Budget de l'Etat et budget de la Sécu : quels signes politiques envoient les amendements retenus par l'exécutif ?

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Le ministère de l'Economie. DR
par Soizic BONVARLETMaxence Kagni, le Mercredi 22 novembre 2023 à 08:45

En première lecture, dans la version des textes établie suite à l'utilisation du 49.3, le gouvernement a retenu 486 amendements au projet de loi de finances et 298 amendements au projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Le choix des amendements sélectionnés résulte d'arbitrages financiers, mais il est aussi révélateur des relations politiques que l'exécutif entretient avec les groupes de la majorité, ainsi qu'avec les groupes d'opposition. Décryptage. 

Entre 49.3 et motions de censure, les débats de l'automne budgétaire se sont vite convertis en affrontements rhétoriques, sur fond d'accusations de déni démocratique d'un côté, d'irresponsabilité de l'autre, aux dépens de l'examen en tant que tels des projets de loi de finances (PLF) et de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Si tous les amendements déposés n'ont pas eu l'occasion d'être discutés dans l'hémicycle, le gouvernement en a retenu quelques centaines - faisant valoir un "enrichissement" d"origine parlementaire - dans la version des textes déclarés adoptés, en première lecture, à l'Assemblée nationale, suite à l'échec des motions de censure. 

Le RN et LFI écartés par le gouvernement

A l'heure des comptes, deux groupes sont absents de la liste des amendements retenus : le gouvernement n'a conservé aucun amendement émanant des rangs du Rassemblement national et de La France insoumise, les deux principaux groupes d'opposition en nombre d'élus au Palais-Bourbon, avec respectivement 88 et 75 députés. Une décision qui n'est pas surprenante, puisque la majorité présidentielle, ainsi que le gouvernement, se refusent à tout accord, à toute concession, avec ces deux forces politiques. La Première ministre en tête, Elisabeth Borne, considérant que le RN et LFI ne font pas partie de ce qu'elle appelle "l'arc républicain".  

Renaissance largement en tête des amendements retenus

Sans surprise également, ce sont les groupes de la majorité et, en particulier le principal d'entre eux, le groupe Renaissance, qui ont eu le plus d'amendements retenus. Ainsi, sur les 486 amendements validés sur le projet de loi de finances (358 côté "recettes", 128 côté "dépenses"), un peu plus d'un tiers (168) émanent du groupe présidé par Sylvain Maillard, qui compte 170 députés. 

Parmi ces amendements, celui de David Amiel prorogeant jusqu'en 2028 (au lieu de 2027) le dispositif "éco-PTZ", qui permet d'emprunter sans intérêts pour effectuer des travaux de rénovation. Un autre amendement, porté par le président du groupe, Sylvain Maillard, prévoit la création d'un fonds de 5 millions d'euros dédié à la lutte contre les punaises de lit, pensé pour venir prioritairement en aide aux propriétaires les plus modestes. Sur les meublés de tourisme, le gouvernement a retenu un dispositif proposé par le rapporteur général de la commission des finances, Jean-René Cazeneuve, qui réduit l'abattement fiscal de 71 à 50% pour toutes ces locations dans les zones dites "tendues".

A également été retenue la mesure portée par Mathieu Lefèvre et Louis Margueritte relative au rachat de leurs propres actions par les entreprises. Ces opérations s'étant déjà largement développées à des fins de rémunération des actionnaires, l'amendement prévoit que les actions distribuées aux salariés à l'issue d'une opération de rachat bénéficient de dispositifs fiscaux allégés.

De la même façon, sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale : 48,3% des amendements retenus sur la partie "recettes" émanent des groupes de la majorité - Renaissance; Démocrate, Horizons - et 57,7% sur la partie "dépenses". Là encore, le groupe Renaissance est celui qui inscrit le plus d'amendements dans le texte (6 amendements sur la partie recettes et 24 sur la partie dépenses).

