Vers une inscription de la "protection de l'environnement" dans l'article 1er de la Constitution ?

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Eric Dupond-Moretti, le 9 mars 2021 à l'Assemblée nationale
par Maxence Kagni, le Mardi 9 mars 2021 à 17:51, mis à jour le Mercredi 10 mars 2021 à 15:37

L'Assemblée nationale examine le projet de loi visant à modifier la Constitution afin d'y inscrire, après référendum, que la France "garantit de la préservation de l'environnement". Les Républicains craignent que ce dispositif, souhaité par Emmanuel Macron, ne crée des restrictions excessives à la liberté d'entreprise.

Faut-il inscrire "la préservation de l'environnement" dans la Constitution, comme l'a demandé la Convention citoyenne pour le climat ? C'est à cette question que doivent répondre les députés : l'Assemblée nationale a commencé mardi l'examen en séance publique du projet de loi "complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement".

Le texte a pour but de mettre en oeuvre la promesse faite par Emmanuel Macron le 29 juin 2020 aux 150 membres de la Convention citoyenne : écrire dans l'article 1er de la Constitution que la France "garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique".

"Cet engagement est également celui du gouvernement et de cette majorité", a commenté mardi le Garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, qui veut "rester fidèle à la proposition des conventionnels".

La protection de l'environnement est déjà présente, depuis 2005, dans le préambule de la Constitution : celui-ci fait en effet référence à la charte de l'environnement. Avec son projet de loi, le gouvernement propose de "réhausser la place de la protection de l'environnement dans notre loi fondamentale et d'inscrire un véritable principe d'action des pouvoirs publics en faveur de l'environnement", a expliqué Eric Dupond-Moretti. "Ce progrès démocratique permettra au citoyen de saisir le juge constitutionnel a posteriori pour évaluer les lois", s'est félicitée la députée Valérie Petit (Agir ensemble).

Référendum : convaincre la droite

Emmanuel Macron avait également promis en décembre 2020 de soumettre cette proposition à l'approbation du peuple français lors d'un référendum. Pour cela, la majorité présidentielle devra convaincre la droite, qui est majoritaire au Sénat : le référendum ne pourra avoir lieu que si la Chambre haute vote le projet de loi dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale.

Julien Aubert (Les Républicains) a prévenu la majorité : sa famille politique n'est pas favorable à l'utilisation du mot "garantir", qui crée des "risques importants" et une "quasi obligation de résultats" qui entraînera une "explosion des contentieux". La droite craint que cette "garantie" de la préservation de l'environnement ne porte atteinte à d'autres principes à valeur constitutionnelle comme la liberté d'entreprise ou la liberté du commerce. Les députés LR souhaitent donc substituer le mot "préserver" au mot "garantir".

Agir pour l'environnement, c'est prendre des mesures concrètes et non pas cocher une case symbolique pour préparer la présidentielle de 2022. Julien Aubert 

Pas de hiérarchie entre les principes

Mardi soir, la majorité n'a pas semblé prête à céder : le rapporteur Pieyre-Alexandre Anglade (La République en marche) a défendu l'usage des mots "garantir" et "lutter", des "verbes d'action qui obligent". Selon lui, la proposition des députés Les Républicains reviendrait à réduire le texte à "un rôle uniquement symbolique".

Eric Dupond-Moretti a néanmoins tenté de rassurer la droite : "Je tiens à préciser que 'réhaussement' ne signifie pas hiérarchie entre les principes constitutionnels", a indiqué le ministre de la Justice, qui refuse toute "échelle de valeur" entre eux. Le Garde des sceaux n'est ainsi pas favorable à l'inscription du principe de "non-régression" dans la Constitution : le but n'est pas de "placer la considération environnementale au-dessus de toute autre considération, qu'elle soit économique, sociale ou même sanitaire". 

