Bétharram : "Je vous en supplie, ne laissez pas le sujet s'éteindre", demandent les victimes de violences à la commission d'enquête

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La commission d'enquête sur les violences dans les établissements scolaires
La commission d'enquête sur les violences dans les établissements scolaires.
par Anne-Charlotte DusseaulxSoizic BONVARLET, le Jeudi 20 mars 2025 à 16:53, mis à jour le Jeudi 20 mars 2025 à 21:37

La commission d'enquête sur "le contrôle par l'Etat et la prévention des violences dans les établissements scolaires publics et privés" a débuté ses auditions, ce jeudi 20 mars, avec les témoignages de huit représentants de collectifs de victimes de violences subies dans des établissements de l'enseignement catholique. Pendant plus de deux heures, ils sont revenus sur les sévices infligés à de nombreux élèves. Parmi leurs demandes : l'imprescriptibilité des violences commises sur les enfants.

Ils ont décidé de lever l'omerta et de faire entendre leurs voix, dans la foulée des révélations sur l'établissement catholique Notre-Dame-de Bétharram. Huit porte-paroles de collectifs de victimes*, dont Alain Esquerre pour l'institution béarnaise située à proximité de Pau, ont été auditionnés ce jeudi 20 mars à l'Assemblée nationale, par la commission d'enquête sur "les modalités du contrôle par l’Etat et de la prévention des violences dans les établissements scolaires". "C'est de votre force, de votre courage que cette commission est née", a lancé après un premier tour de table l'un des deux co-rapporteurs Paul Vannier (La France insoumise), estimant "assister à une forme de tsunami, de mur, qui est en train de se briser". 

C'est un jour fondateur aujourd'hui. Vous ouvrez la libération de la parole. Violette Spillebout, co-rapporteure de la commission d'enquête

"On a le devoir d'être à la hauteur de l'espoir qui est en train de naître. C'est un jour fondateur aujourd'hui. Vous ouvrez la libération de la parole", a complété sa collègue co-rapporteure Violette Spillebout (Ensemble pour la République).

Des violences physiques, psychologiques et sexuelles

Pendant un peu plus de deux heures, les victimes, interrogées sur leurs vécus respectifs, ont enchaîné les témoignages bouleversants. D'abord, sur la difficulté d'en parler et sur l'omerta qui régnait autour de ces violences physiques, psychologiques et sexuelles. "C'était tabou. Mes parents sont morts, ils ne l'ont jamais su. J'en ai parlé à mon épouse il y a trois semaines, après 50 ans de mariage", a confié Bernard Lafitte, du collectif de Notre-Dame du Sacré Cœur de Dax. De son côté, Evelyne Le Bris (Collectif des victimes du Bon pasteur d’Angers) estime que "des milliers de filles n'ont jamais rien dit", car elles ont "trop honte", se sentent "trop humiliées". Elle, à 78 ans, "ira jusqu'au bout" pour obtenir "des excuses sincères".

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Pourtant, "tout le monde était au courant", a lancé la représentante des victimes de Riaumont de Liévin, Ixchel Delaporte. "Le père Revet assumait d'embrasser les enfants sur la bouche, de les enfermer au pain sec et à l'eau pendant cinq jours, nus, dans des douches, frappés à coup de ceinturon", a-t-elle développé.

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Au cours de cette matinée, les victimes sont aussi longuement revenues sur les sévices subis. "On s'est fait massacrer pendant trente ans. (...) On nous a cassé", a raconté Didier Pinson (Collectif des victimes de Saint-Pierre de Relecq-Kerhuon), parlant de "violence systémique", qui a eu comme conséquences, pour beaucoup, "la dépendance à l'alcool, des morts prématurées de maladies, des suicides". Evelyne Le Bris a raconté les nuits passées dans les bois avec les chiens des "bonnes sœurs" pour chercher les filles qui avaient fugué en tentant de fuir l'institution et évoqué, avec douleur, la perte de l'une d'entre elles qui "était tombée" : "Les chiens l'ont mangé… en fait."

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Refusant de cautionner l'idée qui reviendrait à dire que "c'était une autre époque" et que donc, certaines violences auraient pu être perçues comme tolérables, Constance Bertrand (Collectif des victimes de Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine) s'en est pris au "manque de courage des adultes". En ce qui concerne son établissement, elle a indiqué avoir "reçu des témoignages allant de 'telle personne m'a mis une gifle qui m'a fait me retourner sur moi-même’ à des abus sexuels extrêmement graves".

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"J'ai honte de mon pays. J'ai honte de voir que des enfants ont été frappés, humiliés, dans nos écoles", a lancé Gilles Parent (Collectif des victimes de Saint-François-Xavier d’Ustaritz), la main gauche couverte d'un gant blanc en hommage aux victimes. 

