Nouvelles missions, consultation infirmière, droit de prescription : les députés votent à l'unanimité une réforme du métier d'infirmier

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par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Mardi 11 mars 2025 à 06:50

L'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité, en première lecture, dans la nuit de lundi à mardi 11 mars, une proposition de loi transpartisane visant à rénover le métier d'infirmier, attendue depuis près de deux ans par la profession. Le texte, porté par Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République), doit maintenant poursuivre son parcours législatif au Sénat. 

Les députés ont adopté à l'unanimité (142 pour, 0 contre), en première lecture, dans la nuit de lundi à mardi 11 mars, une proposition de loi "sur le métier d'infirmier". Porté par Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République), ce texte, qui est examiné en procédure accélérée, vise à "reconnaître les missions des infirmiers et l'évolution de leurs compétences", alors que "les difficultés d’accès aux soins et le manque de personnel soignant sont des sources d’inquiétudes pour de nombreux patients et praticiens, en particulier dans les territoires ruraux où la désertification médicale est forte", précise l'exposé des motifs.

Nous allons répondre à l'enjeu de la reconnaissance de la profession d'infirmière. Nicole Dubré-Chirat, rapporteure du texte

"Nous allons répondre à l'enjeu de la reconnaissance de la profession d'infirmière", qui est aujourd'hui "définie par un décret d'actes, rarement actualisé", a déclaré en introduction la rapporteure, qui y voit "un carcan dans leur pratique quotidienne". Il s'agit de "projeter le métier dans une nouvelle modernité", a complété le ministre de la Santé, Yannick Neuder ; quand son prédécesseur Frédéric Valletoux (Horizons), désormais président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, a appelé "la nation" à reconnaître "à leur juste place le rôle et les compétences" des infirmiers. 

Des "missions socles" et un "diagnostic infirmier"

L'article 1er de la proposition de loi redéfinit la profession d'infirmier autour de cinq "missions socles" : la réalisation de soins infirmiers "curatifs, palliatifs, relationnels et destinés à la surveillance clinique" ; le suivi du parcours de santé des patients et leur "orientation" ; "la prévention", incluant dépistage et éducation thérapeutique ; "la participation à la formation" des pairs ; et la recherche. Lundi soir, dans l'hémicycle, les députés ont adopté deux séries d'amendements qui élargissent ces "missions socles", en y ajoutant la "conciliation médicamenteuse" et l'inscription des "soins relationnels". 

Cet article introduit également les notions de "consultation infirmière" et de "diagnostic infirmier", des termes habituellement réservés aux professions médicales, et donne aux infirmières l'autorisation de "prescrire" certains produits dont la liste sera définie par arrêté et mis à jour tous les trois ans. "Poser un diagnostic, c'est un art difficile qui nécessite une connaissance longue" et "nommer une pathologie relève de l'exercice médical", a mis en garde Cyrille Isaac-Sibille (Les Démocrates), qui, via un amendement - rejeté -, proposait de remplacer ce terme par celui "d'expertise infirmière". 

Dans l'hémicycle, Nicole Dubré-Chirat (EPR) et le ministre Yannick Neuder ont d'ailleurs insisté sur le fait que ce texte ne venait pas concurrencer le travail des médecins. "Il n'a pas du tout pour objectif d'empiéter sur le champ de compétences des médecins", a précisé la rapporteure dès le début de la discussion. "Il n'est pas question d'ouvrir un front avec les médecins ou avec les autres professions paramédicales", a renchéri Yannick Neuder lundi soir, préférant parler de "coopération" et de "complémentarité". 

Sans l'avis de l'Académie de médecine

La semaine dernière, la commission des affaires sociales avait également ajouté au texte une expérimentation de trois ans, dans cinq départements (ils seront arrêtés par décret), pour permettre aux infirmiers, exerçant dans un établissement de santé ou dans certaines structures pluri-professionnelles, de "prendre en charge directement les patients". Un amendement voté lundi soir prévoit qu'"au moins un département des territoires dits 'd'Outre-mer'" soit concerné par cette expérimentation. 

