Confiance dans l'institution judiciaire : la réforme adoptée par les députés

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Illustration Justice
par Jason WielsSoizic BONVARLET, Raphaël Marchal, le Vendredi 21 mai 2021 à 10:24, mis à jour le Mercredi 28 juillet 2021 à 16:36

Après avoir terminé, dans la soirée du jeudi 20 mai, l'examen des deux projets de loi, ordinaire et organique, intitulés "pour la confiance dans l'institution judiciaire", l'Assemblée nationale a adopté la réforme, en première lecture, lors d'un vote solennel mardi 25 mai. 

Réforme attendue de la fin du quinquennat, en particulier des professionnels du droit et des justiciables, la future "loi Dupond-Moretti" a été passée au crible des députés tout au long de la semaine. Revue de détail des principales mesures adoptées.

Un nouveau cadre pour les enquêtes préliminaires

Les enquêtes préliminaires, menées par la police judiciaire sous la direction d'un procureur de la République, ne sont aujourd'hui pas limitées dans le temps. Le vote, à l'unanimité, de l'article 2 du projet de loi change la donne : leur durée sera limitée à deux ans – ou exceptionnellement trois ans, sur autorisation écrite du procureur.

C'est historique. Nous allons [LES] limiter dans le temps, permettre l'accès au contradictoire, veiller à ce qu'il y ait moins de violation des secrets de l'enquête. Éric Dupond-Moretti, le 19 mai 2021

À noter que, s'agissant de délinquance organisée ou des faits de terrorisme, les délais seront étendus à trois ans par défaut, extensibles jusqu'à cinq ans.

Face aux craintes exprimées par certains élus de voir ces délais nuire aux investigations, le garde des sceaux a dit viser les "3% d'enquêtes qui durent plus de deux ans". "Un délai d’un an est parfaitement normal, il n’y a rien à en dire. C’est lorsque l’enquête dépasse deux ans que l’on commence à tiquer. Ce sont les situations anormales qu’il convient de corriger, et non celles où tout se passe normalement", a-t-il fait valoir.

La MoDem et ancienne magistrate Laurence Vichnievsky a réclamé en vain des délais supplémentaires pour les infractions financières et leurs "investigations complexes". "À l'expiration du délai", le procureur de la République "peut requérir l'ouverture d'une information : ce n'est pas comme si le dossier était jeté à la poubelle", a répondu Eric Dupond-Moretti.

Pour mieux garantir le contradictoire, le texte permettra au suspect de demander – un an après une audition ou une perquisition, ou à la suite d'une mise en cause dans les médias – d'accéder au dossier et de transmettre ses observations. Le but est notamment d'éviter le "lynchage médiatique", selon le rapporteur Stéphane Mazars. Le procureur de la République peut retarder de six mois cette ouverture au contradictoire si l'enquête est en cours et si la communication porte atteinte aux investigations.

Des procès filmés

Il s'agit là de la mesure la plus emblématique de la réforme portée par le garde des Sceaux. Et pourtant, elle ne devrait pas avoir d'effets visibles avant plusieurs années. En effet, l'enregistrement des procès à visée pédagogique est conditionné à de nombreux garde-fous. La diffusion des audiences ne sera ainsi pas possible avant que l'affaire ne soit définitivement jugée, a rappelé Éric Dupond-Moretti. En outre, dans le cas où l’audience n’aura pas été publique, les parties concernées devront donner leur accord préalable à l'enregistrement. Le texte prévoit aussi un droit à l'oubli, en garantissant l'anonymat des personnes cinq ans après la première diffusion, et dix ans à compter de l’autorisation d’enregistrement. 

Malgré ces différents éléments, plusieurs élus de l'opposition ont fait part de leurs craintes sur cette évolution, qui pourrait, selon eux, faire pencher certains procès dans la "justice spectacle". Pascal Brindeau (UDI et indépendants) a ainsi tempêté contre une "dérive" qui "viendra par l'essence même de nos médias", jugeant que la mesure s'inscrit dans la ligne de la "télé-réalité".

