L'issue paraît inévitable depuis le début des discussions budgétaires : la Première ministre, Élisabeth Borne, s'apprête à annoncer, ce mercredi 19 octobre, le recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution sur la première partie du projet de loi de finances 2023. Cette disposition constitutionnelle permet de faire adopter un texte sans vote, sauf si une motion de censure est déposée, ce qui là aussi attendu. Examen du budget et 49.3 à l'Assemblée nationale : mode d'emploi.
Texte majeur, qui doit être examiné chaque automne et adopté avant Noël, le projet de loi de finances fonde la politique du gouvernement. Traditionnellement, les députés de la majorité votent donc "pour", tandis que les élus de l'opposition votent "contre". Sans majorité absolue à l'Assemblée nationale, l'équation s'annonçait particulièrement compliquée pour l'exécutif cette année.
Avant même l'examen le coup d'envoi de l'examen du budget le 10 octobre, le gouvernement n'a donc pas caché qu'il envisageait de recourir à l'article 49.3 de la Constitution si cela s'avérait nécessaire pour faire passer le projet de loi de finances sans qu'il soit dénaturé au cours du débat parlementaire. Cette disposition constitutionnelle permet au gouvernement d'engager sa responsabilité sur un projet de loi.
A partir de ce moment-là, le texte est considéré comme adopté, sans vote, sauf si une motion de censure est déposée par l'opposition. En l'occurrence, deux motions de censure sont annoncées : l'une par les groupes de la Nouvelle union populaire écologique et sociale, l'autre par le groupe Rassemblement national. Pour faire tomber le gouvernement, une motion de censure doit être approuvée par la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale. Depuis le début de la Ve République, en 1958, une seule motion de censure a été adoptée, c'était en 1962.
Séquence cruciale, l'examen du projet de loi de finances obéit à une procédure et à un calendrier particuliers. Sur la forme, le budget est présenté et examiné en deux parties :
- La première, qui prévoit les recettes de l'État, autorise la perception des impôts.
- La seconde partie, qui prévoit les dépenses, fixe pour chacune des missions du budget le montant des crédits et, par ministère, le plafond des autorisations d’emplois.
En matière de procédure législative, entre autres particularités :
- Le projet de loi de finances est systématiquement examiné en "procédure accélérée", ce qui signifie qu'une commission mixte paritaire, composée de députés et de sénateurs, est convoquée à l'issue d'une seule lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat, alors que dans la procédure classique cette commission est convoquée après deux lectures dans chaque assemblée. A défaut d'accord en CMP, une nouvelle navette a lieu entre le Palais Bourbon et le Palais du Luxembourg, puis le dernier mot revient à l'Assemblée nationale en lecture définitive.
- Contrairement aux autres textes, la discussion en séance publique en première lecture devant l’Assemblée nationale porte sur le texte présenté par le gouvernement et non sur le texte adopté par la commission des finances ; de même, pour les autres lectures, la discussion porte sur le texte transmis par l’autre assemblée et non sur le texte de la commission.
Un calendrier précis :
- Le projet de loi de finances de l’année est déposé obligatoirement sur le bureau de l’Assemblée nationale, qui dispose d’une priorité constitutionnelle sur le Sénat, avant le premier mardi d’octobre. Depuis plusieurs années, le dépôt effectif intervient au cours de la dernière semaine de septembre.
- Le Parlement dispose d'un délai de 70 jours pour statuer sur le projet de loi de finances : 40 jours pour la première lecture à l'Assemblée nationale, 20 jours pour la première lecture au Sénat, 10 jours pour la navette parlementaire. Passé ce délai, si le dépassement est imputable au Parlement, le gouvernement peut recourir à une ordonnance pour mettre en œuvre le projet de loi de finances.
Cette année, la première partie du budget sera examiné dans l'hémicycle du lundi 10 au mercredi 19 octobre en première lecture, avec un vote solennel le mardi 25 octobre. Le 27 octobre, les députés entameront l'examen de la seconde partie du texte avec, à l'issue, un vote solennel sur l'ensemble du projet de loi de finances prévu le 15 novembre. Un calendrier qui ne tient pas compte de l'éventuel - et plus que probable - recours l'article 49.3.
Depuis 30 ans, tous les gouvernements ont disposé d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale, ce qui leur a assuré de pouvoir faire voter le projet de loi de finances sans avoir recours à l'article 49.3 de la Constitution. Sans majorité absolue à l'issue des élections législatives de 1988, Michel Rocard, Edith Cresson, et Pierre Bérégovoy, sont les derniers Premiers ministres à avoir utilisé le 49.3 sur tout ou partie de l'examen du budget. En 1989, Michel Rocard a ainsi utilisé cette disposition prévue par la Constitution à cinq reprises dans le cadre du budget :
- Deux fois lors de la première lecture du texte par l'Assemblée nationale : une fois pour faire adopter la première partie du budget (les recettes) et une fois pour faire adopter la deuxième partie du budget (les dépenses) ainsi que l'ensemble du texte.
