Divisée en trois blocs, l'Assemblée nationale issue des élections législatives apparaît à la fois morcelée et plus centrale que jamais. Sans majorité claire et sûre de pouvoir gouverner dans la durée, et alors que le Nouveau Front populaire se cherche un candidat à Matignon, les discussions qui ont lieu au sein de ce bloc, mais aussi du côté d'Ensemble et des Républicains, seront déterminantes dans le choix du prochain Premier ministre et la composition de son gouvernement.
Plus que jamais, l'Assemblée nationale se retrouve au centre du jeu politique et institutionnel. En l'absence de majorité absolue et même, à ce stade, de majorité relative suffisamment claire pour être sûre de gouverner dans la durée, la structuration de la représentation nationale jouera un rôle déterminant pour aboutir à la nomination d'un Premier ministre et à la composition de son gouvernement.
Si le Nouveau Front populaire est le bloc qui compte le plus de députés, devant Ensemble et le Rassemblement national, la gauche se cherche encore un candidat à Matignon et ne bénéficie que d'un avantage en nombre fragile, qui ne mettrait pas un Premier ministre issu de ses rangs à l'abri d'une motion de censure précoce. Un avantage qui plus est d'ores et déjà menacé par la volonté de la coalition présidentielle de trouver une entente plus large, notamment du côté des Républicains, pour supplanter l'alliance de gauche.
À gauche, alors que les discussions sont permanentes entre les différentes composantes du Nouveau Front populaire, en particulier au sujet du choix d'un prétendant pour Matignon, les tractations parallèles vont également bon train. En coulisse, La France insoumise et le Parti socialiste se disputent le leadership, les responsables de LFI souhaitant conforter leur avance en nombre de sièges, tandis que ceux du PS tentent de rallier des élus afin de faire jeu égal, voire de dépasser, leurs alliés et rivaux.
Certains députés siégeant au groupe Liot lors de la précédente législature et anciennement socialistes pourraient ainsi revenir au bercail pour gonfler les rangs de leur famille politique d'origine. C'est en tout cas ce qu'a laissé entendre Laurent Panifous au micro de LCP mardi, exigeant cependant pour ce faire "une rupture claire [du Parti socialiste] avec La France insoumise", ce qui n'est pas jusque-ici la stratégie retenue.
"Nous avons tous été élus sous l'étiquette d'un bloc, notre obligation c'est de maintenir l'unité" fait valoir Andy Kerbrat (La France insoumise). S'il n'est pas inquiet à ce stade concernant l'avenir du Nouveau Front populaire, au regard des échanges qui ont lieu entre les partis membres de l'alliance, il "voi[t] quelque chose se passer au niveau de l'Assemblée nationale".
Si le Parti socialiste choisissait la voie d'une alliance avec les sociaux-libéraux, ce serait un reniement. Andy Kerbrat (LFI)
"On entend des rumeurs, notamment de constitution d'un groupe annexe auquel participerait Sacha Houlié, et qui pourrait faire tampon entre le NFP et la macronie", indique Andy Kerbrat. Figure de l'aile gauche de Renaissance, le président sortant de la commission des lois, qui a plusieurs fois fait entendre sa différence au sein de la majorité sortante, pourrait emmener avec lui d'autres députés du parti présidentiel, tout en fédérant une partie de ceux qui se revendiquent tout à la fois sociaux-démocrates et hostiles à un Nouveau Front populaire intégrant La France insoumise. Une pierre éventuelle à la construction d'une coalition qui renforcerait le bloc central, en intégrant des éléments du NFP, à l'exclusion de La France insoumise.
"Si le Parti socialiste choisissait cette voie-là, à savoir une alliance avec les sociaux-libéraux, ce serait un reniement", met cependant en garde Andy Kerbrat. "Cette hypothèse est plausible mathématiquement, mais constituerait une trahison des électeurs de gauche", ajoute-t-il.
"Je ne suis pas pour la compromission", a indiqué Olivier Faure à son arrivée à l'Assemblée nationale, mardi 9 juillet, fermant la porte à "une coalition des contraires". Le Premier secrétaire du Parti socialiste déclarant, au passage, être "prêt à assumer" la fonction de Premier ministre, à condition que le choix émerge "dans le dialogue" avec les autres composantes de la gauche, qu'il a qualifié de bloc "parfaitement uni" ayant "vocation à gouverner". "Jusqu'au 18 [juillet], il y a la possibilité de s'inscrire dans un groupe, donc beaucoup d'éléments vont encore bouger", a-t-il aussi souligné évoquant ainsi les rapports de force à l'œuvre au sein du Nouveau Front populaire.
Dans une logique similaire, Andy Kerbrat confirme que La France insoumise a invité des députés ultra-marins de gauche à rejoindre ses rangs. Ces derniers étaient auparavant dispersés dans d'autres groupes, en particulier celui de la Gauche démocrate et républicaine, aux côtés des élus communistes. Un objectif guidé, selon lui, par la "cohérence politique", mais qui permettrait également à sa formation de conforter son avance en sièges dans le bloc de gauche.
Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Edouard Philippe, Eric Woerth... En 2017, puis en 2022, de nombreux Républicains ont rejoint Emmanuel Macron. Réélu député, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, travaille déjà à de nouveaux rapprochements. Plus largement, Ensemble voit dans une entente avec Les Républicains, ou certains d'entre eux, dont les contours restent à définir, une façon de supplanter le Nouveau Front populaire.
Alors que Laurent Wauquiez, qui a fait son retour à l'Assemblée nationale à l'occasion des élections législatives, défend une ligne "ni coalition, ni compromission", les députés Les Républicains, dont il s'apprête à briguer la présidence, refusent une alliance en bonne et due forme. "Il y a beaucoup d'incertitudes, mais ce qui est certain, c'est que nous ne sommes pas devenus 'macroniens' et que nous n'allons pas rejoindre la majorité présidentielle", a indiqué Philippe Gosselin au micro de LCP, mardi 9 juillet.
Au-delà d'une coalition destinée à soutenir un gouvernement qui aurait à sa tête un Premier ministre issu d'Ensemble, le chef de file sortant du groupe Les Républicains, Olivier Marleix, a déclaré dans une interview au Figaro que "le Président Macron devrait nommer un Premier ministre issu des Républicains". Faute de tenir les rênes du gouvernement, les députés LR réfléchissent à l'idée d'un "pacte législatif" par lequel la droite s’engagerait à ne pas renverser le Premier ministre à la première occasion, voire à voter certains de ses projets de loi, en contrepartie de l'engagement d'avancer sur certains sujets primordiaux pour Les Républicains. Une sorte de "neutralité sans participation" au gouvernement, selon les mots d'un élu de droite qui considère que son groupe continuerait ainsi à faire partie de l'opposition sans pour autant prendre le risque de bloquer le pays.
Discussions, négociations, tractations... Au sein des blocs et entre les forces politiques, c'est à l'Assemblée nationale que se joue la tectonique des plaques de laquelle surgira, ou pas, le prochain gouvernement.