Les députés votent l'article "Samuel Paty" sur la mise en danger de la vie d'autrui

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Laetitia Avia, le 10 février 2021
par Maxence Kagni, le Mercredi 10 février 2021 à 16:35, mis à jour le Vendredi 12 février 2021 à 10:47

L'Assemblée nationale a adopté l'article 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République. Celui-ci crée un nouveau délit sanctionnant la diffusion malveillante d'"informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne".

Selon le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, il s'agit de la "moelle épinière du volet pénal" de la loi confortant le respect des principes de la République. Les députés ont adopté par 97 voix contre 10 mercredi soir l'article 18 du texte, qui sanctionne la diffusion malveillante d'"informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne"

Le dispositif, complété par l'article 4 du texte sur le délit de séparatisme, est censé apporter une réponse à l'assassinat terroriste de Samuel Paty. Le professeur, dans les jours précédant son meurtre, avait fait l'objet d'une violente campagne sur les réseaux sociaux, notamment par le biais de vidéos diffusées sur Facebook. "Nous nous servons de ce qui s'est passé pour anticiper des situations qui pourraient à l'avenir encore, hélas, nous affecter", a expliqué le Garde des sceaux.

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"Combler un vide juridique"

Concrètement, l'article crée un nouveau délit : il punit "le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer". Ce délit est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende.

La peine de prison encourue est de cinq ans d'emprisonnement lorsque le délit est commis à l'encontre : 

  • d'une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public,
  • de titulaires d’un mandat électif,
  • d’une personne mineure.

"Ce n'est pas le délit de mise en danger qui ne sanctionnait pas la divulgation d'informations, ce n'est pas le délit de divulgation qui ne sanctionnait pas l'atteinte à la personne et à son intégrité physique", a résumé Caroline Abadie (La République en marche)."

"L'article 18 est né avec l'affaire Samuel Paty mais il règle tellement d'autres situations, pensez à l'affaire Mila", a déclaré la rapporteure Laetitia Avia (La République en marche), évoquant aussi les pratiques de "doxing". Le député Agir ensemble Pierre-Yves Bournazel a salué un dispositif qui "vient combler un vide juridique".

"Droit à l'information"

Si les députés ont tous souligné l'importance des objectifs poursuivis par l'article, plusieurs d'entre eux ont critiqué les "conséquences négatives" du dispositif. Ainsi, Robin Reda (Les Républicains) a regretté le "renforcement du brouillard législatif", estimant qu'il aurait été "plus judicieux de faire appliquer les textes en vigueur". Charles de Courson (Libertés et Territoires) a également évoqué un risque de "judiciarisation excessive" et critiqué la création d'un "délit d'intention" qui sera "inefficace" car "tout doute doit profiter au prévenu".

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Comme Charles de Courson, Éric Coquerel (La France insoumise) a assuré que le dispositif avait les "mêmes défauts que l'article 24 de la loi sur la sécurité globale". Le député socialiste Boris Vallaud a lui aussi partagé ses craintes : "Chacun a besoin d'être sûr que la liberté de la presse ne sera pas d'une manière ou d'une autre atteinte."

La rapporteure Laetitia Avia (La République en marche), ainsi que le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, leur ont répondu : l'article 18 sanctionne "l'intention de nuire" et pas "l'intention d'informer". Un amendement de Charles de Courson (Libertés et Territoires), qui souhaitait ajouter à l'article la mention "sans préjudice du droit d'informer", a toutefois été rejeté.

Atteinte aux biens

Autre critique formulée par Boris Vallaud : l'article couvre également les "risques directs d’atteinte aux biens". Or, les peines sanctionnant de telles atteintes sont souvent inférieures aux trois ans de prisons prévues par l'article 18 du texte. Ainsi, une personne détruisant un bien appartenant à autrui sera moins fortement sanctionnée que la personne qui, en divulguant des informations sur Internet, a entrainé la commission de ce délit. "L'atteinte aux biens, ce n'est pas le meurtre", a lui aussi critiqué Julien Aubert (Les Républicains).

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"Peu importe", a répondu le Garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti : "Celui qui lance cette espèce de bulle, mortifère hélas parfois, délétère toujours, ne connaît pas forcément le résultat" de son action, a réagi le ministre. La rapporteure Laetitia Avia a quant à elle tenté de rassurer l'opposition : "Le juge fera ce travail de proportionnalité", a déclaré la députée, expliquant qu'en fonction des cas les personnes sanctionnées pourront être condamnées à des peines inférieures à trois ans de prison.