Auditionnée par la commission d'enquête sur "les modalités du contrôle par l’Etat et de la prévention des violences dans les établissements scolaires", Françoise Gullung, enseignante à Notre-Dame de Bétharram dans les années 1990, a livré son témoignage aux députés. "J'ai considéré que c'était de la barbarie de faire cela à des enfants", a-t-elle déclaré, évoquant les violences au sujet desquelles elle a tenté d'alerter.
Françoise Gullung a enseigné les mathématiques à Notre-Dame de Bétharram de 1994 à 1996. Elle y a décrit un climat de terreur dont elle a été témoin dès les premiers jours de sa prise de fonction au sein de l'établissement. Entendue ce mercredi 26 mars par la commission d'enquête sur "les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires", elle a réitéré les témoignages qu'elle avait déjà portés devant la presse, y apportant des précisions.
L'enseignante désormais retraitée a notamment décrit "des enfants écrasés de fatigue, ternes, passifs", "qui avaient passé une grande partie de la nuit debout sans pouvoir dormir". Françoise Gullung a raconté un échange qu'elle avait eu alors avec l'infirmière de l'établissement, lui ayant expliqué les causes de l'état d'épuisement de ses élèves en classe. "Les enfants étaient mis au garde à vous, au pied de leur lit, ça pouvait durer deux ou trois heures", a-t-elle aussi relaté.
Si Françoise Gullung a répété qu'elle n'avait pas été témoin, et qu'on ne lui avait pas rapporté de violences sexuelles durant son expérience à Notre-Dame de Bétharram, elle a décrit une scène ayant eu lieu peu après son arrivée en 1994. "J'ai entendu un adulte qui hurlait sur un enfant, le cognait, j'entendais les coups. Venait vers moi Madame Bayrou, donc je lui ai dit 'qu'est-ce qu'on peut faire ?' Elle n'a pas compris ce que j'attendais". Une absence de réaction d'autant plus significative, selon elle, qu'Elisabeth Bayrou "c'était l'image que l'on présentait de Bétharram, le faire-valoir", a-t-elle affirmé.
Françoise Gullung a indiqué avoir "commencé à signaler" après sa discussion avec l'infirmière de l'établissement. Et avoir alors écrit à François Bayrou, "parce qu'il était ministre de l'Education nationale et conseiller départemental". Elle a en outre indiqué avoir pensé, à l'époque, qu'il était également membre du Conseil d'administration de l'institution.
Alors que le courrier qui lui avait été adressé, dans lequel elle faisait état de maltraitances et de violences, était resté sans réponse, elle relate l'avoir croisé "quelques mois plus tard" lors d'un événement organisé au sein de l'établissement. Réitérant ses alertes, l'actuel Premier ministre lui aurait répondu "on exagère", et aurait minimisé l'ampleur de la situation à Bétharram, que la professeure de mathématiques a qualifié de "lieu de torture".
"Je pense que tous les enseignants savaient (...). Moi on m'a toujours demandé de me taire", a par ailleurs déclaré Françoise Gullung, avant de faire état d'intimidations dont elle a eu le sentiment d'être la cible. "On a abîmé ma voiture, on a téléphoné chez moi avec des menaces", a-t-elle affirmé, avant de faire part de son ostracisation par l'établissement à la suite de ses tentatives pour briser le silence.
Des journalistes également entendus
Auditionnés un peu plus tôt, plusieurs journalistes ayant enquêté sur l'affaire Bétharram ont fait part d'une violence "systémique" s'étant exercée plusieurs décennies durant au sein de l'institution. David Perrotin, de Mediapart, a ainsi évoqué "des alertes régulières, constantes", émanant de victimes comme de la presse régionale, "au moins depuis 1993 et jusqu'en 2025". "Quand on dit 'tout le monde savait', c'est très concret", a-t-il affirmé.
Une "omerta" qu'America Lopez (France 3 Aquitaine) a, en partie, attribué au caractère "sacré" du lieu, situé "à huit kilomètres de Lourdes", ayant permis de protéger "un système de pédocriminalité organisée, avec des connivences entre religieux et laïcs (...) sur plus d'un demi-siècle".
Sur François Bayrou, que son journal a mis en cause tant il aurait eu connaissance de faits de violence exercés dans l'enceinte de l'établissememnt religieux, Antton Rouget (Mediapart) a estimé qu'"à travers lui, on voit toutes les composantes de la culture du déni qui explique ce qu'il s'est passé à Notre-Dame de Bétharram". Et de citer "le déni dans la sphère religieuse", "le déni de la sphère familiale", "le déni des notabilités locales", et "le déni institutionnel jusqu'à la tête du ministère de l'Education nationale", en ce que "malgré les publications de la presse, les alertes d'une enseignante, les protestations de certains parents, on ne veut pas voir, on ne veut pas croire".
Pour ce qui est de l'ampleur du phénomène qui pourrait s'apparenter à un #MeToo de l'enseignement privé catholique, Gabriel Blaise (Sud Ouest) a indiqué être régulièrement contacté par de nouvelles victimes, au-delà même de sa sphère régionale. "Ce n'est que le début", estime le journaliste.