Censure de l'ex-article 24 de la loi de sécurité globale : "Nous ne lâcherons rien", promet Jean-Michel Fauvergue

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Jean-Michel Fauvergue à l'Assemblée nationale, le 20 mai 2021
par Maxence Kagni, le Jeudi 20 mai 2021 à 17:36, mis à jour le Vendredi 21 mai 2021 à 15:06

L'ex-article 24 de la proposition de loi "pour une sécurité globale préservant les libertés" a été censuré par le Conseil constitutionnel. Ce dispositif proposait de sanctionner la "provocation à l'identification" de policiers et de gendarmes : il sera retravaillé et étudié à nouveau devant le Parlement, a déjà promis le co-rapporteur du texte Jean-Michel Fauvergue (LaREM).

Fin de parcours pour le contesté ex-article 24 de la proposition de loi "pour une sécurité globale préservant les libertés" : dans une décision datée de ce jeudi 20 mai, le Conseil constitutionnel censure cet article, le jugeant non conforme à la Constitution.

Ce dispositif, déplacé à l'article 52 du texte, avait pour but de réprimer la diffusion malveillante d'images de policiers en ligne. Il sanctionnait la "provocation à l'identification" d'un agent de police ou d'un gendarme lorsque celui-ci "agit dans le cadre d'une opération de police" ou d'un agent des douanes "lorsqu'il est en opération". Ce délit, puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende, était constitué si le but du contrevenant était de "manifestement" porter "atteinte l'intégrité physique ou psychique" du policier, du gendarme ou du douanier.

Mais selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions législatives sont trop vagues : l'article ne définit pas suffisamment ce que signifie "agir dans le cadre d'une opération de police" ou, s'agissant des douaniers, "être en opération".

De plus, il est difficile de définir le "but manifeste" du contrevenant : "Les dispositions contestées font peser une incertitude sur la portée de l'intention exigée de l'auteur du délit." En clair, "le législateur n'a pas suffisamment défini les éléments constitutifs de l'infraction", ce qui "méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines". Si bien que le dispositif est jugé "contraire à la constitution".

Cette décision n'entame pas la détermination du co-rapporteur du texte Jean-Michel Fauvergue (La République en marche) : "Nous ne lâcherons rien là-dessus, nous allons retravailler notre copie et la mettre dans d’autres textes qui vont arriver à l’Assemblée nationale, d’autres vecteurs législatifs", promet le député au micro de LCP.

L'autre co-rapporteure de la proposition de loi, la députée La République en marche Alice Thourot, ne dit pas autre chose : "A titre personnel, je trouve important de mettre en oeuvre des dispositions qui protègent nos forces de l'ordre." L'élue évoque elle aussi la possibilité de "retravailler" le texte afin de le reproposer dans une autre loi.

"Je prends acte de cette décision", a de son côté réagi Gérald Darmanin sur Twitter. Le ministre de l'Intérieur "proposera au Premier ministre Jean Castex d'améliorer les dispositions qui connaissent des réserves du conseil constitutionnel".

Droit d'informer

C'est la fin d'un parcours législatif chaotique. Dans sa première mouture, l'article 24 avait été critiqué par la Défenseure des droits Claire Hédon, mais aussi par une partie de la classe politique et des membres de la majorité. Avec la crainte que cet article, qui touchait alors à la loi de 1881 sur la liberté de la presse, ne ne vienne restreindre la liberté d'informer.

Sous pression, le gouvernement avait finalement décidé de modifier le dispositif par amendement, en précisant que l'article s'appliquerait "sans préjudice du droit d'informer". Et la proposition de loi avait été adoptée le 24 novembre.

Mais quelques jours plus tard, le Premier ministre, Jean Castex, avait proposé de confier la réécriture du dispositif à une "commission indépendante". Une proposition qui avait aussitôt provoqué la colère des parlementaires et la "vive émotion" du président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand. Face au tollé, le Premier ministre avait finalement renoncé à sa proposition.

Une réécriture des sénateurs

Le travail de réécriture avait donc été effectué par les sénateurs, qui avaient retiré la référence à la loi de 1881 sur la liberté de la presse et créé le nouveau délit de "provocation à l'identification", inscrit dans le code pénal. Cette version avait ensuite été retenue par la commission mixte paritaire, qui s'était réunie le 29 mars dernier. Sans toutefois convaincre l'ensemble des participants : "Cela reste un délit d'intention", avait alors réagi la députée MoDem Laurence Vichnivesky, tandis qu'Eric Diard (Les Républicains) évoquait un article rédigé en des termes qui ne lui "paraissaient pas très clairs".

En tout, 87 députés députés avaient saisi le Conseil constitutionnel : Frédérique Dumas et Charles de Courson (Libertés et Territoires), Ugo Bernalicis (La France insoumise),  Stéphane Peu (Gauche démocrate et républicaine), Paula Fortezza (non inscrite) et Marietta Karamanli (Socialistes) sont même allés plaider leur cause directement devant le Conseil.

Le Premier ministre lui-même avait également saisi les Sages sur l'article controversé. "Je crois que le gouvernement avait anticipé [cette censure]", réagit jeudi Ugo Bernalicis, qui se dit "vraiment satisfait". "C'est un camouflet pour le gouvernement, les rapporteurs, pour tous ceux qui en rajoutaient sur ce texte", estime l'élu.

Polices municipales

Le Conseil constitutionnel a également censuré l'article 1er qui ouvrait la possibilité à certains territoires d'expérimenter pendant cinq ans un élargissement des pouvoirs de la police municipale.

Le dispositif prévoyait d'octroyer aux policiers municipaux mais aussi aux gardes-champêtres le droit de constater par procès-verbal certains petits délits comme la vente à la sauvette, la conduite sans permis, la conduite sans assurance ou encore l'occupation illicite de hall d'immeuble. Pour cela, les agents pouvaient relever les identités des auteurs des délits en question.

L'article avait été contesté par l'opposition de gauche lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Le conseil constitutionnel a pour sa part jugé que les pouvoirs offerts aux policiers municipaux et aux gardes-champêtres sont trop importants. En effet, l'article 66 de la Constitution indique que des actes de police judiciaire doivent être placés sous le contrôle de l'autorité judiciaire et non pas sous le contrôle d'autorités communales. L'article est donc censuré : "Je regrette cette décision, c'était une disposition importante pour nos territoires, pour les élus locaux, et pour les Français", réagit la rapporteure Alice Thourot.

Drones

D'autres dispositions ont été censurées. C'est le cas d'une partie de l'article sur l'utilisation des drones par les forces de l'ordre, notamment pour surveiller des manifestations. Lors de l'examen du texte, plusieurs députés avaient évoqué des risques d'atteinte à la vie privée. Pour cette raison, les parlementaires avaient inscrit dans le texte que les opérations de captation d'images "sont réalisées de telle sorte qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées".

Une précaution insuffisante pour le Conseil constitutionnel, qui estime que "le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée". Par ailleurs, les Sages estiment que le dispositif n'est pas suffisamment encadré dans le temps et que les drones peuvent être trop largement utilisés, "y compris pour une contravention".

"Nous serons le seul pays européen à ne pas utiliser les drones", regrette Jean-Michel Fauvergue, qui ajoute que cet article répondait à un "besoin important". "A un certain moment, les praticiens de terrain vont précéder sans doute les textes et c'est bien dommage", conclut le député.