Football : Eric Coquerel (LFI) veut lutter contre la "multipropriété" dans le foot professionnel

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Image d'illustration de football.
Image d'illustration de football. crédit Pixabay
par Maxence Kagni, le Mercredi 24 septembre 2025 à 13:20, mis à jour le Mercredi 24 septembre 2025 à 16:03

Le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Eric Coquerel (La France insoumise), a déposé une proposition de loi signée par des élus allant de la gauche à la droite de l'hémicycle qui vise à interdire la "multipropriété" dans le football. De quoi s'agit-il et quelles pourraient être les conséquences pour le football français ? On vous explique. 

Le football finira-t-il par ne se jouer que sur le terrain financier ? C'est la crainte du député La France insoumise Eric Coquerel, qui a présenté ce mercredi 24 septembre une proposition de loi "pour lutter contre les dérives de la multipropriété dans le secteur du football professionnel", lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale. 

Déjà déposé, ce texte co-signé par des députés allant de la gauche à la droite de l'hémicycle entend lutter contre la multipropriété et "préserver l'aléa sportif" face à l'emprise grandissante des fonds d'investissements dans le football. Que contient cette loi ? Quelles pourraient être ses conséquences sur la Ligue 1 de football en France ? LCP vous dit tout.

Qu'est-ce que la "multipropriété" dans le football ?

La multipropriété est une situation dans laquelle "un même propriétaire, une personne physique ou une personne morale, détient plusieurs clubs dans plusieurs championnats différents", explique l'économiste Pierre Rondeau, co-directeur de l'Observatoire du sport de la Fondation Jean Jaurès. 

La plupart du temps, une multipropriété se construit autour d'un club puissant financièrement, qui évolue dans un championnat étranger et autour duquel gravitent des clubs satellites. Ces clubs satellites bénéficient de fonds supplémentaires pour acheter des joueurs, pour développer leurs infrastructures. Ils peuvent aussi bénéficier de prêts des joueurs issus des rangs du club leader. En contrepartie, les clubs satellites peuvent notamment être dans l’obligation de vendre leurs meilleurs joueurs au club leader en fin de saison.

Si on n'arrête pas ce phénomène maintenant, cela sera trop tard. Eric Coquerel

La multipropriété est en plein essor : "Dans le monde, 230 clubs font partie d'une structure d'investissement multi-clubs, contre moins de 100 il y a cinq ans et moins de 40 en 2012", expliquent les sénateurs Laurent Lafon (Union centriste) et Michel Savin (Les Républicains) dans un rapport parlementaire. En France, en 2024, 10 clubs de Ligue 1 sur 18 étaient intégrés dans une structure multi-clubs, selon la même source. L'exemple français le plus emblématique est actuellement le RC Strasbourg Alsace, qui est détenu par le consortium BlueCo depuis 2023. Ce consortium est également propriétaire du club londonien de Chelsea, vainqueur de la dernière Coupe du monde des clubs.

Pourquoi la multipropriété se développe-t-elle ?

"La quasi totalité des clubs français cherchent actuellement des investisseurs", résume Christophe Lepetit, le responsable des études économiques au Centre de droit et d'économie du sport (CDES) de Limoges. Or les structures multi-clubs permettent des "synergies de capitaux", explique Pierre Rondeau. Depuis son rachat en 2023, Strasbourg est passé dans une autre dimension sportive et économique : le club alsacien a battu des records d'achat de joueurs (18 lors du dernier "mercato") et a atteint la 7e place du championnat de France en 2024-2025.

Pourquoi la multipropriété est-elle contestée ?

La multipropriété est "lourde de dangers", selon Eric Coquerel (LFI). Si l'élu reconnaît que l'arrivée de fonds d'investissement peut, dans un premier temps, "sauver un club", ce phénomène risque "à moyen ou long terme de mettre en péril le football professionnel tel qu'il existe aujourd'hui". Le président de la commission des finances de l'Assemblée pointe du doigt les expériences malheureuses vécues récemment par l'Olympique lyonnais, ou le Red Star, club qu'il connaît bien puisque basé à Saint-Ouen, dans sa circonscription.

Selon Eric Coquerel, les clubs français risquent aussi de voir leur "intérêts sportifs désavantagés" et "vampirisés" au profit de leur équipe leader. Le club de Chelsea a ainsi annoncé, dès ce début de saison, que le capitaine strasbourgeois, Emanuel Emegha, évoluerait dans le club londonien l'année prochaine. 

