L'Assemblée nationale veut élever le capitaine Alfred Dreyfus au rang de général de brigade

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Le député Charles Sitzenstuhl, rapporteur de la proposition de loi.
Le député Charles Sitzenstuhl, rapporteur de la proposition de loi.
par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Lundi 2 juin 2025 à 19:20, mis à jour le Lundi 2 juin 2025 à 19:25

L'Assemblée nationale a approuvé, ce lundi 2 juin, une proposition de loi "appelant à élever Alfred Dreyfus au rang de général de brigade". Déposé par le président du groupe "Ensemble pour la République", Gabriel Attal, le texte a été adopté à l'unanimité. Il doit désormais être examiné au Sénat afin de poursuivre son parcours législatif.

"La République est grande quand elle sait s'élever au niveau de l'Histoire, quand elle sait s'élever au-dessus des contingences politiques, quand elle est capable aussi de réparer ses erreurs" a salué, Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République) dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, après l'adoption ce lundi 2 juin de la proposition de loi "appelant à élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade", dont il était le rapporteur. Le texte a été voté à l'unanimité  comme en commission par l'ensemble des présents, soit 197 voix pour et 0 contre.

En ouvrant la discussion du jour, devant les descendants d'Albert Dreyfus présents en tribune, le député du Bas-Rhin avait appelé ses collègues à "corriger une injustice et réparer complètement l'honneur d'un homme". "Il est de notre devoir de le faire maintenant. Non seulement pour Albert Dreyfus, mais aussi pour nous, pour la Nation, pour la France de demain, pour que la République demeure cette haute idée de l'égalité et de la justice", avait-il aussi martelé.

 

"Il ne peut s'agir de rouvrir tout le dossier de l'affaire Dreyfus (...), mais de considérer la décision prise par les députés en 1906 : a-t-elle suffisamment réparée, reconnue ?", a dans la foulée interrogé la ministre chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants, Patricia Mirallès, pour qui cette proposition de loi "prend un relief particulier au moment où les actes de haine antisémite connaissent une inquiétante progression".

Plusieurs députés n'ont en effet pas manqué de faire un parallèle avec la situation actuelle. "Alors que la bête immonde de l'antisémitisme renait dans notre pays (...), cette proposition de loi est essentielle, car elle nous rappelle que le combat du capitaine Dreyfus, le combat contre l'antisémitisme, fléau qui pourri notre société, n'est pas achevé", a notamment déclaré Jérémie Patrier-Leitus (Horizons).

Sur les bancs du Rassemblement national, Thierry Tesson a évoqué "un contexte actuel inquiétant", l'antisémitisme est "comme une hydre qui peut sans cesse renaître sous des traits nouveaux, mais tout autant dangereux". "Quand les façades des synagogues sont maculées de peinture verte, cette reconnaissance de la Nation rappelle l'urgence de la défense de ses principes fondateurs", a-t-il plaidé à la tribune. Le combat d'Albert Dreyfus "doit nous inspirer alors que l'antisémitisme relève résolument la tête, porté non plus par les épigones de Drumont ou Maurras, mais par l'islamisme politique", a pour sa part lancé Maxime Michelet (Union des droites pour la République).

De l'autre côté de l'hémicycle, Gabriel Amard (La France insoumise) s'est insurgé contre ceux qui "s'emparent sans honte" du nom d'Albert Dreyfus, ceux qui "ricanent à l'ombre des croix gammées numériques" mais qui "lèvent aujourd'hui la main comme s'ils avaient été dreyfusard". "Non ! Dans ma famille, on descend des dreyfusards, pas dans la vôtre !", a-t-il poursuivi en direction du RN, dénonçant au même titre que l'antisémitisme, "l'islamophobie [qui] ronge les plateaux et les lois", "le racisme, l'homophobie, la haine des pauvres [qui] s'installent comme des meubles dans la maison commune". 

L'absence des députés du groupe "Les Démocrates"

Lundi, dans l'hémicycle, un groupe parlementaire n'était quasiment pas représenté : celui des Démocrates, la famille politique du Premier ministre, François Bayrou. Son président Marc Fesneau l'avait préalablement annoncé dans une tribune publiée dans Le Figaro. "Il faut mesurer le risque d'une nouvelle instrumentalisation (...) : sous couvert d'honorer Alfred Dreyfus, certains cherchent à blanchir leur propre récit, leur propre histoire, ancienne ou plus contemporaine, et s’approprient une figure dont, de fait, ils combattent ou ont combattu les valeurs", a-t-il écrit dans ce texte, signé par une vingtaine de députés de son groupe, refusant en substance de mêler leurs voix à celles du RN et de LFI sur ce sujet

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"J'entends les craintes qui s'expriment sur certains de ces bancs au sujet d'une récupération politique de l'affaire Dreyfus", a réagi Sylvain Maillard (Ensemble pour la République) lors de sa prise de parole. Avant d'ajouter : "Pour éviter ce risque, prenons cette proposition de loi pour ce qu'elle est, la correction d'un tort historique fait à Albert Dreyfus sur ces mêmes bancs. Il ne s'agit pas ici de rouvrir les blessures du passé ou de le travestir en usant de cette mémoire à des fins polémiques ou bassement politiciennes."

Le député Julien Dive (apparenté Droite républicaine) s'est aussi adressé à ceux qui "redoutent que cette initiative ne serve par ricochet des arrières pensées politiques ou des règlements de compte contemporains". Affirmant "respecter leur vigilance", il a toutefois estimé que "sécher le débat au motif d'un éventuel détournement de l'examen du texte, c'est paradoxalement s'en faire complice".

Au final, selon l'analyse du scrutin, trois élus Les Démocrates ont tout de même apporté leur soutien à la proposition de loi : il s'agit de Géraldine Bannier, Bruno Fuchs et Delphine Lingemann

Le couple Dreyfus au Panthéon ?

A la tribune, Aurélien Rousseau (Socialistes) a, quant à lui, plaidé pour aller plus loin, estimant que le "dossier Dreyfus" ne sera pas clos avec le vote du jour. "Aux grands hommes, la patrie doit être reconnaissante. Nous pensons que c'est au Panthéon que le capitaine-général Dreyfus et sa femme devraient être accueillis", a déclaré l'élu Place publique. Lors des débats en commission, Charles Sitzenstuhl (EPR) s'était aussi déclaré favorable, à titre personnel, à l'entrée au Panthéon d'Alfred Dreyfus, estimant que le vote de la proposition de loi "renforcer(ait) la dynamique" en ce sens.

Interrogé sur cette hypothèse, l'entourage du président de la République a affirmé dimanche à l'AFP que sa "préoccupation" était "à ce stade, de faire vivre les valeurs du Dreyfusisme, combat toujours d'actualité pour la vérité et la justice, contre l'antisémitisme et l'arbitraire".

Lundi, dans l'hémicycle, Edouard Bénard (Gauche Démocrate et Républicaine) a pour sa part indiqué "ne plus pouvoir accepter que des rues et des places honorent encore la mémoire de ceux qui ont sali le nom de Dreyfus". En guise d'exemple, le député a notamment cité la place Maurice Barrès à Paris, dénonçant les "tirades antisémites" de ce dernier, qui a écrit que "Dreyfus avait été capable de trahir en raison de sa race". Ou encore la statue d'Albert de Mun, "un militant assumé du camp des anti-dreyfus", encore présente dans un salon de l'Assemblée nationale. 

Le texte va maintenant être transmis au Sénat afin de poursuivre son parcours législatif.