Suppression du droit du sol, priorité nationale, allocations familiales réservées aux Français, restriction du regroupement familial... En cas de victoire aux législatives, le Rassemblement national annonce un projet de loi portant "mesures d’urgence sur l’immigration", qui serait suivi d'autres mesures plus tard dans la législature. Les propositions avancées par le parti de Jordan Bardella sont-elles conformes à la Constitution ? Dans le cas contraire, le RN aura-t-il la possibilité de la changer ?
Dans quelle mesure le Rassemblement national pourra-t-il appliquer sa feuille de route en matière d'immigration, en cas de victoire aux élections législatives et d'accession à Matignon ? Dans son programme, le président du parti, Jordan Bardella, annonce une action en deux temps, insistant en premier lieu sur les dispositions "d'urgence", avant d'engager le "temps des réformes".
Et, dans les deux cas, l'immigration figure en bonne place. "Voilà 30 ans que les Français ne sont pas écoutés sur ce sujet", a tancé Jordan Bardella lors de la présentation de son programme, le 24 juin. "L'immigration n'est pas un sujet qui divise les Français, mais qui les rassemble", a-t-il affirmé, avant de décliner les principales mesures défendues par le RN.
Le Rassemblement national prévoit, en cas d'arrivée au pouvoir, de mener tambour battant de premières réformes en matière d'immigration, via un projet de loi qui serait examiné dès l'été au cours d'une session extraordinaire du Parlement. Au regard de ce qui est législativement possible dans le cadre de la Constitution actuelle, ces propositions sont celles qui poseraient, a priori, le moins de difficultés.
Le rétablissement du délit de séjour irrégulier, ainsi que le durcissement des conditions du regroupement familial, pourraient par exemple être votés via une loi ordinaire. En début d'année, le Conseil constitutionnel avait censuré de telles mesures, qui figuraient à la demande des Républicains dans la loi sur l'immigration portée par Gérald Darmanin. Mais la décision des Sages était fondée sur la forme, ces dispositions ayant été considérées comme des "cavaliers législatifs" ne présentant qu'un rapport trop lointain avec le texte d'origine. En cas de victoire du Rassemblement national et si une telle loi était adoptée, le Conseil serait donc amené à se prononcer sur le fond. Selon le programme de la formation de Marine le Pen, le remplacement de l'Aide médicale d'Etat (AME) en aide médicale d'urgence figurerait aussi dans ce paquet législatif.
Tout comme la "suppression de toutes les dérogations qui empêchent les expulsions d’étrangers" délinquants ou en situation irrégulière. Si elle était votée, cette mesure serait très certainement, elle aussi, passée au crible du Conseil constitutionnel. L'éloignement d'un étranger nécessite, en outre, l'accord de son pays d'origine, ce qui requiert de bonnes relations diplomatiques. Ou l'instauration d'un rapport de force. La suspension ou la limitation des laissez-passer consulaires est souvent de mise en cas de durcissement des relations internationales, comme cela a récemment pu être le cas avec l'Algérie ou le Maroc.
La "suppression du droit du sol", principe établi au XVIème siècle, ferait également partie de ce premier projet de loi. Aujourd'hui, une personne née sur le territoire peut obtenir la nationalité française si l'un de ses parents est né en France, ou à condition d'avoir vécu depuis au moins cinq ans en France depuis l'âge de onze ans. Il n'existe donc pas de droit du sol absolu. En 2022, 32 000 personnes en ont bénéficié, selon les chiffres de l'Insee.
A ce sujet, Jules Lepoutre, professeur de droit public à l’Université Côte d’Azur, estime que le Conseil constitutionnel pourrait considérer que "le droit du sol est consubstantiel à la tradition républicaine française". Contributeur du Club des juristes, il anticipait récemment dans une interview accordée à L'Opinion : "Le jour où vous supprimez ce droit, peut-être que vous portez atteinte à cette tradition républicaine, à ce principe fondamental. Et peut-être que ce principe aurait une valeur constitutionnelle".
Le cas échéant, le Rassemblement national devrait passer par une révision de la Constitution pour aller au bout de son projet.
Dans le deuxième temps, celui des "réformes", le parti de Jordan Bardella affirme vouloir "mettre en place la priorité nationale (si nécessaire, précise-t-il, par référendum constitutionnel)". Le RN veut en outre, "réserver les allocations familiales aux Français et conditionner à 5 années de travail en France l’accès aux prestations sociales non-contributives comme le RSA", en envisageant, là encore, une éventuelle modification constitutionnelle.
En avril dernier, le Conseil constitutionnel a rejeté une demande de référendum des Républicains visant à limiter l'accès des étrangers aux prestations sociales, les Sages jugeant que les mesures proposées portaient une "atteinte disproportionnée" aux droits à la protection sociale des étrangers en situation régulière. Dans un entretien accordé au Monde, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a en outre souligné que "la préférence nationale, appliquée de façon systématique, est contraire à la Constitution".
A l'évidence, sur ces sujets, le Rassemblement national devrait donc passer par une modification de la Constitution. Mais pour cela, il lui faudrait convaincre le président de la République de convoquer un référendum au titre de l'article 11 de la Constitution. Ce qui semble pour le moins improbable. Autre solution, faire d'abord adopter ces dispositions par le Parlement pour ensuite les soumettre aux Français, conformément à l'article 89 de la Constitution. Dans ce cas, la révision doit d'abord être adoptée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Lors de l'élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen avait indiqué qu'en cas de victoire, elle utiliserait largement le référendum pour mettre en œuvre son projet, notamment en matière d'immigration. Ce qui posait la question des sujets qui peuvent être, ou pas, matière à référendum dans le cadre de l'article 11 de la Constitution tel qu'il est rédigé aujourd'hui. Cette fois, cependant, c'est Matignon - et non l'Elysée - qui est en jeu. Le sujet devrait donc à nouveau faire débat lors de la prochaine élection présidentielle.