Loi agricole "Duplomb" : une motion de rejet adoptée à front renversé pour contrer le grand nombre d'amendements

Actualité
Image
Julien Dive LCP 26/05/2025
Le député DR Julien Dive, le 26 mai 2025 (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Lundi 26 mai 2025 à 20:53, mis à jour le Mardi 27 mai 2025 à 06:37

L'Assemblée nationale a adopté, ce lundi 26 mai, la motion de rejet préalable présentée par... les partisans de la proposition de loi visant à "lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur", dite "Duplomb". Les groupes du socle gouvernemental affirment qu'il s'agit d'une façon de contrer "l'obstruction parlementaire" des députés écologistes et insoumis, tandis que la gauche fustige un coup de force "antidémocratique". Le texte va poursuivre son parcours en commission mixte paritaire. 

C'est inédit. Une motion de rejet présentée et votée par... les partisans d'un texte. La proposition de loi visant à "lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur" ne sera pas examinée dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, en raison de l'adoption, ce lundi 26 mai après-midi, d'une motion de rejet préalable du texte défendue par les groupes du socle gouvernemental. 

Il s'agit du résultat d'une bataille une tactique qui a commencé il y a quelques jours. Dénonçant un "mur d'obstruction" de 3 500 amendements, dont 65 % avaient été déposés par les groupes "Ecologiste et social" et "La France insoumise", le rapporteur de la proposition de loi, Julien Dive (apparenté Droite républicaine), ainsi que les groupes du "socle commun" (coalition présidentielle et droite) avaient déposé une motion de rejet. Jusqu'au dernier moment, des discussions ont eu lieu sous l'égide de la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, pour tenter de trouver un accord permettant un examen du  texte en bonne et due forme. Sans succès

Loin de mettre fin au parcours législatif de la proposition de loi, le vote de cette motion de rejet permet aux partisans du texte de contrer les nombreux amendements qui avaient été préparés par ses opposants et d'éviter un éventuel enlisement. La loi "Duplomb", du nom de l'un de ses auteurs au Sénat, ayant déjà été adoptée au Palais du Luxembourg, elle va maintenant directement faire l'objet d'une commission mixte paritaire au sein de laquelle sept députés et sept sénateurs vont tenter d'élaborer une version commune aux deux Chambres du Parlement. En cas d'accord en CMP, celui-ci sera soumis à l'Assemblée nationale et au Sénat qui se prononceront par un vote. 

Tweet URL

"Vous avez fait du droit d'amendement un droit d'enlisement", a assumé la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, qui a très littérairement souligné que les quelque 1,71 millions de mots composant les amendements de la gauche équivalaient aux sept volumes d'A la recherche du temps perdu. "Je trouve déplorable et en réalité triste pour notre pays qu'il soit nécessaire d'en arriver là pour qu'une loi prospère", a ajouté la ministre.

"C'est du sabotage organisé par La France insoumise et les Ecologiste", a tancé Julien Dive (apparenté Droite républicaine), qui a troqué ses habits de rapporteur du texte pour ceux de défenseur de la motion de rejet. "Face à une obstruction massive, (...) il est devenu impossible de mener une délibération sereine et constructive", a-t-il déclaré. "Ne venez pas reprocher à ceux qui usent des mêmes moyens que vous de faire la même chose que vous", a appuyé l'ancien ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau (Les Démocrates).

La motion de rejet, déposée par Julien Dive, et les présidents des groupes du socle gouvernemental au Palais-Bourbon, Laurent Wauquiez (Droite républicaine), Gabriel Attal (Ensemble pour la République), Marc Fesneau (Les Démocrates) et Paul Christophe (Horizons) a finalement été adoptée par 274 voix contre 121 (détail du scrutin à retrouver ici), avec le soutien du Rassemblement national et de l'Union des droites pour la République. 

Un "49.3 déguisé"

Les élus de gauche ont unanimement dénoncé la stratégie, qui s'apparente selon eux à un "49.3 déguisé", comme l'ont notamment déploré la présidente de la commission des affaires économiques, Aurélie Trouvé (La France insoumise), et la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot. "C'est un précédent antidémocratique extrêmement inquiétant", a estimé cette dernière, faisant part de sa volonté de déposer, en réponse, une motion de censure spontanée à l'encontre du gouvernement.

Tweet URL

"[LR], Le parti politique arrivé dernier aux législatives de 2024 dicte désormais l'ordre du jour de l'Assemblée nationale depuis le palais du Luxembourg", a quant à elle dénoncé Mélanie Thomin (Socialistes), qui a jugé que les députés avaient été "bâillonnés" par la manœuvre. "C'est un détournement de procédure flagrant", a renchéri Delphine Batho (Ecologiste et social), dénonçant un texte "obscurantiste" qui prend la forme d'un "trumpisme à la française" en matière d'écologie.

"Si il y a un mot que la majorité a voulu éviter, c'est le mot cancer. La substance qu'ils veulent réautoriser est nocive", a pour sa part attaqué la présidente du groupe "Ecologiste et social", Cyrielle Chatelain, à l'issue de la séance. "Le sujet, c'est le scandale sanitaire qu'il y a derrière cette loi", a-t-elle pointé, insistant sur la mesure la plus controversée de cette proposition de loi, qui vise à réintroduire, à titre dérogatoire et sous conditions, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, l'acétamipride.

La proposition de loi contient également diverses mesures relatives au secteur agricole. Elle prévoit notamment la mise en place d'une présomption d'intérêt général majeur pour les retenues de stockage d'eau à vocation agricole. Si la commission mixte paritaire qui sera convoquée prochainement est conclusive, l'accord qui aura été trouvé sera soumis à l'ensemble des députés et des sénateurs, qui ne pourront pas l'amender. Et si cet accord est approuvé par les deux Chambres du Parlement, le texte sera définitivement adopté. Ultime recours, ses opposants pourront cependant encore saisir le Conseil constitutionnel.