Il existe un risque de vampirisation ou de vassalisation de certains clubs. Eric Coquerel

Il y a aussi un "risque d'atteinte à l'aléa sportif" et "d'entente" entre clubs, affirme Eric Coquerel, puisque des équipes ayant le même propriétaire peuvent être amenées à jouer la même compétition européenne. Cette hypothèse, normalement interdite par les règlements européens, est néanmoins rendue possible par des mécanismes d'optimisation juridique (modification de l'organigramme, scission de holding, etc.). En 2024, les clubs de Nice et de Manchester United, détenus par le groupe Ineos, ont ainsi tous les deux concouru en Europa League.

"Il y a un risque pour l'intégrité des compétitions", résume Christophe Lepetit. Selon l'économiste du sport, les clubs en multipropriété ont la capacité de "limiter la portée de la puissance de régulation financière", c'est-à-dire de détourner à leur avantage les règles financières encadrant les compétitions françaises et européennes.

Que propose le texte d'Eric Coquerel ?

Dans son texte, Eric Coquerel propose d'interdire la multipropriété en France. Cette interdiction ne porterait pas seulement sur le football, mais bien sur toutes les disciplines sportives françaises. Un fonds d'investissement détenant déjà un club de football ne pourrait, par exemple, pas acheter une équipe française de football. De la même façon, un club français ne pourrait pas acheter de club étranger. Le non-respect de cette interdiction serait sanctionné d'une amende équivalente à 2% du chiffre d'affaires mondial du propriétaire et d'une interdiction de participation aux compétitions

Quelles seraient les conséquences de cette loi ?

La proposition de loi du président de la commission des finances ne serait pas rétroactive. Si elle était examiné et adoptée par le Parlement, elle ne s'appliquerait donc pas aux situations "déjà constituées" : cela veut dire que les clubs déjà insérés dans une multipropriété ne seraient pas contraints d'en sortir. Le club de Strasbourg pourrait donc continuer à bénéficier de sa relation avec Chelsea. "Cela pourrait créer une forme d'iniquité et de contentieux" entre clubs, met en garde Christophe Lepetit. 

L'économiste ajoute que la loi risque d'être difficile à appliquer dans un "cadre franco-français". Cette proposition de loi reviendrait à "se créer un désavantage compétitif" vis-à-vis des clubs étrangers : "La mesure aurait davantage de sens au niveau européen voire international.Christophe Lepetit ajoute que les clubs français, en recherche d'investisseurs, verraient "tout un pan du marché se fermer à eux". "Nous, on pense que cette loi peut s'appliquer à un niveau français, le France peut servir d'exemple, proposer un autre modèle", considère quant à lui Eric Coquerel (LFI).

Qui soutient le texte ?

La proposition de loi est soutenue par les députés de La France insoumise, mais aussi par François Ruffin (Ecologiste et social), le président des députés communistes Stéphane Peu (Gauche démocrate et républicaine), ainsi que Claudia Rouaux (Socialistes). Le texte est aussi co-signé par des députés issus des bancs de la Droite républicaine, comme Xavier Breton et Corentin Le Fur, ainsi que des élus de l'ex-majorité présidentielle tels que Liliana Tanguy (Ensemble pour la République) et François Jolivet (Horizons).

Cette loi transpartisane "remplit les conditions pour être présentée [de façon autonome] lors d'une semaine de l'Assemblée", qui est dédiée aux propositions de loi des députés, estime Eric Coquerel. La décision d'inscrire le texte à l'ordre du jour revient en l'espèce à la Conférence des présidents du Palais-Bourbon. Le député LFI évoque aussi la possibilité de traduire les mesures phares de son texte en amendements, afin de tenter de les faire adopter lors de l'examen de la proposition de loi "relative à l’organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel". Ce texte, adopté en juin par le Sénat, doit encore être examiné à l'Assemblée nationale. 

Eric Coquerel veut renforcer les pouvoirs de la DNCG

En plus de consacrer dans la loi le "principe d'aléa sportif", le texte propose aussi de renforcer drastiquement les pouvoirs de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), qui est compétente en matière de contrôle financier des sociétés sportives professionnelles. 

Si la proposition de loi d'Eric Coquerel est adoptée, la DNCG pourra contrôler le sérieux financier des projets d'achat de club et pourra s'opposer à la vente. Elle pourra, en outre, être saisie par les supporters des clubs concernés, ainsi que par les collectivités locales.