Bétharram : la commission d'enquête auditionnera François Bayrou le 14 mai

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Conférence de presse de la commission d'enquête Bétharram
Conférence de presse de la commission d'enquête Bétharram.
par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Jeudi 10 avril 2025 à 19:40

Auditionnés par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur "les modalités du contrôle par l’Etat des violences dans les établissements scolaires", ce jeudi 10 avril, un ancien gendarme et un ancien juge ont maintenu des propos qui vont à l'encontre des dénégations de François Bayrou à propos de l'affaire Bétharram. Le Premier ministre sera lui-même auditionné le 14 mai.

On connaît la date. Le Premier ministre, François Bayrou, sera auditionné le 14 mai à 17 heures à l'Assemblée nationale par la commission d'enquête sur "les modalités du contrôle par l'Etat et de la prévention des violences dans les établissements scolaires", créée à la suite des révélations sur Notre-Dame-de-Bétharram. L'annonce a été faite, ce jeudi 10 avril, par sa présidente Fatiha Keloua Hachi (Socialistes), entourée des deux co-rapporteurs Paul Vannier (La France insoumise) et Violette Spillebout (Ensemble pour la République).

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Seront également entendus, le mois prochain, les ministres ou ex-ministres Nicole Belloubet, Jean-Michel Blanquer, Pap Ndiaye, Ségolène Royal, Elisabeth Borne et Gérald Darmanin.

"Il va falloir que ce 14 mai, ce soit un jour de vérité", a déclaré Fatiha Keloua-Hachiqui a indiqué avoir entendu lors d'auditions menées le matin-même "des propos contradictoires aux déclarations" du Premier ministre. Elles "remettent en cause la version de François Bayrou de sa connaissance des faits (...) à l'époque", "interrogent sur son inaction" et sur les "propos tenus devant l'Assemblée et devant les victimes", a complété Paul Vannier.

Une présentation "rétardée" devant le juge

Dans la matinée, la commission d'enquête a notamment entendu l'ex-gendarme Alain Hontangs, ancien enquêteur à la section de recherches de Pau, et Christian Mirande, ancien juge d’instruction au tribunal de grande instance de Pau (en visioconférence) au moment des faits. Et le nom de François Bayrou est beaucoup revenu dans les échanges, faits sous serment. D'abord, Alain Hontangs a confirmé ses dires de février dernier sur TF1 concernant le déroulé de la journée du 26 mai 1998, où il devait présenter au juge d'instruction le père Pierre Silviet-Carricart, directeur de l'institution catholique Notre-Dame-de-Bétharram, alors accusé de viol. 

"M. Mirande [le juge d'instruction] m'attendait devant la porte de son bureau, il m'a dit 'la présentation est retardée, le procureur général demande à voir le dossier, il y a eu une intervention de M. Bayrou", alors président du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques et député, a de nouveau relaté l'ex-gendarme. "Jamais il n'est arrivé qu'un magistrat instructeur me dise que le procureur voulait voir le dossier à ce moment-là" d'une enquête, a-t-il ajouté.

Lors de son audition ce jeudi, Alain Hontangs a également affirmé ne pas être "le seul enquêteur de la section de recherche à savoir que François Bayrou est intervenu", expliquant avoir reçu, après la diffusion du magazine Sept à Huit en février, un message en ce sens de l'un de ses collègues gendarmes de l'époque. "Je l'ai eu récemment au téléphone. (...) Il m'a confirmé que j'avais bien parlé de cette intervention à la section et que M. Mirande le lui avait raconté dans un autre contexte", a-t-il expliqué. 

Qu'en pense l'ancien juge d’instruction Christian Mirande ? Auditionné dans la foulée, il a confirmé que la présentation du père Carricart avait dû "attendre un peu", car "le procureur général voulait consulter le dossier". Une demande qu'il juge encore aujourd'hui "un peu surprenante". Sur intervention de François Bayrou ? "Vraiment, je n'ai aucun souvenir de cette partie de notre entretien", mais "je connais très bien les deux gendarmes en qui j'ai toujours toute confiance" et "s'ils disent cela, c'est que ça a dû arriver", a-t-il répondu, questionné par les co-rapporteurs de la commission d'enquête.

En février, deux jours après la diffusion de l'émission, le Premier ministre avait affirmé à l'Assemblée nationale n'être "jamais" intervenu, "ni de près, ni de loin", dans ce dossier, niant tout contact, "avec qui que ce soit", à son propos.

Une rencontre "pas fortuite" au domicile du juge

Le juge d'instruction a aussi répété, face à la commission d'enquête, que François Bayrou était venu le voir chez lui, en 1998 [la date exacte n'est pas connue], pour évoquer Notre-Dame de Bétharram et les faits commis par le père Carricart, ce que l'intéressé a d'abord nié, avant d'évoquer une rencontre fortuite, "sur le chemin" de leurs domiciles respectifs puisque les deux hommes étaient voisins. "Ce n'était pas fortuit du tout, il a fait la démarche de venir à mon domicile", a indiqué Christian Mirande ce jeudi, se disant "surpris" des différentes versions du Premier ministre. "Je pense que la mémoire lui fait défaut. Il y a une réalité. L'échange que nous avons eu, moi je ne l'ai pas oublié. (...) Je n'ai pas compris qu'il ait pu 'occulter en contestant d'abord et ensuite en l'édulcorant", a-t-il ajouté.