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Tout au long de ces auditions, les premières menées par la commission d'enquête, les députés ont voulu savoir ce qui aurait pu être fait, aux yeux des victimes, pour éviter que de tels actes se produisent, évoquant à la fois le contrôle des établissements, la question des signalements ou des recrutements d'enseignants. "Il y a un trou dans la raquette. Les dispositifs d'alerte ne marchent pas", a dénoncé Alain Esquerre, qui prend pour exemple la situation des collectifs qui se sont montés, pour certains très récemment : "On en est à créer de pauvres pages Facebook !"

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L'imprescriptibilité des violences commises sur les enfants

A la fin de la matinée, Constance Bertrand, qui voit dans les nombreux témoignages le "#MeToo de l'enseignement catholique", a lancé un appel aux députés présents, les exhortant à ne pas les "oublier" et à "aller dans [leurs] circonscriptions" pour écouter les victimes : "On connaît le temps médiatique. Je vous en supplie, ne laissez pas le sujet s'éteindre", a-t-elle lancé, demandant à ce qu'après le "jour 1", en ce jeudi 20 mars, il y "ait le jour 2, puis le jour 3, etc."

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Dans une déclaration commune, faite à la sortie des auditions face aux journalistes, les collectifs de victimes de l’enseignement catholique ont demandé à "la Nation" de "prendre la mesure de ses manquements" et listé plusieurs recommandations : l'imprescriptibilité des violences commises sur les enfants, l'interdiction d'accueillir dans les internats des enfants de moins de 14 ans, la création d'un office national de contrôle des établissements sous contrat, ou encore la mise en place d'un statut de reconnaissance nationale pour les victimes

Le temps de la lumière est désormais venu. Alain Esquerre, porte-parole du collectif des victimes de notre-dame-de-Bétharram

Des mesures qu'Alain Esquerre devait présenter à 15 heures à la ministre de l'Education nationale, Elisabeth Borne. "Nous souhaitons saluer le courage de ceux qui ont parlé hier et de ceux qui parlent aujourd'hui", a-t-il ajouté, estimant que "le temps de la lumière est désormais venu" : "Pas celui de la parole, mais celui de l'écoute de la Nation, celui du courage pour tous ceux qui savaient et qui se sont tus."

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* Les huit collectifs de victimes entendus par la commission d'enquête sont ceux de Notre-Dame de Bétharram, de Notre-Dame du Sacré Cœur de Dax, de Notre-Dame de Garaison, de Saint-Pierre de Relecq-Kerhuon, de Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine, du Bon pasteur d’Angers, de Saint-François-Xavier d’Ustaritz et de Riaumont de Liévin.

La Ciivise regrette "l’absence de dispositif de prévention"

Auditionnée dans la foulée des collectifs de victimes, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a appelé à bâtir "une culture de la vigilance", en particulier à l'égard des établissements scolaires. Et pour cause, ils représentent le premier lieu institutionnel où s’exercent des violences sexuelles faites aux enfants, a indiqué la secrétaire générale de la Ciivise, Alice Casagrande.

"Il ne s’est pas encore passé dans l’Education nationale ce qui s’est passé dans le domaine du sport", a regretté Frank Burbage, inspecteur général de l’Education nationale et membre de la Ciivise. Tous deux ont précisé que ce n’était pas tant le statut administratif des établissements, soit leur caractère public ou privé, qui avait une influence sur la fréquence des agressions, que le degré d’"exposition" des enfants, au travers notamment du niveau de "cohabitation" avec les adultes, citant l’exemple de la présence ou non d’un internat.

Ils ont, en outre, déploré "l’absence de dispositif de prévention" au sein de l’Education nationale pour ce qui est des violences sexuelles, tant à destination des élèves que des encadrants.

Jean-Marc Sauvé (Ciase) pointe une proportion plus forte d'agressions dans le privé

La commission d'enquête a achevé sa journée d'auditions en entendant notamment Jean-Marc Sauvé, qui a présidé la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase). Au regard de "l’ampleur des violences sexuelles qui ont été exercées sur les enfants", ce dernier a évoqué un "drame dont on s’obstine à ne pas tirer les conséquences".

Et d'indiquer que 2% du total des agressions sexuelles sur mineurs identifiées seraient commises dans les établissements scolaires privés et 3,4% dans le public. L’enseignement public scolarisant environ 80% d’une classe d’âge, Jean-Marc Sauvé a souligné que la "prévalence" de ces actes était donc significativement supérieure dans le privé. Pour ce qui est de l'Eglise catholique, il a indiqué que près d’un tiers des agressions commises en son sein ont eu lieu dans des établissements scolaires.

À l’unisson de la Ciivise, Jean-Marc Sauvé a lui aussi identifié, parmi les critères expliquant cette proportion plus grande, "l’impact totalement objectif qu'est l’internat", dont l'existence est plus fréquente au sein des établissements privés. Il a également expliqué que nombre d’agressions s’étaient exercées dans le cadre de l’accompagnement spirituel, notamment à la faveur du huis clos de la confession.

Egalement auditionné, le président de la Commission reconnaissance et réparation (CRR), Antoine Garapon, a quant à lui évoqué un "discours religieux qui favorise une emprise" dans les établissements privés à caractère confessionnel.