- Deux fois, comme en première lecture, lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
- Une fois lors de la lecture définitive sur l'ensemble du texte par l'Assemblée nationale.
Compte tenu de la configuration actuelle du Palais-Bourbon, le gouvernement d'Élisabeth Borne pourrait, lui aussi, utiliser le 49.3 cinq fois au cours de la procédure budgétaire.
Depuis 1958, le 49.3 a été utilisé 18 fois pour faire adopter tout ou partie du projet de loi de finances, à une étape ou à chacune des étapes de son examen à l'Assemblée nationale. La dernière utilisation du 49.3 dans le cadre des discussions budgétaires remonte au 18 novembre 1992, lorsque Pierre Bérégovoy était Premier ministre.
Sans majorité absolue, et alors qu'il n'existe pas de majorité alternative, le gouvernement d'Élisabeth Borne va donc utiliser le 49.3 pour la première fois depuis 1993 dans le cadre de l'examen d'un projet de loi de finances. Outre les groupes de la Nouvelle union populaire écologique et sociale et le groupe du Rassemblement national, dont l'opposition au budget ne fait aucun doute, le groupe Les Républicains a lui aussi affiché son intention de voter contre le projet de loi de finances. "On votera contre ce budget, on ne s'abstiendra pas", a ainsi indiqué dans Les Echos le président des députés LR, Olivier Marleix. "La France ne peut pas se passer d'avoir un budget", a quant à lui souligné le ministre délégué chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, dans une interview au Journal du dimanche, reconnaissant dès le début qu'il y avait "peu de suspense" sur la nécessité d'avoir recours au 49.3.
Jusqu'à la réforme constitutionnelle de 2008, le gouvernement pouvait utiliser l'article 49.3 aussi souvent qu'il l'estimait nécessaire. Depuis cette date, son utilisation a été restreinte à un texte par session parlementaire hors textes budgétaires. Pour le projet de loi de finances, ainsi que pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, indispensables au fonctionnement du pays, le gouvernement garde donc la possibilité d'avoir recours au 49.3.
Dès mercredi 12 octobre, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a indiqué que le Conseil des ministres avait "délibéré sur la possibilité d'utiliser le 49.3 si la situation nécessite d'y avoir recours". Depuis ce jour-là, Élisabeth Borne a formellement la possibilité d'engager la responsabilité de son gouvernement sur tout ou partie du projet de loi de finances. Une fois l'article 49.3 déclenché, les débats dans l'hémicycle seront immédiatement stoppés : le texte sera alors considéré comme adopté, sauf si 58 députés (au minimum) déposent une motion de censure dans les 24 heures. Dans la configuration actuelle de l'Assemblée, Le Rassemblement national (89 députés), La France insoumise (75 députés) éventuellement appuyée par ses alliés de la Nupes, ainsi que Les Républicains (62 députés) sont en capacité de le faire.
Une fois déposée, une motion de censure ne peut pas être étudiée moins de 48 heures après son dépôt, puis doit être débattue dans l'un des trois jours de séance qui suivent ce délai. Et pour être adoptée elle doit être approuvée par la majorité absolue, soit 289 députés. Une hypothèse qui semble, à ce stade, peu probable puisque cela supposerait que les groupes de la Nouvelle alliance populaire sociale et écologique, le groupe du Rassemblement national, ainsi que celui des Républicains, votent tous la même motion de censure pour faire tomber le gouvernement. Ce que les uns et les autres ont d'ores et déjà exclu.
A ce stade, selon nos informations, l'exécutif aurait donné son feu vert à une centaine d'amendements au projet de loi de finances, émanant de la majorité pour la plupart et des oppositions pour certains, pour un coût compris entre 700 et 800 millions d'euros.
Parmi les mesures retenues : un coup de pouce au crédit d'impôt pour la garde d'enfants, une réduction d'impôt pour les plus petites entreprises ou encore la suppression d'un avantage fiscal dont bénéficiaient les jets privés. Pas question, en revanche, d'inclure l'amendement MoDem sur la taxation des "superdividendes" voté - contre l'avis du gouvernement - par la gauche, le Rassemblement national et 19 députés Renaissance. Même chose pour un amendement du PS, adopté en séance, visant à instaurer un crédit d'impôt pour le reste à charge de tous les résidents en Ehpad, jugé trop coûteux, ainsi que pour le rétablissement de l'exit tax, voté par les oppositions.
Le 49.3 dont l'utilisation devrait être annoncé mercredi après-midi sera vraisemblablement le premier d'une longue série, jusqu'à l'adoption finale du budget mi-décembre. Par ailleurs, le gouvernement devrait avoir également recours à cette disposition constitutionnelle - peut-être avant la fin de la semaine - pour un autre texte : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, dont l'examen est programmé à partir de jeudi matin dans l'hémicycle de l'Assemblée.