Dans un avis que le gouvernement a décidé de rendre public, le Conseil d'Etat estime ce mardi 10 décembre que l'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu n'a pas vocation à figurer dans un projet de loi spéciale, dès lors que cette mesure constitue une modification "affectant les règles de détermination des impôts existants". Ces derniers jours, plusieurs groupes politiques de l'Assemblée nationale ont fait part de leur intention de présenter des amendements pour que cette mesure figure dans la loi spéciale qui sera examinée dans les prochains jours au Palais-Bourbon.
Saisi par le gouvernement pour avis, le Conseil d’Etat a rendu son expertise sur le projet de "loi spéciale" qui sera présenté demain, mercredi 11 décembre, en Conseil des ministres. Dans cet avis, rendu public ce mardi, la plus haute juridiction administrative française estime notamment que l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu n'est "pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale". Ce texte a pour principal objet de permettre à l’Etat de continuer à percevoir les impôts existant, en l'absence de budget voté en bonne et due forme avant la fin de l'année pour une entrée en vigueur au 1er janvier de l'année suivante.
Or, estime le Conseil d’Etat, l'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt excéderait le rôle très limité et précis d'une loi spéciale, dès lors qu'elle constituerait une modification "affectant les règles de détermination des impôts existants". Le sujet fait débat, car ces derniers jours plusieurs groupes politiques ont fait part de leur volonté de déposer des amendements, afin de garantir la réévaluation du barème de l'impôt sur le revenu, dans le but d'éviter une hausse des impôts pour de nombreux foyers français, voire l'entrée dans l'impôt d'environ 300 000 personnes. Sans avoir la certitude que le dépôt de tels amendements était possible, et en craignant, dès l'origine, leur caractère inconstitutionnel. C'est pour cette raison que le gouvernement considère qu'il faudra attendre le vote d'une loi de finances en bonne et due forme, en début d'année prochaine, pour indexer ce barème sur l'inflation et ainsi éviter à de nombreux contibuables de voir leur impôt sur le revenu augmenter mécaniquement en raison de l'inflation.
La finalité de la loi spéciale est exclusivement d’assurer la continuité de la vie nationale dans l’attente de l’adoption d’une loi de finances initiale. Avis du Conseil d’État
Autre point sur lequel le Conseil d’Etat était consulté : la possibilité pour un gouvernement qui est démissionnaire de porter un tel projet de loi spéciale. En effet, depuis la censure votée par les députés le 4 décembre, le gouvernement démissionnaire n'est compétent que pour la gestion des "affaires courantes". Et même si la nomination d'un Premier ministre devrait intervenir prochainement, la composition complète du gouvernement pourrait prendre du temps.
Or, le projet de loi spéciale sera présenté en Conseil des ministre demain, mercredi 11 décembre, et examiné dès le lendemain en commission, avant un passage dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale fixé au lundi 16 décembre. Selon la juridiction administrative, le gouvernement sortant est tout à fait habilité à porter ce texte. "Dès lors que la loi spéciale [constitue] une mesure d’ordre financier nécessaire pour assurer la continuité de la vie nationale, le Conseil d’Etat estime qu’un gouvernement démissionnaire demeure compétent pour soumettre à la délibération du Conseil des ministres un projet de loi ayant un tel objet, le déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale et, si aucun gouvernement de plein exercice n'a été nommé avant son examen par le Parlement, en soutenir la discussion devant les assemblées parlementaires", indique la juridiction du Palais-Royal.
Dans son avis, le Conseil d’Etat précise, en outre, que la levée de l'impôt comprend "l’ensemble des ressources, notamment fiscales, de l’Etat et, d’autre part, des impositions de toutes natures affectées à d’autres personnes morales que celui-ci", et la "reconduction des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales".
La juridiction administrative juge également nécessaire que le gouvernement inscrive dans le projet de loi spéciale des "dispositions autorisant l’Etat à recourir à l’emprunt", dès lors que les emprunts "représentent, à l’heure actuelle, une part significative du total de [ses] ressources annuelles". Et ce même si en théorie, cette mesure "ne saurait être assimilée à l’autorisation de percevoir l’impôt". Un article du projet de loi devrait ainsi permettre à l'Agence France Trésor, qui gère la dette de l’Etat, à continuer à emprunter sur les marchés financiers.
Une autre disposition à la portée similaire, approuvée sur le fond par le Conseil d’Etat, figurera également dans le texte, afin de garantir le financement de la protection sociale : permettre à l'Urssaf Caisse nationale de recourir à l'emprunt. "Eu égard à l'équilibre financier actuel [des organismes de sécurité sociale] et en l’absence d’autorisation de recourir à des ressources non permanentes, les organismes concernés ne seraient plus en mesure d’assurer la continuité des paiements et remboursements des prestations sociales", pointe la juridiction administrative. "Leur interruption serait de nature à porter atteinte aux principes constitutionnels de protection de la santé", souligne le Conseil d'Etat dans son avis destiné à baliser le recours à la "loi spéciale", prévue par l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Une procédure qui n'avait jusque-là été utilisée qu'une fois, en 1979, à la suite de la censure du projet de loi de finances pour 1980 par le Conseil constitutionnel pour une raison de procédure.