paliers intermédiaires pour les établissements concernés, avec un objectif de réduction d'un tiers des personnes détenues en surnombre par an à partir de 2024, jusqu'à atteindre cette limite maximale. "C'est une question de dignité et de sens de la peine", a plaidé la députée communiste, qui mène en parallèle une mission d'information sur le sujet avec Caroline Abadie (Renaissance).

En cas d'échec de l'atteinte de ces objectifs, l'amendement prévoyait que le juge de l'application des peines puisse prononcer des libérations sous contrainte de plein droit - libération conditionnelle, de la détention à domicile sous bracelet électronique, placement à l'extérieur ou la semi-liberté. Une solution qui permettait d'éviter les "sorties sèches".

"La régulation carcérale devient une nécessité", a appuyé Jérémie Iordanoff (Ecologiste), appelant à du "courage politique". "Rémy Heitz lui-même demande une telle mesure", a lancé Ugo Bernalicis (La France insoumise), évoquant le nouveau procureur général près la Cour de cassation. "J'espérais que la voie de la sagesse allait l'emporter, mais la situation est intenable", a regretté Cécile Untermaier (Socialistes), élue depuis 2012 et experte des questions de justice. "Personne ne peut admettre l'indignité que nous faisons vivre à des personnes qui ne sont plus emprisonnées mais suremprisonnées", a-t-elle ajouté. 

15 000 places de prisons supplémentaires

Reconnaissant une certaine "procrastination collective" sur le sujet, Erwan Balanant (Démocrate) a tenté de tempérer les ardeurs de ses collègues. S'il a affirmé partager le constat, le député MoDem, qui est l'un des rapporteurs du projet de loi, a jugé que des réponses différentes pouvaient être apportées, notamment via la construction des 15 000 places de prison supplémentaires promises pour 2027, ou encore une réflexion sur les alternatives à la peine. Prônant d'attendre les conclusions de la mission d'information actuellement en cours, Erwan Balanant a appelé de ses vœux la mise en place d'un groupe de travail transpartisan à la rentrée.

Naïma Moutchou (Horizons) s'est également opposée à la mesure, soucieuse de respecter la bonne exécution des peines. "Je ne peux pas laisser dire que rien n'a été fait", a-t-elle également répliqué, rappelant que les chantiers de construction de places de prison supplémentaires avait été retardés par le Covid, les conflits internationaux, mais aussi par "l'opposition de certains élus locaux, qui nous disent 'partout mais pas chez nous'".

Au sein de la majorité, Caroline Abadie (Renaissance) a voté pour l'amendement à titre personnel, du fait de son engagement dans la mission d'information. Mais sauf exceptions, les députés de la majorité (Renaissance, Démocrate, Horizons) s'y sont opposés, ainsi que les élus Les Républicains et Rassemblement national. Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, s'est pour sa part contenté d'indiquer qu'il était défavorable à ce mécanisme de régulation, agacé par l'écologiste Sandra Regol, à laquelle il a réproché de parler en même temps que lui. "La situation de surpopulation carcérale ne peut pas supporter vos humeurs", s'est à son tour irritée Elsa Faucillon. L'amendement de la députée a finalement été rejeté par 89 voix contre 40.

Les députés continuent, ce jeudi après-midi et soir, l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice, qui se poursuivra ensuite la semaine prochaine, avant un vote solennel sur l'ensemble du texte le 18 juillet.