La seule façon de faire connaître la justice, c'est de la montrer. Elle ne doit avoir rien à craindre. Éric Dupond-Moretti, le 18 mai 2021

"De quoi avez-vous peur ?", a rétorqué le ministre de la Justice dans l'hémicycle, arguant au contraire que cette réforme allait permettre de lutter contre la "désinformation" de certaines chaînes d'info en continu ou d'émissions "trash". Éric Dupond-Moretti a au contraire vanté une "grande garantie démocratique" qui ne pourra qu'améliorer le travail du personnel judiciaire. "Je n'ai pas à craindre que l'on regarde la justice."

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Par ailleurs les députés ont renforcé les peines prévues pour sanctionner l'enregistrement et la diffusion des audiences par des particuliers. Cette infraction sera désormais punie de deux ans d'emprisonnement et 4 500 euros d'amende. Sur proposition du gouvernement, ils ont également étendu la possibilité de filmer et diffuser les procès aux auditions, interrogatoires et confrontations réalisés par le juge d’instruction.

Le secret de la défense consolidé

Il s’agit d’un autre objectif majeur du texte : le renforcement du secret professionnel qui lie l’avocat et son client. Les perquisitions visant le cabinet ou le domicile d'un avocat, sa mise sur écoute ou encore l'accès à ses fadettes, ne seront désormais autorisées que s’il existe des "raisons plausibles" de soupçonner l’avocat d'avoir commis ou tenté de commettre l’infraction faisant l’objet de la procédure. Ces mesures devront en outre être motivées par le juge des libertés et de la détention et portées à la connaissance du bâtonnier.

Dans l’hémicycle, cette disposition a fait l’objet d’un débat terminologique lié à l’expression "raisons plausibles", une partie de l’opposition la jugeant trop vague et de nature à être interprétée abusivement, lui préférant les termes de "faisceau d'indices" ou "éléments de preuve". Les amendements en ce sens n’ont pas été retenus.

Des amendements similaires et transpartisans de Sébastien Huyghe (LR), Pascal Brindeau (UDI et Indépendants), Emmanuelle Ménard (non inscrite) ou encore Ugo Bernalicis (La France insoumise), ont souhaité décliner les dispositions prévues à l’article 3, pour encadrer davantage les perquisitions visant les parlementaires. Ils n'ont pas été adoptés, mais la commission et le gouvernement ont formulé la possibilité d'une clause de revoyure lors de l'examen du texte au Sénat, le temps de travailler davantage les termes de la mesure.

La généralisation des cours criminelles

La réforme prévoit également de généraliser les cours criminelles, à compter du 1er janvier 2022. Introduites à titre expérimental par la loi de "programmation pour la justice" du 23 mars 2019, ces cours permettent de juger des crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion, sans jury populaire. L'objectif est de limiter la correctionnalisation et l'engorgement des affaires devant les cours d'assises.

Des amendements de suppression de cette évolution ont été écartés. En séance, plusieurs députés de l'opposition ont en effet regretté que l'expérimentation, prévue pour durer trois ans, ne soit pas menée jusqu'au bout, limitant ainsi le recul sur une réforme d'envergure. "Le sujet n'est pas celui de la pertinence des cours criminelles départementales", a ainsi relevé Philippe Gomès (UDI et Indépendants), qui a fait part de son étonnement quant à l'arrêt de l'expérience "au milieu du gué", seulement justifié par la survenue d'un véhicule législatif.

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Stéphane Mazars, a répondu aux craintes d'une partie de l'opposition, défendant cette évolution pendant plus de dix minutes et assurant que l'objectif n'était pas de supprimer les cours d'assises, auxquelles il s'est dit "viscéralement attaché". Le rapporteur a vanté les premiers résultats du tribunal d'exception, justifiant sa généralisation. "Aujourd'hui, on a, sur les pôles criminels, entre la cour criminelle départementale et la cour d'assises, quelque chose de cohérent, d'efficient."

