Législatives 2024 : salaires, fiscalité, finances publiques... Le grand oral des forces en présence aux législatives devant le patronat

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Grand oral patronat
par Maxence KagniLéonard DERMARKARIAN, le Jeudi 20 juin 2024 à 19:05, mis à jour le Jeudi 20 juin 2024 à 20:15

Des représentants des trois grand blocs en concurrence aux élections législatives, ainsi que des chefs de partis politiques, ont été auditionnés, ce jeudi 20 juin, par les organisations patronales (Medef, CPME, et U2P). La coalition présidentielle s'est posée en garante de la stabilité, tandis que le Rassemblement national a tenté de rassurer et le Nouveau Front populaire de se défendre face aux inquiétudes que suscitent leurs programmes. Chaque camp profitant, en outre, de l'occasion pour dénoncer l'absence de sérieux économique des autres. 

Des auditions aux allures de grand oral. Ce jeudi matin, les responsables des principales forces politiques étaient invitées par le Medef, la CPME et l'U2P à venir présenter leur programme pour les élections législatives, Salle Gaveau à Paris. Edouard Philippe (Horizons), Boris Vallaud et Eric Coquerel (Nouveau Front Populaire), Jordan Bardella (Rassemblement national) et son nouvel allié Eric Ciotti, ainsi que Bruno Le Maire (Ensemble, la coalition présidentielle) et Bruno Retailleau (Les Républicains) ont tous répondu aux questions des chefs d'entreprise et de la journaliste Hedwige Chevrillon.

En ouverture de la rencontre, les responsables des organisations patronales ont pris la parole pour évoquer les inquiétudes des chefs d'entreprise vis-à-vis du scrutin des 30 juin et 7 juillet prochains. Le président du Medef, Patrick Martin, a regretté l'absence "dangereuse" de la notion "d'économie" dans le débat public. Il a souhaité, comme le président de la CPME, François Asselin, mettre en avant un besoin de "compétitivité", de "lisibilité" et de "stabilité"

On ne peut échapper au principe de réalité. François Asselin

Dans une interview publiée jeudi matin par Le Figaro, Patrick Martin avait pris position de façon plus explicite : "Le programme du RN est dangereux pour l'économie française, la croissance et l'emploi, celui du Nouveau Front Populaire l'est tout autant, voire plus." Des "amabilités" auxquelles Jordan Bardella a répondu sur le ton de l'humour : "Ca fait toujours plaisir de se réveiller en étant qualifié de danger par la personne qui vous invite une heure après pour dialoguer", a déclaré le président du Rassemblement national. Eric Coquerel (La France insoumise), qui représentait le Nouveau Front Populaire avec le socialiste Boris Vallaud, a jugé que cette prise de position était "un grand classique", allant jusqu'à estimer que la réaction de Patrick Martin était "assez timide par rapport à ce qui s'est passé en 1981 et 1997".

Le Nouveau Front populaire défend le sérieux économique de son programme

Anticipant les critiques, les représentants de l'alliance de gauche ont tenté de rassurer leur auditoire, Boris Vallaud mettant notamment en avant son passé de "directeur de cabinet du ministre de l'Industrie" (quand Arnaud Montebourg était ministre, en 2013-2014, ndlr) et de "secrétaire général adjoint de l'Elysée" (entre 2014 à décembre 2016), lorsque François Hollande était président de la République. Le député socialiste sortant, qui a également évoqué son père chef d'entreprise, a affirmé que le sérieux budgétaire était du côté de la gauche : "Les deux seuls gouvernements qui ont réduit les déficits, ce sont les gouvernements de Lionel Jospin et de François Hollande, ce n'est pas celui d'Emmanuel Macron et de je ne sais quel Mozart de la finance."

Si la gauche l'emporte le 7 juillet prochain, Boris Vallaud a promis de réunir "sans délai" les partenaires sociaux, tout en abrogeant la réforme de l'assurance chômage, ce qui constituera selon lui un "acte de confiance dans le dialogue social". Le Nouveau Front Populaire, qui propose une politique "keynésienne", entend "repositionner l’Etat au centre de l'économie" et prône une "relance salariale massive". Toujours désireux d'apaiser les craintes, Boris Vallaud a expliqué que la hausse du Smic à 1600 euros nets serait "compensée pour les PME" et que les impôts de ces dernières pourraient être baissés "avec de la justice fiscale". "La grande majorité des chefs d'entreprise ont intérêt à ce que le monde du travail soit mieux payé pour pouvoir acheter ses produits", a complété Eric Coquerel.

Boris Vallaud a également mis en garde : "Que chacun se garde des leçons de morale et d'économie si elles conduisent à consentir au triomphe du pire", a-t-il lancé, demandant aux chefs d'entreprise s'ils avaient fait "suffisamment" pour "ne pas vivre dans un pays fracturé", "dominé par la peur de l'avenir". S'adressant "milliardaires", Boris Vallaud a indiqué que la gauche, si elle parvient au pouvoir, leur demandera un "effort de solidarité et de patriotisme économique".

Le Rassemblement national se présente comme une "alternance raisonnable"

Jordan Bardella a lui aussi tenté de démontrer le sérieux de son programme, promettant de mettre en œuvre un "audit des comptes de la Nation", mais aussi de favoriser une "stabilité fiscale" et "politique". Venu accompagné de son homologue des Républicains Eric Ciotti (contesté au sein de LR depuis son alliance avec le RN), le président du Rassemblement national s'est porté garant de la "stabilité des institutions, de la paix civile" en décrivant son mouvement politique comme une "alternance raisonnable". Fustigeant la "déraison budgétaire" d'Emmanuel Macron, il a promis de "déverrouiller les contraintes qui pèsent sur la croissance" et de permettre "jusqu'à 10% de hausses de salaires exonérées de cotisations patronales" dans une limite de 3 Smic.

