Vers une sortie sous surveillance de l'état d'urgence sanitaire

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Jean-François FORT / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
par Jason WielsMaxence Kagni, le Lundi 3 mai 2021 à 17:57, mis à jour le Jeudi 28 juillet 2022 à 16:52

À partir du 2 juin, un régime juridique transitoire va prendre la suite de l'état d'urgence sanitaire : il laisse une marge de manœuvre aux pouvoirs publics pour limiter les déplacements, fermer certains lieux et reconfiner à l'échelle locale. La conservation des données médicales et les élections sont aussi au centre du projet de loi qui est examiné en commission des lois à partir de mardi par l'Assemblée nationale.

Alors qu'Emmanuel Macron a dévoilé les étapes pour déconfiner le pays, l'exécutif a soumis au Parlement un texte pour organiser la sortie de l'état d'urgence sanitaire. Instauré depuis le 17 octobre 2020 pour permettre notamment la mise en place du couvre-feu et du confinement à l'échelle nationale, cet état d'exception prendra fin le 1er juin 2021. Proposant un nouveau cadre juridique, le "projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire" sera examiné mardi en commission des lois de l'Assemblée nationale et le 10 mai dans l'hémicycle.

Tout comme lors de la sortie du premier état d'urgence sanitaire le 11 juillet 2020, ce texte prévoit un régime "transitoire" qui accorde jusqu'au 31 octobre de nombreuses prérogatives au Premier ministre. Pendant cinq mois, le chef du gouvernement pourra toujours, si la situation épidémique le justifie, limiter la circulation des personnes, interdire les transports aériens, ou encore fermer certains types d'établissements. Le texte donne également la possibilité au gouvernement de conditionner les déplacements en France et à l'étranger à la présentation d'un test PCR ou d'une attestation de vaccination.

Réglementer la circulation des personnes

Dès le 2 juin, un dispositif légal dérogatoire donnera au Premier ministre le pouvoir de prendre plusieurs mesures "dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19".

Il pourra "réglementer" la circulation des personnes et des véhicules ou l'accès aux transports collectifs, voire les interdire "dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus". Les préfets pourront en dernier recours déclarer des confinements locaux pendant deux mois, à la condition que le territoire concerné ne représente pas plus de 10% de la population française.

Le projet de loi ne prévoit pas de seuil épidémiologie pour les déclencher. Dans son entretien à la presse régionale, Emmanuel Macron évoque le déploiement de "freins d'urgence" à l'échelle d'une métropole ou d'un département en cas d'incidence supérieure à 400 cas pour 100.000 habitants, d'augmentation très brutale de ce taux ou d'une menace de saturation des services de réanimation.

Le Premier ministre pourra également interdire les transports aériens et maritimes. "Cette mesure prend en compte l’épée de Damoclès liée aux variants brésilien et surtout indien, qui est un double variant déjà présent en Grande-Bretagne", explique le rapporteur du texte Jean-Pierre Pont (LaREM).

Le régime transitoire maintient également la possibilité de "réglementer l'ouverture" des établissements recevant du public, jusqu'à la "fermeture provisoire d'une ou de plusieurs catégories d'établissements". Les rassemblements de personnes, les réunions et les "activités sur la voie publique" pourront aussi être réglementés.

Justificatif de vaccination

Le projet de loi donne également au gouvernement une base légale pour instaurer un "pass sanitaire" en France. Si le texte est adopté en l'état, l'exécutif pourra continuer d'"imposer aux personnes" voyageant depuis ou à destination de n'importe quelle partie du territoire français de fournir une attestation justifiant qu'il n'est pas ou plus malade du Covid-19.

Cette attestation pourrait avoir différentes formes : 

  • un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination,
  • un justificatif de l'administration d'un vaccin,
  • un document attestant du rétablissement à la suite d'une contamination,
  • toute combinaison de ces modes d'attestation.

Comme l'a confirmé le président de la République, ces dispositions devraient être mises en oeuvres cet été sur papier ou via l'application TousAntiCovid, dont le "carnet numérique" est actuellement testé pour les voyages à destination de la Corse. Le système d'attestation sera obligatoire non seulement pour les voyages à destination et en provenance d'un autre pays européen, mais aussi pour assister à des rendez-vous de grande envergure, comme des festivals ou des événements sportifs.

Ce point annoncé vendredi par Emmanuel Macron est actuellement absent du texte gouvernemental : "Il faudra poser des conditions très claires, limitées dans le temps et que le dispositif reste exceptionnel pour ne pas créer une jurisprudence", promet Guillaume Gouffier-Cha, responsable La République en marche du texte. Le député assure que tous les amendements qui chercheront à imposer un pass sanitaire pour la "vie quotidienne", par exemple aller au restaurants ou faire ses courses, seront repoussés.

Élections, congés payés

Le texte contient également d'autres dispositions. Le nombre de jours de congés payés que l'employeur pourra imposer jusqu'au 31 octobre à son salarié après un accord d'entreprise ou un accord de branche passera de six à huit.

L'article 8 du texte modifie par ailleurs le code électoral pour garantir le bon déroulement des élections régionales et départementales, prévues les 20 et 27 juin. Ainsi, le projet de loi assoupli les règles en matière d'affichage, de tables dans les bureaux de vote. Par ailleurs, les isoloirs pourront être placés en extérieur ou dans des espaces ouverts, à condition que le bon déroulement de l'opération de vote soit assuré "quelles que soient les conditions météorologiques".

La conservation des données des malades et de leurs cas contacts dans les fichiers Sidep et Contact Covid créés au printemps dernier pour suivre l'évolution de l'épidémie va être prolongée. Prévus à l'origine pour trois mois et systématiquement prolongés, ces fichiers aux données "pseudonymisées" pourront selon le texte être conservés pendant vingt ans. "C'est un sujet qui ne passera pas comme une lettre à la poste", reconnaît Guillaume Gouffier-Cha, qui attend l'audition prochaine du ministre du Numérique, Cédric O, pour obtenir des précisions sur ce choix.

Les aides économiques (activité partielle, indemnisation pour garde d'enfant, fonds de solidarité, etc.) seront prolongées d'autant avec le régime transitoire. Le projet de loi permettra désormais de les "territorialiser" : "C'est logique, à partir du moment où on peut mettre en place des confinements territorialisés", explique Guillaume Gouffier-Cha. 

État d'urgence "Canada dry"

Dans cette crise du Covid-19, c'est la deuxième fois que ce régime "transitoire" de sortie de l'état d'urgence sanitaire est mis en oeuvre. Lors de la première vague, un confinement avait été instauré du 17 mars au 11 mai 2020 : l'état d'urgence sanitaire avait été voté dans la loi du 23 mars, avant d'être prolongé jusqu'au 10 juillet de la même année. 

Pour éviter une sortie sèche de ce régime d'exception, et maintenir les "outils" permettant de "combattre" l'hypothèse d'une "reprise épidémique", le Parlement avait voté en juillet 2020 un régime "transitoire" : celui-ci permettait au Premier ministre de prononcer des restrictions de déplacement, limiter l'ouverture d'établissements ou encore encadrer les manifestations. Des dispositions critiquées alors par l'opposition, qui jugeait que ce dispositif était un état d'urgence "Canada dry".

Au début de l'automne 2020, le gouvernement avait proposé de prolonger ce régime transitoire, avant d'être rattrapé par la hausse des contaminations. Le projet de loi avait été abandonné, le Parlement votant une nouvelle fois l'état d'urgence sanitaire.