Lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur : l'examen d'une proposition de loi tourne à l'affrontement politique

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par Maxence Kagni, le Mercredi 7 mai 2025 à 08:15

Les députés ont entamé, mardi 6 mai au soir, l'examen dans l'hémicycle de la proposition de loi relative à "la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l’enseignement supérieur", portée par Constance Le Grip (Ensemble pour la République) et Pierre Henriet (Horizons). Au-delà du travail sur le texte lui-même, tensions, mises en cause politiques et invectives ont émaillé la séance. 

Après un débat tendu sur une proposition de résolution européenne "appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal", votée en fin d'après-midi, l'ambiance dans l'hémicycle a été encore plus houleuse dans la soirée, lors du début de l'examen de la proposition de loi initialement dédiée à "la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur". En commission, la semaine dernière le texte a été élargi à "la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l’enseignement supérieur".

Au centre des débats mardi 6 mai au soir, l'"augmentation alarmante des actes antisémites" depuis le 7 octobre 2023, dénoncée en ouverture des débats par le ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste. La gauche, le socle gouvernemental et le Rassemblement national se sont longuement rejetés la responsabilité de cette hausse, multipliant les "provocations" selon les mots du président de séance, Jérémie Iordanoff (Ecologiste et social). 

La proposition de loi prévoit d'intégrer la formation à la lutte contre l'antisémitisme et le racisme aux missions des établissements scolaires et d'enseignement supérieur et instaure une formation obligatoire à ces enjeux pour les enseignants et personnels d'éducation. Elle renforce aussi les obligations en matière de lutte contre l'antisémitisme et le racisme en créant une mission "Egalité et diversité" dans chaque établissement et prévoit une obligation de signalement des actes antisémites pour les présidents d'établissement et l'ensemble des personnels.

L'antisionisme mis en cause 

Le texte a été largement soutenu dans l'hémicycle, Céline Hervieu (Socialistes) affirmant, par exemple, que le texte "dote l'enseignement supérieur d'outils utiles, concrets et attendus". La député a cependant mis en avant la nécessité de doter l'université de moyens pour appliquer ces mesures. Mais les débats ont très vite été émaillés d'attaques plus ou moins directes entre groupes politiques. Visant sans le citer le Rassemblement national, Christophe Marion (Ensemble pour la République) a ainsi estimé qu'il fallait "être attentif à ce que la lutte contre l'antisémitisme ne devienne pas un mantra électoral, ou tout au moins, un gage de moralité politique qui effacerait des accointances passées".

Plusieurs députés, comme Alexandre Portier (Droite républicaine), Géraldine Bannier (Les Démocrates), ou encore Olivier Fayssat (Union des droites pour la République), ont quant à eux dénoncé l'influence de "l'antisionisme" dans la hausse des actes antisémites en France. Et Roger Chudeau (Rassemblement national) a mis en cause "une entreprise de prise de contrôle religieuse et politique des musulmans de France par l'islamisme radical frériste et leur récupération et instrumentalisation politique par la gauche et l'extrême gauche".

L'extrême gauche de l'hémicycle est ouvertement antisémite dans la sinistre tradition de Jacques Doriot et Marcel Déat. Roger Chudeau (RN)

Des accusations auxquelles ont répondu certains élus de gauche, le député communiste Jean-Paul Lecoq (Gauche démocrate et républicaine) affirmant que "la lutte contre l'antisémitisme est instrumentalisée par ceux qui veulent passer sous silence les critiques de l'Etat d'Israël et sa politique coloniale". De son côté, Raphaël Arnault (La France insoumise) a évoqué une "instrumentalisation" de l'antisémitisme par des "antisémites de la première heure" pour "protéger coûte que coûte la politique génocidaire du gouvernement suprémaciste israélien". 

"Derrière la haine d'Israël, c'est bien la haine des juifs", a fustigé Jérémie Patrier-Leitus (Horizons), qui a dénoncé une "haine banalisée par une extrême gauche coupable d'alimenter cette antisémitisme d'atmosphère". Selon lui, la comparaison de l'antisémitisme à l'islamophobie par la gauche constitue, par ailleurs, un "vocabulaire frériste" qui "entretient l'ambiguïté".

"Lutter contre l'antisémitisme ce n'est pas choisir un camp contre un autre, c'est comprendre que tous les racismes, sans exceptions, gangrènent notre vivre-ensemble", avait de son côté affirmé Steevy Gustave (Ecologiste et Social), qui a pris la défense des "femmes voilées (...) livrées au pilori du débat public".

De nombreuses "provocations"

Au fil de la soirée, la tension est encore montée d'un cran. Répondant à Julien Odoul (Rassemblement national), qui a estimé que "Sciences Po Paris est devenu Sciences Po Hamas", Louis Boyard (La France insoumise) a dénoncé l'"hypocrisie du RN qui a découvert la lutte contre l'antisémitisme le 7 octobre". Le député LFI a ensuite interpellé les membres du socle gouvernemental : "L'histoire retiendra de quel côté vous étiez, vous étiez du côté des islamophobes, des antisémites !"

"92% des Français juifs disent dans une enquête publique que pour eux La France insoumise est responsable de la montée de l'antisémitisme", a répondu la ministre déléguée chargée de la Lutte contre les discriminations, Aurore Bergé. "Vous tordez les faits et vous faites honte à la République", a aussitôt rétorqué la présidente du groupe "La France insoumise" Mathilde Panot, accusant le socle gouvernemental de "faire monter l'antisémitisme en solidarisant les personnes juives avec la politique d'extrême droite génocidaire de Netanyahou". Et Aurore Bergé de rétorquer que la "stratégie électorale" du parti de Jean-Luc Mélenchon favorise la montée de "l'extrême droite".

Oui, j'assume de vous avoir mis en accusation ! Aurore Bergé (ministre)

Dans une ambiance houleuse, le débat a été marqué par de nombreux rappels au règlement, Mathilde Panot affirmant avoir été qualifiée de "connasse" par un élu du RN. Et Sandra Regol (Ecologiste et Social) demandant des sanctions contre les propos "indignes" de Laurent Jacobelli (Rassemblement national), qui aurait dit qu'elle "ne va pas mordre la main qui l'a nourrie, à savoir LFI". Eric Salmon (RN) a ensuite reproché à François Piquemal (LFI) "d'avoir gravement mis en cause" son collègue Frédéric Boccaletti (RN) "qui a expliqué mille fois qu'il n'a jamais tenu de librairie antisémite". 

"Moi, j'ai honte", a réagi Steevy Gustave (Ecologiste et Social), appelant au calme et demandant aux autres députés de ne pas "bordéliser" les débats. "Il y a du côté du bloc central certains parlementaires qui ne veulent pas qu'on arrive au texte d'après, sur les déserts médicaux", a estimé Hadrien Clouet (La France insoumise).

L'examen de la proposition de loi transpartisane portée par Guillaume Garot (Socialistes), qui prévoit une régulation l'installation des médecins, est en effet inscrit à l'ordre du jour de ce mercredi à l'Assemblée nationale. Mais la lenteur des débats (les députés n'ont étudié qu'une quinzaine d'amendements en deux heures hier soir) risque de compromettre les chances du texte sur la lutte contre les déserts médicaux d'être adopté, en première lecture, cette semaine.