Horizons mieux servi que le MoDem 

Les deux autres groupes de la majorité - Horizons et Démocrate - ont obtenu un nombre d'amendements retenus sensiblement équivalent l'un à l'autre. Ainsi, les députés du groupe Démocrate ont vu 46 de leurs amendements sélectionnés sur le PLF (soit environ 10% du total des amendements retenus), tandis que leurs collègues du groupe Horizons ont vu 43 de leurs amendements validés. Sur le PLFSS, 16 amendements siglés MoDem et 14 amendements présentés par Horizons ont été conservés.

Du côté du groupe Démocrate, a notamment été retenu un amendement prévoyant une enveloppe de 30 millions d’euros pour lutter contre le harcèlement scolaire. Un amendement porté par le président du groupe, Jean-Paul Matteï, a aussi été validé. Il prévoit un abattement exceptionnel sur la taxation concernant les plus-values lors de ventes de terrain à bâtir ou bâtis, avec pour objectif d'"inciter à la circulation du capital immobilier" en créant un "choc foncier" au moment où la crise du logement s'aggrave.

Du côté d'Horizons, le gouvernement a notamment accédé à une demande de longue date du groupe présidé par Laurent Marcangeli, ainsi que par des députés Renaissance : une partie de l’épargne des Livrets A et de développement durable et solidaire pourra financer les entreprises du secteur de la défense, sans pour autant rogner sur la part dévolue au logement social. 

Cette égalité de traitement entre les groupes Démocrate et Horizons peut interpeller puisque les premiers sont plus nombreux que les seconds (51 membres contre 30). En proportion, les députés du parti d'Edouard Phillippe ont donc vu plus de leurs amendements sélectionnés que les élus du parti de François Bayrou. Selon un député influent du groupe Renaissance, cette différence de traitement est, pour le gouvernement, une façon de montrer qu'il n'y a pas de prime aux tentatives de s'écarter de la ligne fixée par l'exécutif au risque de mettre à mal, même ponctuellement, la cohésion de la majorité. 

Il faut dire que, comme l'an dernier, des désaccords sont parfois apparus entre les choix du gouvernement et certaines propositions, et même certains votes, du groupe Démocrate. En commission des finances, des amendements ont ainsi été votés grâce à une addition de voix du MoDem et de voix venues des rangs de l'opposition, contre l'avis du rapporteur général du budget, Jean-René Cazeneuve (Renaissance). Sans surprise, ces amendements n'ont pas été retenus dans la version du texte élaborée après l'utilisation du 49.3. 

Si tant est qu'il y ait eu une forme d'avertissement envoyé à l'attention du groupe Démocrate sur le PLF, l'analyse des amendements retenus sur le PLFSS permet de nuancer cette lecture et montre en tout cas que passé l'avertissement, les choses sont revenues à la normale. Sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, les députés Horizons ont certes vu 14 de leurs amendements retenus, mais 12 d'entre eux étaient identiques à des amendements qui avaient aussi été déposés par d'autres groupes ou par le gouvernement. Alors que sur les 16 amendements que le groupe Démocrate a réussi à faire retenir sur ce texte, 8 n'avaient été déposés que par le groupe de Jean-Paul Matteï. C'est notamment le cas de la suppression du jour de carence pour les arrêts de travail prescrits aux femmes ayant subi une interruption médicale de grossesse, proposée par Sandrine Josso.

Les Républicains grands gagnants des oppositions

Si le gouvernement a complété sa copie en intégrant des mesures proposées par sa majorité, il l'a également enrichie avec un certain nombre d'amendements venus des oppositions. À ce jeu, ce sont Les Républicains qui sont les mieux représentés. Sur le projet de loi de finances, 26 amendements sont issus des rangs du groupe présidé par Olivier Marleix, soit 5,3% des amendements retenus. Parmi ces mesures figure la poursuite au-delà de 2024 du doublement du plafond d’exonération fiscale et sociale de la "prime de transport" versée par les employeurs.

