IVG dans la Constitution : l'Assemblée nationale a voté le texte

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par Soizic BONVARLET, le Jeudi 24 novembre 2022 à 17:11, mis à jour le Mardi 25 juillet 2023 à 11:39

Les députés ont largement adopté, en première lecture, la proposition de loi visant à inscrire le droit à l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. Le texte, présenté par La France insoumise dans le cadre de sa journée d'initiative parlementaire, a été voté par les députés de la Nupes et de la majorité, mais aussi avec un certain nombre de voix venues des Républicains et du Rassemblement national. Le parcours législatif de cette proposition de loi ne fait cependant que commencer. 

Un "signal historique". C'est en ces termes que, non sans émotion, Mathilde Panot (La France insoumise), rapporteure de la proposition de loi visant à inscrire l'IVG dans la Constitution, a qualifié le vote de l'Assemblée nationale. Par 337 voix 'Pour', 32 'Contre', l'adoption - si ce n'est unanime, en tous cas très large -, du texte, a été saluée par le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, qui avait estimé un peu plus tôt "nécessaire" de "graver dans le marbre de notre Constitution le droit fondamental à l'IVG".

Une large majorité permise par un travail transpartisan que de nombreux élus ont tenu à souligner. Anne-Cécile Violland (Horizons et apparentés) a notamment vanté "la sagesse politique de députés qui ont su dépasser leurs clivages pour défendre [un] droit fondamental". Même constat de la part d'Erwan Balanant (Démocrate) : "Nous montrons par ce vote notre capacité à travailler ensemble, quand les sujets réclament le dépassement des clivages".

Un texte de compromis issu d'un travail transpartisan 

Erwan Balanant fait en l'occurrence partie des députés qui ont œuvré activement pour que le vote de la proposition de loi ne souffre pas de demi-mesure. Depuis l'examen du texte en commission, le 16 novembre dernier, La France insoumise avait montré des signes d'ouverture, acceptant que le texte initial soit amendé, afin qu'il puisse être adopté avec le plus grand nombre de voix possible à l'Assemblée, et avec l'espoir de convaincre le Sénat de le voter à son tour. 

C'est ainsi qu'Erwan Balanant, député de la majorité, et Mathilde Panot, députée de l'opposition, ont l'un et l'autre défendu un amendement similaire, infléchissant la formulation originelle de l'article unique de la proposition de loi présentée par le groupe LFI. Rédigé initialement en ces termes : "Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse", cet article dispose dorénavant que : "La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse". Un sous-amendement défendu notamment par Marie-Noëlle Battistel (Socialistes), a également été adopté pour rétrograder cette mention, de l'article 1er de la Constitution à un nouvel article 66-2 de la Loi fondamentale. Faisant œuvre de pragmatisme, les députés ont par ce geste souhaité donner un gage de bonne volonté aux sénateurs qui se sont opposés en octobre à un texte visant à inscrire l'IVG dans la Constitution.

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Une inflexion de nature à convaincre certains députés jusque-là réservés sur le texte.  Sans se prononcer en faveur de la proposition de loi, la présidente du groupe Rassemblement national, Marine Le Pen, a ainsi retiré son amendement, qui préconisait de constitutionnaliser la législation sur l'IVG en l'état du droit, estimant que la nouvelle rédaction du texte était en mesure de répondre "à l'inquiétude sur l'inconditionnalité des délais" et "au respect de la clause de conscience".

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Erwan Balanant avait en effet précisé un peu plus tôt que le droit à l'IVG était, dans cette formulation, rapporté à la loi en vigueur, coupant court à l'argument, plusieurs fois réitéré par la droite, de l'inscription d'un droit à l'IVG sans condition, et donc sans limite de délais. Pour autant, le député MoDem a aussi insisté sur la notion d'"effectivité" en vertu de laquelle "le Conseil constitutionnel jugerait inconstitutionnel une loi qui donnerait par exemple deux semaines de délai".

Non, nous n'inscrivons pas dans la Constitution un droit qui serait inconditionnel. Mathilde Panot

Dans le même esprit, Mathilde Panot a souligné que le texte ainsi réécrit permettait de "dire que non, nous n'inscrivons pas dans la Constitution un droit qui serait inconditionnel". Autre inflexion de taille concédée par la rapporteure : le retrait de l'inscription du droit à la contraception, en sus de l'IVG, dans la Constitution. Tout en considérant ces deux droits comme des "corollaires" et toujours favorable à une double inscription dans la Loi fondamentale, Mathilde Panot a cependant accepté cette concession pour "éviter l'obstruction parlementaire". Concrètement, le renoncement à cet aspect du texte a permis de faire tomber plus de 200 amendements, portés pour beaucoup par Les Républicains.

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Renaissance se prononce en faveur du texte, qui sera "le seul" sur le sujet

Malgré l'obstruction assumée de certains députés Les Républicains et Rassemblement national, qui ont abordé des sujets aussi divers que les langues régionales ou la reconnaissance d'une seule communauté nationale dans la Constitution au fil des débats, les députés ont pu terminer l'examen de la proposition de loi dans le temps imparti.

au nom de toutes nos mères qui se sont battues, au nom de toutes nos filles qui n'ont plus jamais à devoir se battre je l'espère, oui, je suis ici pour voter ce texte, et j'espère qu'il sera voté de manière très large aujourd'hui. Aurore Bergé

Lors des explications de vote, la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé, a partagé auprès de la représentation nationale l'histoire de sa mère, qui a eu recours à un avortement avant qu'il ne soit dépénalisé, subissant alors "un curetage sans anesthésie". Soutenant clairement le texte de LFI, "au nom de toutes nos mères qui se sont battues, au nom de toutes nos filles qui n'ont plus jamais à devoir se battre je l'espère", elle a indiqué que celui-ci "sera le texte unique sur ce sujet". Sa propre proposition de loi, visant elle aussi à inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution, et adoptée en commission le 9 novembre, ne sera donc pas examinée dans l'hémicycle lundi prochain, comme cela était prévu jusque-là. 

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Les groupes de la Nupes (La France insoumise, Socialistes, Écologiste, Gauche démocrate et Républicaine), ainsi que les groupes de la majorité (Renaissance, Horizons, Démocrate), ont voté en faveur du texte. Tandis que le groupe Les Républicains s'est scindé entre votes favorables et votes contre (13 pour, 7 contre et 2 abstentions, sur 62 députés) et que le groupe Rassemblement national s'est montré encore plus partagé (38 pour, 23 contre et 13 abstentions, sur 89). Un scrutin au goût de victoire pour Mathilde Panot qui, à l'issue du vote, est sortie de l'hémicycle avec plusieurs de ses collègues en chantant Debout les femmes, l'hymne féministe popularisé par le Mouvement de libérations des femmes (MLF) dans les années 1970.

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