Bientôt une voie de recours face aux conditions de détention "indignes"

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JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP
par Maxence Kagni, le Vendredi 19 mars 2021 à 09:04, mis à jour le Vendredi 19 mars 2021 à 14:20

Les députés ont adopté vendredi une proposition de loi qui crée un recours pour les détenus qui considèrent leurs conditions de détention "contraires à la dignité de la personne humaine".

L'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi "tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention". Ce texte a été rédigé par le sénateur Les Républicains François-Noël Buffet : "Les personnes détenues [pourront désormais] saisir le juge de conditions de détention contraires au respect de la dignité de la personne humaine", a résumé vendredi la rapporteure Caroline Abadie (La République en marche).

"Il s'agit d'une étape majeure dans l'amélioration des conditions de détention", s'est réjoui le Garde des sceaux Eric Dupond-Moretti, selon qui "la privation de liberté ne doit jamais correspondre à une privation de dignité".

En introduction de son propos, le ministre a en effet jugé nécessaire de "tirer toutes les conséquences de la condamnation de l'Etat français par la Cour européenne des droits de l'Homme, le 30 janvier 2020, pour ses conditions de détention dans six maisons d'arrêts et centres pénitentiaires". La proposition de loi répond également à une décision du conseil constitutionnel du 2 octobre 2020. Dans cette dernière, le conseil estime qu'il "incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu'il y soit mis fin".

Requête "circonstanciée"

Le texte adopté vendredi crée cette voie de recours, qui se décompose en plusieurs étapes successives. Tout d'abord, la personne détenue saisit le juge. Si elle est en détention provisoire, elle se tourne vers le juge des libertés et de la détention. Si elle exécute une peine, elle se tourne vers le juge de l'application des peines.

Ensuite, si "la requête est circonstanciée, personnelle et actuelle", le juge la déclare recevable. Il fait procéder aux "vérifications nécessaires" et "recueille les observations de l’administration pénitentiaire dans un délai compris entre trois jours ouvrables et dix jours". 

Troisième étape : si le juge estime que la requête est fondée, il fixe un délai, allant de dix jours à un mois, afin que l'administration pénitentiaire puisse "mettre fin, par tout moyen, [aux] conditions de détention" mises en cause. L'administration peut notamment décider de transférer la personne dans un autre établissement. 

Enfin, si à l'issue du délai et "après toute vérification qu'il estime utile", le juge constate que la situation dénoncée perdure, alors il peut dans les dix jours qui suivent :

  • ordonner le transfert dans un autre établissement,
  • ordonner la libération, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence, de la personne en détention provisoire,
  • ordonner un aménagement de la peine de la personne définitivement condamnée, ou une libération sous contrainte.

Le ministère public peut faire appel de la décision du juge : cet appel est suspensif s'il est formé dans un délai de 24 heures. Le détenu peut lui aussi faire appel de la décision du juge, dans un délai de dix jours.

"Effectivité"

Le dispositif n'a pas totalement convaincu l'opposition. La députée socialiste Cécile Untermaier a voté le texte tout en dénonçant "un effacement du juge au profit de l'administration pénitentiaire". L'élue regrette également un "cumul d'étapes obligatoires" qui "allongent la durée de la procédure". Une critique qui se rapproche de celle d'Ugo Bernalicis (La France insoumise), qui "se demande bien comment va être pouvoir actionné ce dispositif". 

"Il n'est pas concevable qu'un détenu se voit éloigné de sa famille", a ajouté Michel Castellani (Libertés et Territoires), qui en a profité pour demander le "retour des détenus, notamment en Corse, dans leurs régions d'origine". La députée GDR Karine Lebon estime quant à elle que le transfèrement risque de "dissuader" les prisonniers d'exercer un recours, car ceux-ci "préféreront rester incarcérés près de leur famille".

"Nous sommes très sceptiques sur la réalité de l'effectivité de ce recours", a de son côté regretté Pascal Brindeau (UDI). "Passer d'un établissement surpeuplé à un autre est-il une garantie de conditions plus dignes ?", a demandé l'élu.

A droite, on redoute que le texte ne permette le dépôt de recours en trop grand nombre : "[Ce dispositif] risque de saturer les juridictions car il pourra être exercé par tous compte tenu des chiffres d'occupation en milieu carcéral", a déclaré Antoine Savignat (Les Républicains).

Régulation carcérale

Même si Caroline Abadie a reconnu vendredi que la "surpopulation carcérale est devenue chronique dans notre système pénitentiaire", la rapporteure a averti que le texte "n'a en aucun cas vocation à devenir un outil de régulation". Un constat partagé par Eric Dupond-Moretti, qui souhaite "incarcérer mieux, dans des conditions plus dignes" en créant des "places supplémentaires de prison" : "Nous allons en construire 15.000, dont 7.000 sont déjà en cours de réalisation."

"A chaque fois que l'on a construit des établissements, c'était davantage pour les remplir que pour vider les autres", a réagi Ugo Bernalicis, qui souhaite "revoir le code pénal, afin que, dans un certain nombre de cas, il ne puisse pas être prononcé de peines de prison".

Le principe du placement en cellule individuelle est inscrit dans la loi depuis 1875, pourtant il ne s'est jamais concrétisé. Michel Castellani (Libertés et Territoires)

Les débats ont permis au Garde des sceaux de préciser sa politique en matière pénale, alors que se profile l'examen de sa prochaine réforme de la Justice. "La peine de prison est nécessaire à notre Etat de droit", a déclaré Eric Dupond-Moretti, expliquant toutefois qu'il souhaitait "sortir du tout-carcéral".