L'Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi "visant à sécuriser l'approvisionnement des Français en produits de grande consommation". Au cours des débats, plusieurs députés ont dénoncé l'attitude de Michel-Edouard Leclerc, qui a mené une vive offensive contre le texte dans les médias.
L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, mercredi 18 janvier, la "proposition de loi visant à sécuriser l'approvisionnement des Français en produits de grande consommation" (11 pour, 57 abstentions, 0 contre).
Ce texte, qui vise à "corriger le déséquilibre" entre la grande distribution et les industriels lors de leurs négociations commerciales, a fait l'objet d'une âpre bataille médiatique entre les députés et plusieurs acteurs du secteur, Michel Edouard-Leclerc en tête.
La mesure phare de la loi modifie les règles applicables en cas d'échec des négociations annuelles entre les distributeurs (Leclerc, Carrefour, etc.) et leurs fournisseurs (Lactalis, Panzani, par exemple). Ces négociations, qui débutent tous les 1er décembre, doivent s'achever avant le 1er mars.
En l'absence d'accord à cette date, le distributeur et son fournisseur continuent leur relation commerciale : "La continuité du contrat n'a [alors] pas du tout les mêmes conséquences pour l'acheteur ou pour le fournisseur", a expliqué l'auteur du texte, le député Renaissance Frédéric Descrozaille. D'un côté, l'acheteur, c'est-à-dire la grande distribution, "peut continuer à passer commande", tandis que le fournisseur, c'est-à-dire, l'industriel, "est obligé de le livrer, mais au tarif de l'année antérieure".
En clair, en cas d'échec des négociations, l'industriel peut être obligé de livrer ses produits à l'enseigne de grande distribution sans pouvoir répercuter une éventuelle hausse des prix liée, par exemple, à la hausse du coût de l'énergie. "Là réside un déséquilibre qui est porteur de destruction de valeur", a commenté Frédéric Descrozaille.
Dans la première version de son texte, l'élu Renaissance avait proposé de renverser intégralement le rapport de force : en cas d'absence d'accord au 1er mars, toute commande effectuée par l'enseigne de grande distribution se serait faite "sur la base du tarif et des conditions générales de vente en vigueur", c'est-à-dire sur la base des conditions tarifaires du fournisseur.
Cette proposition a provoqué la colère de Michel Edouard-Leclerc qui l'a vivement critiqué en dénonçant un texte qui aurait pu, selon lui, entraîner des hausses de prix de "10 à 30%".
Plusieurs enseignes de la grande distribution se sont unies pour dénoncer, dans un communiqué commun, une proposition de loi "désastreuse pour les consommateurs français".
Certains parlementaires semblent avoir choisi d’entendre le lobby des grands industriels au détriment des consommateurs et des PME. Extrait du communiqué de presse
Interrogé le lundi 16 janvier sur RMC, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait quant à lui indiqué que le texte de Frédéric Descrozaille devait être "retravaillé".
Les députés ont finalement adopté un amendement de réécriture de l'article, présenté mercredi par le député "Renaissance", qui modifie le dispositif initialement prévu. La version votée prévoit notamment une "expérimentation" de deux ans.
Concrètement, en cas d'échec des négociations au 1er mars, une période de transition d'un mois s'ouvrirait, pendant laquelle le distributeur et son fournisseur tenteraient, sous l'égide d'un médiateur, de s'accorder sur un "préavis de rupture commerciale" ou sur la relance de leur relation commerciale. En cas d'échec, la relation serait purement et simplement rompue.
La proposition de Frédéric Descrozaille n'a pas totalement convaincu le gouvernement, qui a émis un avis de "sagesse" : "On est à la recherche incessante d'un équilibre", a expliqué Roland Lescure. Le ministre délégué chargé de l'Industrie a pointé un "risque d'engorgement" de la médiation.
Par ailleurs, le médiateur serait amené à saisir le ministre de l'Economie, ce qui pourrait "l'obliger à rompre la confidentialité de sa mission". Enfin, la rupture de la relation commerciale pourrait "placer certains acteurs dans un situation préjudiciable".
La disposition a toutefois obtenu le soutien vigoureux de Richard Ramos (Démocrate). Le député du Loiret en a profité pour tancer Michel-Edouard Leclerc, "l'héritier né avec une cuillère en argent dans la bouche", qui "détourne l'argent des Français".
Thierry Benoit (Horizons) a lui aussi défendu la disposition, jugeant "inadmissible" l'achat par le groupe Leclerc de pages de publicités dans les quotidiens régionaux "pour dénoncer les députés et les sénateurs".
De son côté, le Rassemblement national a tenté, par le biais de Grégoire de Fournas, de réserver le dispositif aux PME. Et à droite, Emilie Bonnivard (Les Républicains) a mis en garde contre d'éventuels "effets pervers" du dispositif "pour nos PME et nos petites entreprises de la transformation". Son collègue Jérôme Nury (LR) a pour sa part regretté l'instauration de "règles communes pour des acteurs qui sont complètement différents".
Pour la gauche, le dispositif est insuffisant : "Cette proposition de loi ne permettra malheureusement pas de conjurer la hausse des prix", a estimé Yannick Monnet (Gauche démocrate et républicaine). "Je regrette votre approche restrictive qui ne fait qu'essayer de corriger les lois Egalim", a de son côté déclaré Laurent Alexandre (La France insoumise).
Le texte prévoit également de garantir que le droit français s'applique bien aux centrales d'achat basées en Europe dès lors que "les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français".
La proposition de loi limite aussi à 2% de "la valeur de la ligne des produits commandés" les pénalités logistiques pouvant être infligées aux industriels par la grande distribution. Enfin, elle prolonge jusqu'en 2026 l'encadrement des promotions et du seuil de revente à perte, prévu dans les lois Egalim 1 et Egalim 2.