Christian Mirande se souvient, lui, d'une rencontre d'environ deux heures et mentionne que sa fille, présente à ce moment-là au domicile avec un ami, est montée à l'étage pour ne pas les déranger. Selon l'ex-juge d'instruction, lors de cette rencontre, François Bayrou "avait une grande inquiétude au regard de son fils qui était élève à Bétharram" et "n'arrivait pas à croire la réalité des faits" reprochés au père Carricart : "Il répétait 'C'est incroyable, c'est incroyable'".

Tout plaide pour dire que François Bayrou connaissait le père Carricart. Christian MIRANDE, ex-juge d'instruction

François Bayrou pouvait-il ne pas connaître le père Carricart, comme il l'a assuré en février 2025 devant les victimes à Pau ? "Tout plaide pour dire qu'il le connaissait. Son épouse qui enseignait, ses enfants qui étaient élèves, le fait qu'il n'arrivait pas à croire qu'il ait commis les faits, ce qui laissait entendre qu'il connaissait cet homme et sa personnalité", a répondu Christian Mirande. Avant d'ajouter : "On a du mal à le croire, en effet." 

La remise en liberté du père Carricart en juin 1998

Jeudi, ce dernier et l'ex-gendarme Alain Hontangs ont également tous les deux fait part de leur stupéfaction de voir le père Carricart remis en liberté quelques jours plus tard, le 9 juin 1998. "J'étais révolté par cette nouvelle", a déclaré le premier, en revenant sur le déroulé du viol commis par le chef d'établissement sur un mineur qui venait de perdre son père. "On est toujours surpris de voir un violeur remis en liberté", a complété le second.

Quant à savoir si François Bayrou est intervenu dans la libération du père Carricart, Christian Mirande indique n'avoir "aucun élement qui puisse le dire", aujoutant cependant : "le fait que j'aurais dit que Monsieur Bayrou était intervenu auprès du procureur général pourrait plaider dans ce sens". 

Retour sur l'inspection menée en 1996

En ouverture de cette journée, la commission d'enquête a également entendu, par téléphone, l'ancien inspecteur d'académie, Camille Latrubesse, qui avait été en chargé de l'inspection conduite le 12 avril 1996 à Notre-Dame de Bétharram, diligentée par le recteur après la plainte d'un parent d'élève. Convoqué le jeudi 11 avril 1996 dans le bureau du recteur, il devait rendre son rapport le lundi suivant, le 15 avril 1996. "J'ai pris mes précautions en téléphonant au directeur que je ne connaissais pas et je lui ai demandé de prévoir des entretiens avec lui, avec les professeurs, des élèves et aussi des parents", a-t-il expliqué, évoquant une demande "pas courante du tout". 

Je suis allé à Bétharram sans aucune référence, sans aide, et je me suis débrouillé tout seul. Camille Latrubesse, ex-inspecteur

"Je n'étais pas habitué à aller dans des établissements privés sous contrat, je n'en avais jamais eu l'occasion", a indiqué Camille Latrubesse, qui s'est rendu à Bétharram "sans aucune référence, aide" et s'est "débrouillé tout seul". Si cela ne figurait pas dans son rapport final, de trois pages, l'inspecteur de l'Education nationale est notamment revenu sur les "dortoirs très grands", sans "équipement sanitaire correspondant au nombre d'élèves", "ça ne se passe pas toujours très bien" entre les élèves et les élèves-surveillants. S'il en a discuté à l'oral avec le directeur, pourquoi cela ne figurait-il pas dans son rapport, dont la conclusion était "plutôt positive" selon les co-rapporteurs de la commission ? "Je pensais surtout que ça pouvait être un encouragement à changer un peu les méthodes et les pratiques", a estimé Camille Latrubesse. "Je savais que si l'établisement devait modifier tout ça, ça demandait immédiatement un financement (...) C'est quelque chose qui pouvait être realisé, mais pas immédiatement et facilement", a-t-il affirmé.

En se rendant à Bétharram, Camille Latrubesse ne connaissait rien des rapports de la famille Bayrou avec l'établissement et ne connaissait pas personnellement l'ancien ministre de l'Education nationale (1993-1997) : "Madame Bayrou, je n'ai pas entendu parler d'elle quand j'ai été à Bétharram, car le directeur ne m'a pas parlé d'elle. J'ai appris tout ça beaucoup plus tard."

A la fin de son audition, interrogé sur un courrier que lui avait envoyé la direction de l'établissement en novembre 1996, dans lequel était écrit "une fois encore, merci pour ce que vous avez fait pour que Bétharram vive", l'ex-inspecteur a dit le "découvrir". "Je n'ai pas reçu de qui que ce soit des remerciements pou ce que j'avais fait", a-t-il assuré. Quid alors de son propre courrier, au recteur cette fois, avec ce document joint, envoyé quelques jours plus tard, lui ont demandé les co-rapporteurs de la commission d'enquête, Paul Vannier et Violette Spillebout ?"Je vous avoue que je n'ai aucune mémoire de ce que vous me dites actuellement."

Bétharram : Elisabeth Borne "diligente une enquête administrative de l'Inspection générale"

La ministre de l'Education, Elisabeth Borne, a annoncé, ce jeudi 10 avril, le lancement d'une enquête administrative visant l'établissement catholique privé Le Beau Rameau, nom actuel de Notre-Dame de Bétharram, après la publication du rapport d'une inspection menée en mars qui a mis en lumière plusieurs "manquements".

"Des témoignages d’élèves mettent en cause les agissements de deux enseignants", qu'on "ne peut pas accepter", et "d’autres éléments" ont été "relevés lors du contrôle effectué par le rectorat" dans l'établissement au coeur d'un scandale de violences sur des enfants pendant des décennies, a notamment expliqué la ministre dans une interview au journal La Croix.