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Des remises de peine sous conditions

L'article 9 réforme le régime des réductions de peine. La système actuel permet des remises de peine pour bonne conduite et confère à chaque détenu un crédit automatique qui peut être réduit en cas de mauvais comportements. Un crédit instauré par la loi Perben II en 2004 et jugé "hypocrite" par Éric Dupond-Moretti, qui a proposé avec succès aux députés de le supprimer :

Les détenus verront désormais leurs réductions de peine "conditionnées à l'effort" : "Oui, se lever est un effort, apprendre à lire, se soigner, se désintoxiquer est un effort. (...) C'est le gage de [la] réinsertion des détenus", a argué le ministre.

"C'est une proposition qui était dans le programme de Marine Le Pen en 2017", a vivement dénoncé Ugo Bernalicis. Pour le député de la France Insoumise, l'article 9 incarne "la faillite idéologique et intellectuelle" du gouvernement. "Tant mieux si Mme Le Pen vote ce texte !", a rétorqué le ministre.

Pointant une "obsession presque pathologique pour Marine Le Pen", l'élu Rassemblement national Sébastien Chenu a attaqué la déclinaison de la mesure :

Quand j'entends que 'dire bonjour au surveillant pénitentiaire' est un effort mesurable, je me dis qu'il y a encore du chemin à faire. Sébastien Chenu, le 20 mai 2021

À ce stade du projet de loi, le juge de l'application des peines (JAP) pourra accorder des réductions allant jusqu'à six mois par année de détention (ou deux semaines par mois pour les peines inférieures à un an) pour les condamnés ayant "donné des preuves suffisantes de bonne conduite" ou manifestant des "efforts sérieux de réinsertion".

Le projet de loi n'exclut enfin pas tout à fait les remises de peine automatique. Un alinéa permet aux condamnés en fin de peine de bénéficier d’une mesure de "libération sous contrainte" lorsque le reliquat de leur peine atteint trois mois. Alors que la droite a demandé la suppression de cette mesure, Stéphane Mazars a défendu ce mécanisme : "Il ne s’agit évidemment pas de remises de peine déguisées ! Les personnes continuent à purger leur peine, mais elles le font de manière différente – en liberté conditionnelle, en semi-liberté, dans un logement où elles sont assignées sous bracelet électronique."

"Ce n’est pas le principe de la sortie accompagnée qui pose problème mais son caractère automatique, sans que le juge d’application des peines ait donné son point de vue, a objecté Cécile Untermaier (PS). Cette proposition contredit un peu votre volonté de vous élever contre le régime de l’octroi automatique de réductions de peine."

Les syndicats de policiers entendus sur les peines

Le texte a aussi été l'occasion pour l'exécutif de répondre aux exigences des syndicats de police. Un amendement gouvernemental a été déposé mercredi, jour de la manifestation des policiers devant l'Assemblée nationale. Il permet l'instauration d'une peine de sûreté de 30 ans pour les condamnés à perpétuité pour un crime contre un policier ou un gendarme. Un cas de figure aujourd'hui limité aux crimes commis en bande organisée contre les forces de l'ordre.

"Tirer sur un policier, c'est tirer sur la République", a justifié le ministre, très applaudi par la droite qui proposait la même mesure. Sur le même thème, le gouvernement a soutenu un amendement pour que les personnes coupables de violences sur les personnes dépositaires de l'autorité publique ne puissent pas prétendre à des réductions de peine maximale, ni bénéficier de la libération sous contrainte à trois mois de leur sortie de prison.

L’activité professionnelle encouragée en milieu carcéral

Le projet de loi visait enfin à traduire dans la loi l’engagement pris par Emmanuel Macron le 6 mars 2018, que "le droit du travail (…) puisse s’appliquer aux détenus". L’article 11 du projet de loi crée donc un contrat d’emploi pénitentiaire, en lieu et place de l’acte unilatéral d’engagement qui liait jusqu’à présent l’administration pénitentiaire à la personne incarcérée. Ce acte n’assurait à cette dernière aucun des droits attenants au Code du travail. Les dispositions relatives au temps de repos, à la durée journalière de travail, aux heures supplémentaires et aux jours fériés seront donc désormais appliquées au travail en prison. La possibilité de conjuguer incarcération et demande de formation professionnelle sera également encouragée.