La commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi sur la fin de vie a adopté, ce jeudi 16 mai, l'article 5 du projet de loi, qui définit "l'aide à mourir". Cet article - qui constitue le cœur du texte en ce qu'il indique que "l’aide à mourir est un acte autorisé par la loi" - a fait l'objet d'un débat qui illustre les positions, parfois irréconciliables, sur cette nouvelle possibilité qui serait offerte aux malades en fin de vie à des conditions fixées par l'article 6.
Au troisième jour des travaux de la commission spéciale constituée pour l’examen du projet de loi relatif à "l’accompagnement des malades et de la fin de vie", les députés sont entrés dans le vif du sujet, mercredi 15 mai. Car si le texte affirme la volonté de renforcer l'offre de soins palliatifs au sein d'un accompagnement plus global et précoce qu'il ne l'est aujourd'hui pour les personnes en fin de vie, sa véritable innovation réside dans l'instauration d'une aide à mourir strictement encadrée.
Progrès nécessaire, rupture anthropologique, accès à une liberté fondamentale, changement de paradigme éthique... Les députés ont entamé un débat vif et intense sur la définition et le principe de ce qui - pour les défenseurs comme pour les opposants de l'aide à mourir - est appréhendé comme un changement sociétal majeur.
À l'orée de l'examen de l'article 5 du projet de loi, définissant l'aide à mourir comme consistant "à autoriser et à accompagner la mise à disposition, à une personne qui en a exprimé la demande, d’une substance létale", dans des conditions strictement encadrées, Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine) a proposé un amendement de suppression du titre II du projet de loi, qui régit les modalités de l'aide à mourir. Évoquant "une rupture éthique" et "un basculement qui a une dimension anthropologique vertigineuse", le député communiste a également mis en avant "la question sociale, qui pèse plus encore au bout d'une vie".
Un argument repris par Philippe Juvin (Les Républicains) qui, en soutien de l'amendement de son collègue, a fait valoir que "dans l'Oregon, où le suicide assisté est légalisé, la majorité de ceux qui bénéficient du suicide assisté sont des classes les plus pauvres". Charles de Courson (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) a pour sa part évoqué le risque de "dérive" en cas d'instauration d'une aide à mourir. "C'est ce que l'on voit dans toutes les expériences étrangères", a-t-il aussi ajouté. "La question qu’il faut se poser, c’est quel est le risque qu’on est en train de développer en confiant aujourd’hui le même pouvoir qu’on a retiré au juge, à un médecin", a avancé Patrick Hetzel (Les Républicains), faisant en substance référence à la peine de mort.
"La dignité et la fraternité, ce sont tout ce qui permettra d'accompagner les personnes jusqu'à la fin, en prenant en compte leurs douleurs et leurs souffrances. C'est la réponse qu'apportent largement et suffisamment les soins palliatifs", a quant à lui estimé Christophe Bentz (Rassemblement national). "Les soins palliatifs ne s'opposent pas à l'existence d'une aide à mourir", a répondu Hadrien Clouet (La France insoumise), jugeant "l'aide à mourir dans la dignité" comme "faisant œuvre de civilisation".
La rapporteure sur le titre II, Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance), a pour sa part estimé que l'instauration d'une aide à mourir relevait de la mise en œuvre d'une "humanité compassionnelle" pour les personnes en fin de vie répondant aux critères établis par le texte (majorité, nationalité française ou résidence stable et régulière en France, maladie grave et incurable avec pronostic vital engagé à court ou moyen terme, capacité à exprimer sa volonté libre et éclairée, souffrances réfractaires).
Après le rejet de l'amendement de suppression porté par Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine), les députés ont longuement débattu des termes employés dans le projet de loi. Des amendements identiques portés par des députés des groupes Les Républicains et Rassemblement national ont plaidé pour que les termes "euthanasie" et "suicide assisté" figurent dans le texte. Annie Genevard (Les Républicains) a ainsi dénoncé, dans le choix de l'expression "aide à mourir", "une opération visant à rendre socialement acceptable une démarche profondément bouleversante pour notre société".
Pierre Dharréville (GDR) a également appelé à "lever les malentendus", estimant en outre qu'avait été ajouté "de l’euphémisme à l’euphémisme" en retranchant du projet de loi le qualificatif "active" pour caractériser l'aide à mourir.
Je crois qu'il faut aujourd'hui avoir ce débat sémantique, il est important, mais qu'il faut d'emblée dire que ce que nous souhaitons faire, c'est proposer un ultime recours, qui dans des circonstances extrêmes, selon la belle étymologie grecque, permettra de partir en douceur. Olivier Falorni (Démocrate)
"Il y a de beaux mots, des mots magnifiques, qui à un moment sont souillés par l'histoire". Prenant la parole en défense des termes choisis par le gouvernement, le rapporteur général du texte, Olivier Falorni (Démocrate), a rappelé que le terme d'"euthanasie" était apparu "en 300 avant J.C", mais qu'"à un moment, le régime nazi [avait] utilisé ce mot de façon abjecte pour organiser un assassinat de masse des personnes handicapées". "Cette souillure rend à mes yeux difficile, voire impossible, [le fait] d'utiliser [ce terme]", a-t-il considéré, jugeant préférable de substituer à cette terminologie "un mot plus simple, plus humain, plus apaisant".
L'article 5 a été adopté, ce jeudi 16 mai en fin de matinée, la commission spéciale validant l'expression "aide à mourir", proposé par le gouvernement. Les députés poursuivent l'examen du projet de loi en débattant de l'article 6, qui "définit les conditions d’accès à cette aide à mourir".