"Le juge continuera à concilier les principes entre-eux, qu'il s'agisse par exemple de la protection de l'environnement, de la liberté d'entreprendre ou encore du droit de propriété", a ajouté Pieyre-Alexandre Anglade. La députée "Agir ensemble" Valérie Petit a cependant demandé des "éléments de réassurance supplémentaires" face à un "nouveau risque juridique que les entreprises vont devoir définitivement intégrer". 

Principe de "non-régression"

"Nous sommes favorables à ce texte mais déçus par la réforme constitutionnelle que vous nous proposez aujourd'hui",  a réagi le député socialiste Gérard Leseul (Socialistes). A l'inverse de ses collègues de droite, l'élu souhaite "armer le juge face aux dérives de la liberté d'entreprise et du droit de propriété". Le député PS souhaite ainsi créer un "Défenseur de l'environnement" sur le modèle du "Défenseur des droits" ou encore introduire dans le texte le "crime d'écocide".

Le député PCF Hubert Wulfranc a, lui aussi, affirmé vouloir mettre un terme à l'"exercice abusif du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre [qui sont] aujourd'hui de puissants obstacles au progrès social et à la préservation de la planète". Soucieux de ne pas être soumis à "l'inteprétation ô combien aléatoire du Conseil constitutionnel", François-Michel Lambert (Libertés et Territoires) a, quant à lui, proposé d'inscrire le "principe de non-régression", mais aussi l'expression "limites planétaires" dans la Constitution.

"C'est une comédie que vous jouez ici", a pour sa part déclaré le député La France insoumise François Ruffin, qui a vivement critiqué le projet de loi, mais aussi Emmanuel Macron, lui reprochant notamment d'avoir "depuis son arrivée diminué de 40% les effectifs du ministère de la Transition écologique".

Moins on fait de l'écologie, plus on l'étale. François Ruffin

De son côté, le groupe UDI et indépendants proposera pendant les débats, d'ajouter au référendum la suppression de la Cour de justice de la République ou encore la reconnaissance du vote blanc.

Ces propositions semblent vouées à l'échec : Eric Dupond-Moretti s'est dit mardi déterminé à s'en tenir "uniquement" au projet de loi tel qu'initialement rédigé. L'Assemblée nationale a d'ailleurs repoussé mardi soir des amendements visant à supprimer le mot "race" de la Constitution.

Un simple "coup politique" ?

Interpellé à plusieurs reprises par Matthieu Orphelin (non inscrit), le Garde des sceaux n'a pas été en mesure de donner la date à laquelle il envisage l'organisation du référendum : "Il y a des débats parlementaires et je suis bien incapable de fixer la date où ces débats auront été tenus et où ce texte aura été voté", a répondu Eric Dupond-Moretti. En commission, le rapporteur Pieyre-Alexandre Anglade avait estimé que le référendum pourrait avoir lieu en septembre prochain.

Plusieurs députés d'opposition ont remis en cause ce calendrier, qui viendrait, selon eux, parasiter l'élection présidentielle de 2022. Jusqu'à remettre en cause les véritables intentions du gouvernement : "Est-ce une manière de prendre à témoin la population, de mettre la pression sur le Sénat pour lui faire endosser la responsabilité politique d'une réforme échouée ?", a demandé Gérard Leseul (Socialistes).

"A défaut d'agir véritablement, vous tentez d'acculer le Sénat", a regretté François-Michel Lambert (Libertés et Territoires). Selon lui, le texte est "un contre-feu grossier, une mesure de communication, un coup politique organisé" visant à masquer les critiques de la Convention citoyenne pour le climat vis-à-vis de l'action du gouvernement.

Autre sujet de débat concernant le calendrier : l'examen du texte en séance publique se fait simultanément à l'examen, en commission, du projet de loi "portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets". Ce texte transpose partiellement les autres mesures de la Convention citoyenne pour le climat : un télescopage dénoncé par Matthieu Orphelin qui a jugé mardi "un peu absurde d'avoir deux grands textes sur le climat en même temps à l'Assemblée nationale".

Les débats sur le projet de loi constitutionnelle "complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement" doivent se prolonger jusqu'à jeudi.