Budget 2025 : procédure législative et scénarios possibles pour un exercice à haut risque

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Le ministère de l'Economie. DR
par Raphaël Marchal, le Mardi 24 septembre 2024 à 15:55, mis à jour le Jeudi 21 novembre 2024 à 14:45

La présentation du projet de loi de finances et son examen à l'Assemblée nationale seront les premiers moments de vérité pour le gouvernement Barnier. Equation financière difficile à résoudre, situation politique inédite... Que prévoit la procédure législative en matière de budget ? Quels sont les scénarios possibles ? Tour d'horizon pour un exercice à haut risque.  

Après la déclaration de politique générale que Michel Barnier, qui fera office de test devant l'Assemblée nationale, le projet de loi de finances fera PLF) office de premier défi d'ampleur pour le Premier ministre et son gouvernement. Les observateurs les plus chevronnés s'accordent à le dire, la construction et l'examen de l'opus 2025 sera une équation particulièrement difficile à résoudre. Aussi bien sur le plan financier que sur le plan politique.

"Le budget pour 2025 sera sans doute le plus délicat, ou un des plus délicats de la Ve République", a ainsi relevé le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, en insistant sur la situation des finances publiques lors d'une récente audition à l'Assemblée nationale. 

Outre le contexte budgétaire particulièrement tendu, l'état des forces en présence au Palais-Bourbon, sans majorité claire, rend l'exercice incertain et périlleux. A haut risque, l'examen du projet de loi de financess'inscrit, en revanche, dans le cadre d'une procédure très encadrée, afin de garantir au mieux le fonctionnement de l'Etat et du pays. Et pour cause... Chaque année, c'est en effet ce texte qui autorise la perception des impôts et fixe le cadre des dépenses pour chacune des politiques publiques (éducation, emploi, sécurité, justice, etc.)

Retard à l'allumage dans le processus budgétaire 

Une fois le texte élaboré et adopté par le Conseil des ministres, après avis du Conseil d'Etat, le projet de loi est transmis à l'Assemblée nationale, au plus tard le premier mardi d'octobre. Or, cette année, cette échéance correspond au 1er octobre qui sera aussi la date du coup d'envoi de la session parlementaire. Trop juste, en raison du temps pris par Emmanuel Macron pour nommer le chef du gouvernement et du temps dont celui-ci a eu besoin pour constituer son équipe. Matignon a donc déjà fait savoir qu'il envisageait de décaler sa présentation au 9 octobre. D'ici là, le Premier ministre aura prononcé sa déclaration de politique générale devant les députés, mardi prochain.

Un tel report contreviendrait à la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) ; mais il permettrait de tenir le délai fixé par l'article 47 de la Constitution. Le Parlement dispose de 70 jours pour se prononcer sur le projet de loi de finances, dont 40 jours pour la première lecture à l’Assemblée, 20 pour celle au Sénat et dix jours pour la navette parlementaire. Au terme de cette échéance, si le Parlement n'a pas réussi à statuer, le gouvernement est habilité à procéder par ordonnance.

Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet [de loi de finances] peuvent être mises en vigueur par ordonnance. Article 47 de la Constitution

Les députés de la commission des finances n'attendront toutefois pas début octobre pour commencer à travailler sur le budget. La semaine dernière, le président de la commission, Eric Coquerel (LFI), et le rapporteur général du budget à l'Assemblée, Charles de Courson, ont fini par obtenir un document préparatoire au projet de loi de finances. Et ce mercredi 25 septembre, la commission auditionnera le ministre chargé du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin

Une fois déposé en bonne et due forme au Parlement, le projet de loi de finances entamera un processus législatif bien défini, mais que la configuration actuelle au Palais-Bourbon pourrait venir bousculer. La procédure prévoit que le texte est d’abord examiné par l’Assemblée nationale en première lecture, en commission, puis dans l'hémicycle. Les députés débattent en premier lieu de la partie consacrée aux recettes, puis de celle relative aux dépenses. A l'issue de la navette parlementaire avec le Sénat, lorsque le texte est définitivement adopté, le Conseil constitutionnel peut être saisi. Ultime étape, le budget est promulgué par le président de la République pour publication de la loi de finances au Journal officiel le 31 décembre au plus tard.

Recours au 49.3, loi spéciale, application par ordonnance... Les outils du gouvernement

Lors de la phase parlementaire, si le gouvernement constate un blocage à l'Assemblée nationale, il peut décider d'engager sa responsabilité sur la base du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, qui permet l'adoption d'un texte sans vote, sauf dépôt d'une motion de censure. Un outil dégainé à 10 reprises par Elisabeth Borne sur les projets de loi de finances pour 2023 et 2024, au gré des différentes étapes de la procédure. A l'époque, le gouvernement disposant d'une majorité relative suffisamment nette, le vote d'une éventuelle motion de censure dépendait des Républicains. Mais dans la configuration actuelle, le risque sera plus grand puisque,s'ils votent une même motion, le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national peuvent renverser le gouvernement

En cas de besoin, le gouvernement prendra-t-il ce risque ? Ou poussera-t-il l'examen du budget jusqu'au vote ? Avec une éventualité qui n'est pas expressément prévu la Constitution : le rejet du projet de loi de finances dans le cadre du délai imparti au Parlement pour se prononcer. Une hypothèse sur laquelle des spécialistes de la Constitution, de la Lolf et du budget ont déjà commencé à travailler. Dans ce cas, le gouvernement disposerait de solutions, au moins temporaires.

N'ayant plus le temps de déposer et de faire adopter un nouveau PLF en bonne et due forme dans les délais impartis par la Constitution, il pourrait utiliser une procédure, qui n'a pas été prévue pour s'appliquer dans cette situation, mais qui existe à l'article 45 de la Lolf. Il s'agirait pour le gouvernement de déposer "un projet de loi spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année". 

Enfin, comme le prévoit l'article 47 de la Constitution pour les lois de finances : " Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance". Une hypothèse sur laquelle pourrait jouer le gouvernement. Et qui serait aussi ouverte si, suite au rejet du PLF, il fallait en déposer un nouveau qui ne pourrait être ni adopté, ni promulgué, avant la fin de l'année. Une application du budget par ce moyen serait cependant du jamais vu. Et comporterait une dose d'incertitude juridique.

Outre son caractère périlleux pour Michel Barnier, l'automne budgétaire pourrait donc aussi avoir un caractère inédit.