La commission des finances de l'Assemblée nationale a auditionné ce mercredi 16 avril Pierre Moscovici en ses qualités de premier président de la Cour des comptes et de président du Haut Conseil des finances publiques. Il a notamment dit son exaspération quant à "l’absence systématique de suites" données aux certifications émises par la première institution.
Auditionné ce mercredi 16 avril par la commission des finances de l'Assemblée nationale, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a affiché sa "très mauvaise humeur" face "aux suites – ou plutôt de l’absence systématique de suites – qui sont données à l'acte de certification que nous publions annuellement". "Pour la 19e année consécutive, les comptes de l'Etat ne sont pas en mesure d'être certifiés sans des réserves très significatives", a-t-il regretté, comparant cette situation à celle d'une grande entreprise, où le commissaire aux comptes "certifierait les comptes avec de fortes réserves ou ne les certifierait pas, et où le conseil d'administration dirait 'on s'en fiche'".
Alors Pierre Moscovici a mis en garde : "En l'absence de progrès significatifs en 2025, la Cour pourrait être amenée à [...] ne pas certifier les comptes", a affirmé le président de l'institution, qui a écrit en ce sens à Bercy cette semaine. "Les réserves formulées par la Cour ne sauraient être prises à la légère ou contestées" ; elles devraient "au contraire faire l'objet de toute l'attention de l'administration pour les faire disparaître", a-t-il ajouté.
L'ancien ministre de l'Economie (2012-2014) a de nouveau eu des mots très durs au sujet du budget 2024, concocté à l'automne 2023 avec des prévisions, qui se sont avérées trop optimistes, des équipes alors dirigées par Bruno Le Maire, notamment un déficit public annoncé à 4,4% du PIB qui a dérapé à 5,8%. Pierre Moscovici a dénoncé "la gestion erratique, le pilotage à vue, la succession de reports, gels, surgels, coups de rabot" qui ont émaillé l'année dernière et regretté qu'il n'y ait pas eu de loi de finances rectificative début 2024.
Interrogé par le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise) ou encore le député Matthias Renault (Rassemblement national) sur la nécessité d'une telle loi rectificative pour le budget 2025, il a indiqué ne pas "le préconiser" à ce stade. "L'année dernière, c'était évident [qu'il en fallait une] dès février-mars, l'évidence n'est pas là à ce jour pour l'année 2025", a déclaré Pierre Moscovici.
Un peu plus tard dans la journée, toujours devant la commission des finances, l'actuelle ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin a assuré qu'il n'y avait, sur 2025, "aucune stratégie d'évitement", mais "une stratégie pragmatique".
Sur 2025, "c'est un peu mieux, il faut le reconnaître", même si "nous observons encore soit de légers biais optimistes, soit des risques qui ne sont pas tout à fait évalués", avait jugé avant cela Pierre Moscovici, parlant, à plusieurs reprises, d'hypothèses "légèrement teintées d'optimisme". "Néanmoins, la prévision de croissance [actuelle] à 0,7% n'est pas hors d'atteinte, même si les risques liés à la conjoncture internationale et à l'incertitude géopolitique sont élevés", a-t-il salué, notant que "le gouvernement se rapproche d'exigences plus importantes de réalisme" et "fait preuve de davantage de prudence".
Pour autant, face aux dérapages budgétaires constatés ces deux dernières années et aux écarts entre les chiffres prévus au départ et les chiffres effectifs, Pierre Moscovici a appelé à "impérativement revoir, profondément, notre façon d'élaborer nos prévisions". Le président de la Cour des comptes fait deux propositions : que soit inclus dans les documents budgétaires, pour chaque mission, "un tableau qui récapitulerait l'évolution de la dépense entre la loi de finances initiale de l'exercice et le projet de loi pour l'exercice suivant" et de renforcer le rôle du Haut conseil aux finances publiques qu'il dirige également.
"Le gouvernement ne souhaite pas, ni transférer au Haut conseil, ni à quiconque le soin de déterminer la trajectoire économique, ni même aller vers la règle du 'comply or explain’ ['appliquer ou expliquer']", a réagi dans l'après-midi le ministre de l'Economie, Eric Lombard, auditionné avec sa collègue Amélie de Montchalin, par la commission des finances. "En revanche, nous avons décidé d'avoir un dialogue ouvert, transparent avec un comité d'experts", déjà évoqué la veille à l'Assemblée nationale, a-t-il répondu au député Charles de Courson (Liot) qui l'interrogeait.
En conclusion de sa propre audition, Pierre Moscovici a insisté sur "quatre principes", parmi lesquels "la lucidité sur notre situation [budgétaire]" ou encore "la nécessaire volonté politique de la traiter", qui, à ses yeux, "semble réelle".
La veille, sur BFMTV, le président de la Cour des comptes avait déjà déclaré qu'il fallait que "les Français sachent que nous nous sommes mis dans une telle situation que nous n'avons pas d'autre choix que de faire un effort budgétaire". Ce qu'il a répété devant la commission des finances ce jour : "Si je n'avais qu'un mot à dire, c'est qu'il est impératif de respecter le plan budgétaire et structurel à moyen terme, à commencer par l'objectif de déficit de 5,4%" en 2025. "C'est une question de crédibilité, de souveraineté et de soutenabilité pour la France", a-t-il assuré. Un débat sur le plan budgétaire et structurel à moyen terme aura lieu dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale le mardi 29 avril après-midi.
Déficit : la France confirme vouloir passer sous les 3% en 2029
La France a confirmé mercredi 16 avril vouloir ramener son déficit public dans les clous européens en 2029 : l'objectif est de repasser sous le plafond de 3% autorisé par les règles budgétaires européennes, avec une cible à 2,8% en 2029.
Au lendemain de l'avertissement du Premier ministre, François Bayrou, contre le "piège" de la dette qui menace "la survie [du] pays", le ministre de l'Economie, Eric Lombard, a présenté en conseil des ministres le rapport d'avancement de la trajectoire budgétaire française, légèrement ajustée par rapport à octobre, évoquan de "fortes incertitudes" liées aux droits de douane américains.
En 2024, le déficit public s'est creusé à 5,8% du produit intérieur brut (PIB). Le gouvernement espère le ramener à 5,4% cette année, au prix d'un effort budgétaire d'une cinquantaine de milliards d'euros, renforcé récemment par 5 milliards supplémentaires. Il entend ensuite le réduire à 4,6% en 2026 grâce à un nouvel effort chiffré à 40 milliards d'euros.