On connaît déjà son avis. (...) Elle est contre la prescription sans diagnostic réalisé par un médecin auparavant. sTÉPHANIE rIST (Ensemble pour la République)

Contrairement au précédent, c'est cette fois contre l'avis de la rapporteure et du ministre qu'un autre amendement, visant à se passer de l'avis de l'Académie de médecine pour élaborer la liste des produits que pourront prescrire les infirmiers, a été adopté. "On connaît déjà son avis. Lors de la dernière loi que j'ai pu porter ici (...), elle a sorti un communiqué de presse qui rappelle qu'elle est contre la prescription sans diagnostic réalisé par un médecin auparavant", a indiqué Stéphanie Rist (Ensemble pour la République).

L'article 2 du texte ouvre, quant à lui, de nouveaux terrains d'exercice aux infirmiers en pratique avancée (IPA) : les services de protection maternelle et infantile (PMI), de santé scolaire et d'aide sociale à l'enfance.

Une négociation à venir sur les rémunérations

Lundi soir, si la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité, de nombreux députés ont toutefois jugé qu'elle n'allait pas assez loin. "Il n'y a rien concernant les rémunérations, la prise en compte dans les retraites, les conditions de travail, donc elle reste à compléter", a notamment déploré Hendrik Davi (Ecologiste et social). Avant d'ajouter : "Travailler plus sans gagner plus, ce n'est pas forcément ce que les infirmières souhaitent." Sandrine Runel (Socialistes), qui a co-signé une proposition de loi avec sa collègue Karen Erodi (La France insoumise) pour revaloriser la formation et la profession des infirmiers, a dénoncé les "angles morts" du texte du jour. 

"Notre vote favorable n'est en rien une approbation des risques qui s'ajoutent à un système de santé qui se dégrade", a tenu à préciser le député Christophe Bentz (Rassemblement national), critiquant une "reconnaissance" des infirmiers "pas encore à la hauteur".

J'espère que le Sénat pourra voter rapidement (...) pour qu'ensuite nous puissions engager les négociations conventionnelles à partir de septembre. Yannick neuder, ministre de la Santé

En vue de l'après, La France insoumise a fait adopter un amendement (par 149 voix pour et 5 contre) réclamant l'ouverture d'une négociation sur la rémunération des infirmiers. "Si nous décidons que ce texte élargit les compétences, il faut les rémunérer !", a lancé le député René Pilato (LFI). Sur ce point, le ministre, qui s'y était préalablement engagé oralement, l'a répété en conclusion des débats : "J'espère que le Sénat pourra voter rapidement (...) pour qu'ensuite nous puissions engager les négociations conventionnelles à partir de septembre".

"Il y a encore un long chemin à parcourir, on va y arriver, on y croit", a de son côté affirmé, satisfaite, la rapporteure Nicole Dubré-Chirat.

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Le métier d'infirmier en quelques chiffres

Au 1er mars 2025, 565 553 infirmiers étaient inscrits au tableau de l'Ordre (dont 145 000 libéraux), à 87% des femmes. Certains sont spécialisés : 6 338 sont infirmiers de bloc opératoire, 7 479 infirmiers-anesthésistes, 14 462 infirmiers-puéricultrices, et 2 367 infirmiers de pratique avancée (IPA).

La Drees (services statistiques des ministères sociaux) compte, de son côté, plus de 600 000 infirmiers, car tous ne sont pas inscrites à l'Ordre.

L'âge moyen "tourne autour de 40 ans", a indiqué lundi lors d'une conférence de presse la présidente de l'Ordre national des infirmiers, Sylvaine Mazière-Tauran. Mais les infirmiers vieillissent : 12 000 ont plus de 60 ans.

"Nous recommandons qu'on anticipe les besoins et qu'on n'attende pas d'être devant le mur" pour renforcer l'attractivité du métier et l'accès à la formation, a-t-elle expliqué, encourageant les députés à voter la réforme du métier examinée ce jour. "Nous avons une opportunité" de donner aux infirmiers "une juste place", a ajouté Sylvaine Mazière-Tauran, car "on n'a plus le temps d'attendre".