Quelles sont les prérogatives d'un gouvernement démissionnaire ? Depuis le début de la législature, Léa Balage El Mariky (Ecologiste et social) et Stéphane Mazars (Ensemble pour la République) ont conduit une mission sur "le régime des actes administratifs pris par un gouvernement démissionnaire". Dans leur rapport, présenté ce mercredi 11 décembre, ils appellent à "renforcer le contrôle parlementaire de l’activité d’un gouvernement démissionnaire". Et considèrent que, l'été dernier, le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal a "globalement respecté le périmètre jurisprudentiel des affaires courantes".
C'est un rapport qui résonne particulièrement au vu de l'actualité : la mission flash de l'Assemblée nationale sur le "régime des actes administratifs pris par un gouvernement démissionnaire" a rendu ses conclusions, ce mercredi 11 décembre, alors que le gouvernement de Michel Barnier est chargé des "affaires courantes" depuis sa censure à l'Assemblée nationale, la semaine dernière. Cette mission, menée par les députés Léa Balage El Mariky (Ecologiste et social) et Stéphane Mazars (Ensemble pour la République), avait été mise en place le 2 octobre dernier. Notamment pour tirer les enseignements de la longue période durant laquelle le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal a eu la charge de traiter les "affaires courantes", du 16 juillet au 21 septembre 2024.
Un gouvernement démissionnaire, qui ne peut par essence plus être soumis à la censure, ne dispose plus des prérogatives d’un gouvernement de plein exercice. Pour autant, tant qu’il n’a pas été remplacé par un nouveau gouvernement, il est nécessaire d’assurer la continuité de l’Etat et le bon fonctionnement des services publics : on parle alors d'expédier les "affaires courantes", une notion qui n'est pas définie par un texte de loi, mais qui repose sur une définition jurisprudentielle. Les travaux des deux élus et leur onze recommandations font d'autant plus œuvre utile que cette situation se répète, pour une période encore indéterminée, en attendant la composition d'un nouveau gouvernement et pourrait se répéter compte tenu de la situation politique actuelle.
Pour les députés, les 67 jours durant lesquels le gouvernement de Gabriel Attal était démissionnaire n'ont pas fait émerger de "violation manifeste ou importante du périmètre des affaires courantes". Le nombre d'actes administratifs pris dans ce laps de temps a notamment été réduit de moitié par rapport à la même période au cours des années précédentes : la mission recense 340 décrets et 1 650 arrêtés publiés au Journal officiel en 2024, contre 774 décret et 2 540 arrêtés en 2023. Et souligne une "réelle retenue dans les mesures édictées tant en matière règlementaire qu’individuelle par le gouvernement".
Le gouvernement démissionnaire de l’été 2024 a globalement respecté le cadre jurisprudentiel. Rapport de la mission flash sur le gouvernement démissionnaire
Les deux députés soulèvent toutefois quelques interrogations concernant certaines nominations s'étant matérialisées durant la période démissionnaire, la délivrance de l'agrément de l'association Anticor pour se constituer partie civile, et davantage encore concernant la nomination du chef de cabinet du ministre de l'Intérieur au poste de directeur de cabinet du préfet du Nord. Mais dans l'ensemble, les actes administratifs pris durant cette période semblent respecter le cadre jurisprudentiel fixé par le Conseil d’Etat, et précisé par le Secrétariat général du gouvernement. De fait, sur les 17 recours recensés par le Conseil d’ Etat contre les actes du gouvernement démissionnaire, aucun n'a abouti à ce jour à la suspension ou à l'annulation d'un acte au motif qu'il excédait le champ d'action du gouvernement démissionnaire.
Dans leur rapport, Léa Balage El Mariky et Stéphane Mazars regrettent toutefois la "faiblesse du contrôle parlementaire" au cours de cette période d'affaires courantes, que ce soit lorsque le Parlement n'était pas en session au cours de l'été, ou auparavant pendant la session de droit dont il aurait pu bénéficier pour quinze jours à compter du 18 juillet. "Le gouvernement démissionnaire conservant des compétences et pouvant potentiellement les outrepasser, ce contrôle constitue une exigence démocratique fondamentale", jugent les deux députés à l'issue de leurs travaux.
S’il perd l’usage de l’outil de sanction ultime du gouvernement, le Parlement doit continuer d’exercer son contrôle sur l’activité du gouvernement démissionnaire. Rapport de la mission flash sur le gouvernement démissionnaire
Afin d'éviter un tel écueil à l'avenir, ils proposent de renforcer le contrôle parlementaire des gouvernements démissionnaires, en agissant sur plusieurs leviers. Tout d'abord en renforçant les commissions permanentes du Parlement, en invitant les ministres à sortants à présenter devant les députés de ces commissions la manière dont ils entendent expédier les affaires courantes. Et en confiant à ces mêmes commissions les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, dans les cas où la nomination d'un nouveau gouvernement se ferait trop attendre.
Ils préconisent également de confier à certains parlementaires - présidents de chacune des Chambres, présidents des commissions et présidents des groupes parlementaires - un "intérêt à agir" contre un acte qui excéderait le champ des affaires courantes. La mission propose, en outre, d'instaurer une réunion de plein droit du Parlement dès lors que la nomination du nouveau gouvernement excède une durée de 15 jours, hors session ordinaire. Une évolution qui nécessiterait une révision constitutionnelle.
Afin de renforcer la bonne information du Parlement, les députés préconisent de mettre en place un dispositif de contrôle similaire au suivi des mesures mises en place pendant l'état d'urgence et prône la remise d'un bilan du gouvernement à l'issue de la période. D'autres recommandations portent sur la possibilité de recourir aux outils de contrôle habituels, y compris en période d'affaire courantes : organisation d'une séance hebdomadaire de Questions au gouvernement, dépôt de questions écrites par les parlementaires, déclaration du gouvernement suivi d'un débat et éventuellement d'un vote...
Enfin, si les deux rapporteurs considèrent tous deux que l'activité du Parlement en cas de gouvernement démissionnaire ne saurait être "auto-limitée", ils sont partagés quant à la pratique. Stéphane Mazars (Ensemble pour la République) juge que l'adoption de textes par le Parlement doit relever de l'exception et de l'urgence, tandis que Léa Balage El Mariki (Ecologiste et social) considère que "rien ne doit entraver l'action législative du Parlement". Ils se rejoignent cependant sur la "nécessité de faire évoluer la Constitution, afin d'encadrer et de sécuriser la fonction législative du Parlement" dans de telles périodes.
Un ministre démissionnaire ne devrait pas dire ça
Au cours de la présentation du rapport en commission des lois, ce mercredi 11 décembre, Léa Balage El Mariky (Ecologiste et social) est revenue sur les déclarations de Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur démissionnaire, qui a indiqué lundi 9 décembre "travailler sur une suspension des dossiers d’asile en cours provenant de Syrie", après la chute du régime de Bachar al-Assad. "Un ministre démissionnaire ne peut pas faire de telles annonces aussi importantes politiquement, [...] encore plus lorsque l'examen des demandes d'asile ne relève pas du ministère de l'Intérieur, mais de l'Ofpra", a estimé la députée, ajoutant : "Cela montre bien la nécessité d'avoir en période d'affaires courantes un Parlement fort qui contrôle l'action d'un gouvernement démissionnaire."