La proposition de loi "instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultra riches" a été adoptée, en première lecture, par l'Assemblée nationale, ce jeudi 20 février. Le texte, présenté par les députés du groupe Ecologiste et social, devra désormais être examiné au Sénat, afin de poursuivre un parcours législatif long et incertain.
"Mettre fin à une injustice fiscale qui dure depuis trop longtemps", telle a été l'ambition formulée par Eva Sas et portée par le groupe Ecologiste et social. En plaçant en deuxième place de leur journée d'initiative parlementaire, ce jeudi 20 février, une proposition de loi "instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultra riches", les députés écologistes ont souhaité mettre davantage à contribution les patrimoines de plus de 100 millions euros et lutter contre les contournements de fiscalité.
Au terme de plus de sept heures de débat, l'Assemblée nationale a adopté ce texte, en première lecture, par 116 voix contre 39 (détail du scrutin à consulter ici).
Le texte propose de créer un impôt plancher sur la fortune (IPF) pour les 0,01 % des contribuables les plus riches, soit environ 1800 contribuables, afin de les taxer à hauteur de 2 % de leur fortune en impôts. "Nous proposons là un dispositif simple, inspiré par les travaux de Gabriel Zucman", a indiqué Eva Sas (Ecologiste et social) à la tribune, précisant que "cette mesure ne concern[ant] que les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros, il n'y aura aucun impact pour les gérants de PME, les artisans ou les jeunes entrepreneurs".
La mesure, portée par Eva Sas et sa collègue de groupe Clémentine Autain, reprend en effet les travaux de l'économiste Gabriel Zucman qui, en juin dernier, avait remis un rapport commandé par le G20, prônant l'instauration d'un taux d'imposition de 2 % sur le patrimoine des quelques 3 000 personnes disposant d'un patrimoine de plus d'un milliard de dollars.
Si la ministre chargée des Compte publics, Amélie de Montchalin, a évoqué au travers du dispositif proposé par les députés écologistes une mesure "inefficace" en plus d'être "confiscatoire", elle a cependant indiqué que le gouvernement était "conscient" des "contournements" opérés dans le cadre en particulier des holdings patrimoniales. Annonçant le lancement d'un travail de concertation avec des économistes, elle a précisé que le gouvernement reviendrait d'ici deux mois devant la représentation nationale afin de lui présenter "un dispositif efficace, ciblé et durable".
"Ce n'est pas que nous combattons le principe", mais la mesure "doit être coordonnée au niveau européen et international, et atteindre sa cible", a complété la ministre. Le gouvernement avait déjà dit son intention d'instaurer une taxe pour contrer l'optimisation fiscale des plus hauts patrimoines, qui ne devrait par dépasser le taux de 0,5 % et excluerait les biens professionnels de l'assiette.
Mais pour les défenseurs du texte du jour, la proposition d'un impôt plancher ne peut être efficace que si elle intègre précisément ces biens professionnels. "Il ne s'agit pas d'aller taxer le boucher-charcutier de Tourcoing, cher à Gérald Darmanin, sur son outil de travail, on parle d'autre chose. On parle d'actions dans des holdings qui ont un rendement phénoménal, et c'est ça qu'on va aller taxer", avait fait valoir Clémentine Autain le 11 février dernier, lors d'une conférence de presse.
80% des Français souhaitent aujourd'hui le retour de l'ISF. L'écrasante majorité des Français veulent de la justice fiscale. Clémentine Autain (Ecologiste et social)
Inclure les biens professionnels, c'est le "péché originel de cette histoire", selon les termes de Philippe Juvin (Droite républicaine). "Est-ce qu'il y a un autre pays au monde dans lequel l'outil professionnel est taxé au titre de son stock de capital ?", a pour sa part lancé Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République) qui, avec son groupe, avait d'ailleurs déposé un amendement visant à exclure les biens immobiliers de l'assiette de l'impôt ; il a été rejeté. "Sans ce rejet, notre texte aurait été vidé de sa substance", s'est félicité sur X le groupe Ecologiste et social.
"Taxer, c'est de la paresse intellectuelle", a plus largement considéré Philippe Juvin (Droite républicaine) au sujet de cette proposition de loi, estimant que "la difficulté, c'est que nous avons trop de dépenses". Et Daniel Labaronne (Ensemble pour la République) de fustiger le dispositif proposé comme relevant d'une logique de "fiscalité punitive". "Il est indispensable d'aborder la fiscalité des plus grandes fortunes à l'échelle mondiale" a, quant à lui, estimé Emmanuel Mandon (Les Démocrates), avant d'ajouter que "l'instauration unilatérale d'un impôt, de surcroît mal conçu, n'aboutirait qu'à faire courir un risque majeur à l'attractivité de notre pays".
En réponse à une prise de parole du député Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République), jugeant en substance la mesure proposée confiscatoire, la ministre Amélie de Montchalin a déclaré qu'il "est tout à fait établi dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'un taux de 2% (...) serait inconstitutionnel, au sens où le Conseil constitutionnel ne le soutiendrait pas". A la suite de quoi Fabien Di Filippo (Droite républicaine), porteur d'un grand nombre d'amendements pour s'opposer au texte, a martelé à l'adresse des partisans de la proposition de loi : "Voilà la démonstration que votre texte ne passerait pas le filtre du Conseil constitutionnel et ne s'appliquerait pas."
Il est tout à fait établi dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'un taux de 2% (...) serait inconstitutionnel. Amélie de Montchalin, ministre des Compte publics
Pressée de répondre à de nombreuses reprises, la rapporteure Eva Sas a répondu que les Sages pouvaient "faire évoluer (leur) jurisprudence au regard des études publiées depuis" et accusé les opposants de "chercher à faire perdre du temps". Avant d'ajouter : "Je suis effrayée de l'énergie que vous mettez à défendre les ultra riches !"
Lors des échanges, Mathieu Lefèvre (EPR) a, par ailleurs, dénoncé "la bienveillance du Rassemblement national", le groupe mené par Marine Le Pen ayant dès le début des débats indiqué son intention de s'abstenir sur son vote final. Si Jean-Philippe Tanguy (RN) a reconnu "un travail de qualité" mené par les Ecologistes, il a déploré des "choix idéologiques" au travers de l'intégration des biens professionnels, mais aussi immobiliers, dans l'assiette de la taxe. Le Rassemblement national prône depuis plusieurs années l'instauration d'un impôt sur la fortune financière en lieu et place de l'impôt sur la fortune immobilière actuellement en vigueur.
A l'issue des débats, le groupe Ecologiste et social, présidé par Cyrielle Chatelain, s'est félicité d'une "victoire". Adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi devra maintenant poursuivre son parcours législatif au Sénat, où la droite et le centre son majoritaires.