Côté PLFSS, le groupe LR est également largement en tête : 81,8% des amendements issus des oppositions émanent des Républicains sur la partie "recettes", et 44,78% sur la partie "dépenses". Ces chiffres sont toutefois gonflés par la propension des députés LR à déposer plusieurs amendements similaires plutôt que d'en déposer un seul signé par l'ensemble des députés du groupe favorables à la mesure.

Ces statistiques montrent néanmoins un certain nombre de convergences entre le gouvernement et Les Républicains, ainsi que la volonté de l'exécutif d'envoyer des signes à un groupe qui joue un rôle charnière à l'Assemblée, tant sur le vote des textes - hors budgets -  que sur le rejet des motions de censure. 

Quelques signes envoyés à la gauche hors LFI

A gauche, le groupe Socialistes (31 députés), le groupe Ecologiste (23) et le groupe Gauche démocrate et républicaine (22), ont vu quelques-unes de leurs propositions retenues. 17 amendements des députés socialistes, présidés par Boris Vallaud, ont ainsi été intégrés au PLF, dont celui porté par Christine Pirès Beaune prolongeant de trois années supplémentaires le plafond majoré à 1 000 euros (au lieu de 552) pour la réduction d’impôt qui s'applique au titre des dons aux organismes venant en aide aux plus démunis. Ce dispositif dit "Coluche" permet une défiscalisation à hauteur de 75 % des versements effectués à ces associations.

Les députés écologistes, dont une douzaine d'amendements ont été retenus dans le projet de loi de finances, ont notamment obtenu 10 millions d’euros supplémentaires pour la prévention des risques liés à la pollution aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), également qualifiées de "polluants éternels". Les députés du groupe présidé par Cyrielle Chatelain s'est, en outre, illustré sur la partie "dépenses" du budget de la Sécurité sociale avec 11 amendements retenus, parmi lesquelles figurent leurs propositions sur les catégories de préservatifs rendus gratuits pour les moins de 26 ans, sur la non toxicité des protections périodiques remboursées pour les femmes de moins de 26 ans, ou encore sur les protections périodiques pour les personnes transgenres.

Enfin, le groupe Gauche démocrate et républicaine, présidé par André Chassaigne au sein duquel siègent les députés communistes, a vu 7 de ses amendements validés dans le cadre du PLF. Parmi les mesures retenues, celle portée par Davy Rimane visant à avancer d'un an l'élargissement du dispositif "Cadres d'avenir" à la Guyane. Ce programme porté par le ministère des Outre-mer, accompagne les étudiants, avec pour objectif de former de futurs cadres intermédiaires et supérieurs locaux, dans le cadre d’une mobilité facilitée avec l'Hexagone; 

Liot bien traité par le gouvernement

Le groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (Liot) a, quant à lui, été plutôt bien traité, avec notamment un amendement sur l'indemnité carburant de 100 euros, qui sera élargie du cinquième au sixième décile, et devrait donc concerner près de 6 millions de personnes au total, soit 60% des travailleurs qui utilisent leurs véhicules pour les trajets domicile-travail.

Au total, le gouvernement a retenu une vingtaine d'amendements au PLF proposés par le groupe Liot, qui compte 21 députés. Et dans le cadre du PLFSS, le groupe présidé par Bertrand Pancher est le seul groupe d'opposition, avec Les Républicains, à avoir vu certains de ses amendements sélectionnés sur la partie "recettes" du texte. 

Outre certaines convergences, ce traitement semble illustrer la volonté de l'exécutif de renouer le dialogue avec le groupe Liot. Après un début de quinquennat relativement constructif, les relations avec ce groupe s'étaient crispées lors de la réforme des retraites. A chaque texte son enjeu, mais à travers les amendements retenus sur le Budget de l'Etat et le budget de la Sécurité sociale, le gouvernement envoie aussi des signes à des groupes avec lesquels il aura besoin de discuter lors de l'examen du projet de loi sur l'immigration, qui arrive à l'Assemblée nationale.