Le président du Rassemblement national a, en outre, évoqué sa volonté d'abroger la réforme des retraites de l'an dernier, "qui est injuste socialement et qui est très coûteuse sur le plan économique". Il propose de permettre à ceux qui ont commencé à travailler avant l'âge de 20 ans de partir à la retraite à 60 ans, avec 40 annuités. Le mesure, qui coûterait 1,6 milliard d'euros selon Jordan Bardella, serait financée par un "choix budgétaire", à savoir la suppression de l'aide médical d'Etat. Pour les autres travailleurs, le RN "vise les 62 ans", en fonction des "marges budgétaires". 

Bruno Le Maire : "être responsable plutôt que populaire"

Les représentants d'Ensemble pour la République, la coalition présidentielle, ont quant à eux tenté de défendre leur bilan alors que la Commission européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif à l'encontre de la France. "Nous avons sauvé des filières, des grandes entreprises comme Air France, comme Renault, comme toute la filière aéronautique" a revendiqué le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire. Et de réitérer la promesse de ne pas augmenter les impôts et l'engagement à ce que le pays revienne sous les 3% de déficit public d'ici 2027 : "Je me suis engagé à rétablir les comptes publics, nous le ferons.

En dépit de critiques concernant les politiques du logement et de l'éducation, Edouard Philippe, lui aussi auditionné en tant que président d'Horizons, a apporté un soutien global à la politique économique menée depuis le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, "la plus pro-business depuis longtemps". L'ex-Premier ministre (de 2017 à 2020) et actuel maire du Havre a appelé à aller plus loin pour une meilleure gestion des finances publiques en instaurant une "règle d’or", dans le but de "ne pas augmenter la pression fiscale et [de contraindre] l’Etat à ne pas laisser dériver la dépense publique au-delà du nécessaire".

Une lutte contre "l’addiction extrêmement dangereuse à la dépense publique" partagée un peu plus tard par le président des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau, pour qui "la dépense publique ne fait pas la qualité des services publics", et qui a appelé à trouver 20 milliards d’euros d’économies budgétaires par an pour "rebâtir une prospérité collective".

Sur un plan plus politique, Edouard Philippe a semblé prendre ses distances avec  la décision d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale : "J'ai un avis extrêmement précis sur le sujet", a déclaré l'ancien Premier ministre. "En dissolvant, le Président a mis un terme à la majorité présidentielle, ce ne sont pas des frondeurs, pas des ambitions, c'est lui qui a décidé", a-t-il affirmé. 

une nouvelle majorité parlementaire, beaucoup plus ouverte politiquement. Edouard Philippe

Le maire du Havre, qui souhaite construire "une nouvelle majorité parlementaire, beaucoup plus ouverte politiquement", envisage un bloc central allant de "la droite conservatrice" à "une partie de la gauche sociale-démocrate". Il n'a d'ailleurs pas hésité à citer François Hollande, qui a "lancé la politique pro-business" en France : "Il faut lui en être reconnaissant." Un hommage réitéré par la suite par Bruno Retailleau (LR).

Interrogé sur les programmes du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national, Edouard Philippe a jugé "l’aventure proposée par LFI et ses alliés infiniment dangereuse", qualifiant notamment la hausse du SMIC à 1600€ de "mesure magique" et la politique prônée par le RN d'"extrêmement aventureuse s'agissant de l'économie française". Préférant "être responsable plutôt que populaire" et s'érigeant en "défenseur de la stabilité fiscale", Bruno Le Maire a, lui aussi, critiqué les programmes du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national dont les mesures sont, selon lui, "à contre-temps, à un moment où il faut économiser", alors que "la marge de manœuvre budgétaire de la France est nulle".

Le ministre de l’Economie a particulièrement ciblé Jordan Bardella : "La politique, c'est pas TikTok, la politique c'est la réalité des décisions". Bruno Le Maire a également moqué les propositions du président du RN et d'Eric Ciotti sur les retraites : "Si quelqu'un a compris ce que le couple improbable de tout à l'heure a expliqué, moi je n'ai rien compris..." "On n'est peut-être moins glamour mais plus efficaces", a-t-il insisté. 

Par ailleurs, Bruno Le Maire a annoncé quelques mesures en cas de victoire du bloc présidentiel aux élections législatives citant, au moment même où Gabriel Attal présentait le programme de la majorité présidentielle sortante, des efforts de simplification accrus à venir, l'exclusion de l'industrie de l'objectif "Zéro artificialisation nette" pour poursuivre la réindustrialisation du pays et la suppression des impôts de productionLe ministre a ainsi fait part de sa "détermination totale" à "supprimer complètement la CVAE d’ici 2027, un impôt qui pénalise les industries". Une confirmation de l’engagement pris dans la loi de finances de 2024, visant à la suppression progressive de cet impôt d’ici la fin du mandat d’Emmanuel Macron, après sa diminution de moitié en 2023.

Alors qu'il s'apprêtait à quitter la scène, la journaliste de BFM Business Hedwige Chevrillon a demandé à Bruno Le Maire s'il avait "un mot de conclusion". "J'aimerais qu'il n'y ait pas de conclusion", a malicieusement répondu le ministre, appelant à "ne pas tomber dans le panneau du Rassemblement national" et espérant "continuer" sa mission à Bercy à l'issue des élection législatives.