Projet de loi de finances : les députés adoptent les crédits de la Justice

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par Soizic BONVARLET, le Vendredi 3 novembre 2023 à 07:10, mis à jour le Vendredi 3 novembre 2023 à 09:16

Les députés ont adopté, jeudi 2 novembre, les moyens alloués à la mission "Justice" inscrits dans le projet de loi de finances pour 2024. Le gouvernement a fait valoir une hausse significative des crédits, tandis que la droite a considéré que ceux-ci restaient insuffisants et que la gauche a dénoncé une politique du tout répressif.

Une ambiance "foire à la saucisse" aurait-elle gagné l'hémicycle de l'Assemblée nationale lors de l'examen des crédits de la mission "Justice" du budget 2024, jeudi 2 novembre dans la soirée ? C'est en tout cas en ces termes que le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a qualifié les amendements de La France insoumise, proposant tour à tour un doublement du budget de l'aide juridictionnelle, le recrutement de 13 000 magistrats, ou encore celui de 20 000 greffiers.

Quelques minutes auparavant, le ministre de la Justice avait défendu un budget respectant "à la lettre" la trajectoire prévue par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice pour 2023 à 2027, définitivement adoptée par le Parlement en octobre. "L'ambition de ce budget, c'est évidemment d'améliorer la qualité de la justice", avait-il aussi argué, se félicitant qu'il "dépasse la barre symbolique des 10 milliards d'euros". Eric Dupond-Moretti a fait valoir une politique d'augmentation des ressources humaines, au travers du recrutement de "1307 personnels pour la justice judiciaire, dont 327 magistrats, 340 greffiers, 400 attachés de justice". Il a également évoqué le recrutement de "600 personnels pour l'administration pénitentiaire, dont 512 surveillants".

Politique pénitentiaire contre service public de la justice ?

Patrick Hetzel (Les Républicains) a également décrit un budget en croissance, avec une hausse de 13,72% en autorisations d'engagement, et de 5,1% en crédits de paiement, soit une hausse globale de 500 millions d'euros par rapport à 2023. Notant cependant que cette augmentation des crédits concernait en premier lieu le programme consacré à la "Justice judiciaire", le député a estimé qu'"en ce qui concerne l'administration pénitentiaire, la programmation immobilière déçoit".

En effet, si le député s'est félicité de l'adoption de l'amendement de son groupe au sein de la loi de programmation, actant la construction de 3 000 places de prison en sus des 15 000 prévues d'ici à 2027, il a regretté le rythme de cette mise en oeuvre, évoquant une "dégringolade" en 2025, avant une "remontée" en 2026. En matière de créations d'emplois, s'il a admis des hausses "bienvenues" en matière de personnels pénitentiaires, il a également estimé que le compte n'y était toujours pas pour remédier à la "désespérance collective" qui toucherait les acteurs du système pénitentiaire, personnels comme détenus.

Andrée Taurinya (La France insoumise) a pour sa part dénoncé un budget qui "garde le cap du tout sécuritaire et du tout répressif". Regrettant que la justice pénale soit selon elle "privilégiée" au détriment de la justice civile, la députée a déploré une concentration des moyens pour l'administration pénitentiaire, évoquant notamment la construction de nouveaux centres éducatifs fermés (CEF). "Ce recours aux CEF n'est qu'une preuve de plus de votre incapacité à vous appuyer sur une politique d'accompagnement, plutôt que sur la répression et l'enfermement des mineurs", a-t-elle aussi estimé.

Le ministère de la Justice ne doit pas se transformer en entreprise de BTP ou en entreprise immobilière, mais recruter et innover pour garantir les droits et les libertés des citoyennes et des citoyens. Andrée Taurinya (LFI)

Même tonalité du côté de Jérémie Iordanoff (Ecologiste) évoquant "une justice de l'urgence". "Vous persistez cette année à accorder des sommes astronomiques à la construction de nouvelles places de prison, au détriment de ce qui devrait être au coeur de la politique pénitentiaire, à savoir la lutte contre les conditions indignes de détention, la prévention de la récidive et la promotion de la réinsertion", a aussi déclaré le député. Il a néanmoins indiqué que son groupe "salu[ait] la hausse des crédits, tout en regrettant les arbitrages" du projet de budget.

"Foire à la saucisse" et "amendements nihilistes"

Alors qu'Andrée Taurinya a défendu un amendement proposant le doublement du budget de l'aide juridictionnelle, Eric Dupond-Moretti a fait valoir une hausse progressive de 80%, "passant de 364 millions d'euros en 2017 à 657 millions d'euros en 2024", avant de dénoncer une augmentation "ubuesque" proposée par La France insoumise.

Quelques minutes plus tard, alors que la députée LFI défendait un amendement visant à puiser dans le budget consacré à la construction de places de prison pour recruter 4 000 greffiers en 2024, et 20 000 sur cinq ans, le ministre de Justice s'est exclamé : "Le budget, c'est pas la foire à la saucisse. 20 000, et pourquoi 50 000, pourquoi pas 100 000, c'est n'importe quoi. Le pire, c'est que vous n'avez voté aucune des améliorations susceptibles d'aider la justice".

"Il faut plus de greffiers, mais il faut aussi plus de places de prison, l'ensauvagement de la société, c'est une réalité" a, quant à lui, déclaré Yoann Gillet (Rassemblement national), s'opposant au mécanisme de transvasement financier proposé La France insoumise, qui a ensuite porté un amendement prônant l'embauche de 13 000 magistrats sur cinq ans. "Ça n'est pas sérieux, c'est de l'opposition nihiliste", a dénoncé le garde des Sceaux.

Les groupes Ecologiste et Horizons s'associent sur l'aide juridictionnelle

Une fois n'est pas coutume, des députés issus du groupe Ecologiste, qui appartient à l"opposition, et du groupe Horizons, qui fait partie de la majorité présidentielle, ont présenté des amendements identiques, dont l'un visant à revaloriser à hauteur de 80 millions d'euros le budget de l'aide juridictionnelle. Si, à l'instar de l'amendement LFI, Jérémie Iordanoff (Ecologiste) et Naima Moutchou (Horizons), n'ont pas obtenu gain de cause, la mesure n'ayant pas fait l'objet du soutien du ministre, ni de la majorité des élus présents dans l'hémicycle, ils ont remporté une victoire commune quelques minutes plus tard.

Des amendements identiques portés par les mêmes députés ont ainsi été adoptés contre l'avis du gouvernement, pour permettre à chaque enfant faisant l'objet d'une mesure d'assistance éducative de bénéficier d'un avocat rémunéré au titre de l'assistance juridictionnelle, au même titre que lors d'une procédure pénale. Le coût de cette mesure est estimé à 107 millions d'euros.

Les crédits de la mission Justice ont finalement été adoptés par 35 votes "pour", 8 "contre". Faute de majorité absolue pour faire adopter l'ensemble du projet de loi de finances, le gouvernement ne fait pas mystère de son intention d'avoir à nouveau recours à l'article 49.3 de la Constitution sur la partie "dépenses" dans les prochains jours, ce qui lui permettra de faire le tri entre les amendements qu'il souhaite, ou non, conserver.