Scandale Shein, restrictions sur les terres rares, déferlement d'exportations sur le Continent : ces dernières semaines ont fourni aux européens de nombreux motifs d'inquiétude dans leur relation avec Pékin. Alors que Donald Trump a scellé un accord d'un an avec le président Xi Jinping, l'UE semble sur le banc de touche. Un sursaut est-il possible ? Ou bien sommes-nous condamnés à rester à la remorque de la Chine ? Débat dans "Ici l'Europe" avec les eurodéputés Sandro Gozi (Renew, France) et Estelle Ceulemans (S&D, Belgique).
"Tout le problème des terres rares a été réglé ! Et cela vaut pour le monde entier !" : les mots de Donald Trump, le 30 octobre, après sa rencontre avec le président chinois Xi Jinping, ont été accueillis avec un ouf de soulagement dans l'Union européenne. Le commissaire au Commerce a estimé, dans la foulée, que l'accord scellé entre les puissances chinoise et américaine devrait aussi concerner les 27. Un sursis inespéré, après les craintes nées des restrictions sur les métaux rares décidées par la Chine quelques semaines plus tôt. Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle ?
"Je suis ravie d’entendre les déclarations de notre commissaire (...), mais moi je n’ai pas du tout la garantie que cet accord va concerner l’Europe", tempère l'eurodéputée Estelle Ceulemans. La socialiste belge se dit "pas rassurée" car "on est extrêmement dépendant vis-à-vis de la Chine pour ces terres rares", un "enjeu essentiel" pour de nombreuses technologies européennes.
Même bémol pour Sandro Gozi (Renew, France), qui s'inquiète en particulier que l'Europe ait été laissée pour compte dans ces négociations. "Je ne crois pas qu’il faut suivre les USA dans leur mauvaise analyse avec la Chine", tranche-t-il, estimant que Donald Trump s'était "déjà trompé" lors de l'accord conclu sous son premier mandat, comme d'autres présidents américains avant lui. Aux yeux de l'eurodéputé et ancien ministre des affaires européennes en Italie, la Chine est "un partenaire indispensable mais aussi un rival systémique". "Nous devons utiliser les instruments dont nous sommes dotés pour avoir un commerce équitable et protecteur de nos intérêts avec Pékin, que nous décidons, pas qui soit décidé par le Président des États-Unis", tranche-t-il.
De ce point de vue, Sandro Gozi somme les européens de conquérir une "autonomie stratégique réelle" sur les terres rares, en ayant un minimum de 10% produits sur le Continent et appelle à nous "diversifier à travers de nouveaux accords commerciaux". "Nous avons réussi à devenir plus indépendants vis-à-vis de la Russie sur le gaz, nous devons faire la même chose sur les terres rares vis-à-vis de la Chine", conclut-il. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a d'ailleurs annoncé un nouveau plan en ce sens fin octobre.
Si le problème des terres rares continue d'inquiéter, un autre vient d'éclater, qui relève lui de la surabondance : la fast-fashion, et les produits vendus par la plateforme Shein, au coeur d'un scandale en France. La découverte de la vente de poupées pédopornographiques, au moment où l'enseigne ouvrait son premier lieu de vente physique sur le Continent, au BHV à Paris, a suscité beaucoup d'émoi. Alors que le gouvernement français a pris des mesures de rétorsion, l'Union européenne, pour l'heure, tarde à réagir. "C’est fou qu’on assiste les bras grands ouverts à l’ouverture d’un magasin de la part d’un opérateur qui est en contradiction avec nos valeurs européennes et même en contravention avec nos règles européennes ; c’est hallucinant !", cingle Estelle Ceulemans. Elle appelle les 27 à "lutter contre la fast-fashion", et se dit prête à "réfléchir" à une taxe sur les petits colis, sur le modèle de celle discutée en France.
"On a des instruments pour rééquilibrer les relations commerciales quand elles se font en violation de nos règles, nous devons les appliquer", estime lui Sandro Gozi. Pour l'eurodéputé, cette affaire le montre : ''On a été naïf avec la Chine". "On a pensé que naturellement, en faisant du commerce avec elle, la Chine allait évoluer, suivre nos règles".
Signe des temps, au moment même où éclatait l'affaire Shein en France, Pékin, par la voix de son ministre des affaires étrangères ouvrait une perspective inattendue, mardi 4 novembre : celle d'un accord de libre-échange entre la Chine et l'Union européenne. Pour Estelle Ceulemans, le sujet ne fait aucun doute : "c’est extrêmement dangereux". Si on négocie un accord de libre-échange avec la Chine - et on voit sur quelles conditions, sur les aspects sociaux et environnementaux - nous sommes perdants" prédit l'eurodéputée belge.
Elle rappelle les dégâts déjà causés sur le front de l'emploi par le dumping chinois sur l'acier par exemple, qui a "détruit 100 000 emplois entre 2008 et 2021". Et de redouter une amplification des phénomènes déjà en cours : "une déferlante de produits qui non seulement sont produits sans respect de normes sociales et environnementales, de droits humains en Chine, mais qui ne respectent pas, souvent, les normes européennes en matière de sécurité". L'eurodéputée appelle au contraire à durcir les règles, et notamment à appliquer la directive sur le devoir de vigilance, afin que les "opérateurs ici respectent les droits humains sociaux et environnementaux : pas de travail forcé, pas de travail des enfants tout au long de la chaîne de sous-traitance !".
Lui aussi circonspect, Sandro Gozi s'interroge. Chine-UE : un bon accord serait-il possible ? "Cela dépend de nous !" juge-t-il. Avant de conclure, ironiquement : "Si on négocie avec la Chine comme nous avons négocié avec les États-Unis en Écosse [sur les droits de douanes], il vaut mieux ne pas commencer !"