L'assemblée nationale a continué mardi soir l'examen de la proposition de loi "visant à protéger les logements contre l’occupation illicite". Les députés ont notamment adopté une mesure qui doit permettre d'accélérer la résiliation d'un bail en cas d'impayés de loyer. Sous l'impulsion du ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, ils ont en revanche supprimé l'assimilation à un "vol" de "l'occupation sans droit ni titre d’un immeuble bâti à usage d’habitation".
Selon Eric Dupond-Moretti, la députée Les Républicains Annie Genevard "confond le sens commun et le droit". Mardi soir, l'Assemblée nationale a modifié en profondeur, à l'invitation du ministre de la Justice, l'article 1er A de la proposition de loi "visant à protéger les logements contre l’occupation illicite". Cet article, ajouté en commission après le vote d'un amendement de la députée LR, assimilait à un "vol" l'occupation sans droit ni titre et de "mauvaise foi" d'un "immeuble bâti à usage d'occupation".
Une rédaction qualifiée "d'imprécise" par le Garde des Sceaux, qui a évoqué plusieurs "écueils constitutionnels" notamment au sujet de la notion de "mauvaise foi". "Le squat est un vol au sens commun du terme, oui, bien sûr, [mais] au sens juridique non", a-t-il expliqué. Eric Dupond-Moretti a aussi dénoncé une formulation qui reviendrait à "incriminer les locataires défaillants qui ne font l'objet d'aucune mesure d'expulsion" et qui aboutirait, par exemple, à les priver du bénéfice de la trêve hivernale. Le ministre a donc estimé, en accord avec le rapporteur, Guillaume Kasbarian (Renaissance), que ce passage du texte nécessitait d'être retravaillé.
Anticipant ces critiques, Annie Genevard avait déposé un amendement de réécriture, qui a été adopté par ses collègues. Il supprime la notion de "mauvaise foi", difficilement définissable dans le code pénal, selon Eric Dupond-Moretti. Il opère surtout une distinction entre "le squatteur" et le "locataire qui ne paie plus ses loyers" et adapte les sanctions prévues : jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende pour le premier, tandis que le second, s'il viole une décision de justice "définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois", pourra être puni de 6 mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende.
Annie Genevard souhaitait cependant conserver l'assimilation du squat à un "vol", un "terme qui semble choquer les oreilles sensibles". L'élue n'a pas été suivie par ses collègues, qui ont supprimé cette notion. L'Assemblée nationale a également exclu du champ d'application "les locataires susceptibles d'être concernés par la trêve hivernale ou ceux bénéficiant d'une décision de sursis à expulsion".
Cette nouvelle écriture répond en partie aux nombreuses critiques des députés des groupes de gauche, qui ont reproché au dispositif initial d'opérer un amalgame entre les squatteurs et les personnes dans l'incapacité de payer leurs loyers. William Martinet (La France insoumise) a ainsi donné l'exemple du famille fictive soudainement en difficulté financière à cause de la maladie d'un de ses membres : après un jugement d'expulsion, "cette famille [aurait risqué] des années de prison". "Vous avez couru après l'extrême droite, et vous vous retrouvez maintenant dans une situation honteuse", a encore affirmé le député, interpellant la majorité.
Plus globalement, les députés de gauche ont dénoncé un texte qui "criminalise la pauvreté". Rachel Keke (La France insoumise), qui a partagé sa propre expérience de femme ayant "connu la vie dans un squat", a critiqué une "criminalisation des gens qui fuient la misère et l'injustice du froid". "On ne résout rien en ajoutant du malheur aux malheureux", a encore déclaré l'élue, qualifiant le texte de Guillaume Kasbarian de "honte".
Plus tôt dans la journée, les députés ont décidé de pérenniser un dispositif expérimental prévu par la loi Elan : celui-ci permet de "mobiliser" des locaux vacants pour de l'occupation temporaire. Ces locaux, dans l'attente d'une vente immobilière ou d'un changement d'affectation, peuvent être occupés par des résidents temporaires à des fins de logements, d'insertion ou encore d'accompagnement social. La commission des affaires économiques avait décidé de prolonger l'expérimentation jusqu'à fin 2026 : à l'initiative de Paul Midy (Renaissance), les députés ont choisi mardi d'inscrire pleinement le dispositif dans la loi.
L'Assemblée nationale a également adopté l'article du texte qui vise à accélérer les procédures en cas d'impayés de loyer, en incluant de manière systématique dans les contrats de bail une "clause de résiliation de plein droit". Cette clause doit permettre au propriétaire de "provoquer la résiliation automatique du bail lorsqu’un commandement de payer est demeuré infructueux", sans avoir à engager une action en justice et donc, d'obtenir plus rapidement une expulsion. Elle pourra être suspendue par le juge, sur demande du locataire. Les députés du groupe Démocrate, soutenus par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, souhaitaient que le juge puisse s'autosaisir pour suspendre cette clause, mais cette proposition n'a pas été retenue.
Enfin, les députés ont validé l'accélération de la procédure contentieuse des litiges locatifs, en réduisant notamment le délai minimal entre une assignation et la tenue d'une audience, ainsi que le délai entre le commandement de payer et la possibilité d’assigner le locataire en justice. Les députés ont également adopté un amendement qui supprime "le délai de deux mois entre le commandement de quitter les lieux et le recours au concours de la force publique lorsque les locataires sont de mauvaise foi". L'examen de la proposition de loi se poursuivra mercredi après-midi.